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Je n'ai pas peur de la mort

Je m’étais installée dans la salle d’attente de la gare, on nous avait signifié que notre TER aurait 20mn de retard au départ. Il n’était pas encore arrivé de son voyage aller, il était donc inutile de patienter dans les courants d’air qui régnaient sur le quai.

Depuis quelques temps, je me surprenais fréquemment à fredonner « Je n’ai pas peur de la mort… Et tout ira bien… » et là, tout à coup, les paroles de la chanson  prenaient tout leur sens dans mon esprit : moi non plus je n’avais pas peur de la mort. Ça, j’en étais persuadée. Pourquoi devrait-on avoir peur ? Après la mort, votre entourage vous pleure, un mois, deux mois, peut-être plus… Vous restez dans leur mémoire longtemps, ou pas. Ou peu. C’est plus difficile pour eux que pour vous, puisque pour vous, il n’y a rien. Quoi de plus simple ? Mais comment être sûr qu’il n’y a rien ? Tout simplement parce que si un avenir, une suite, succédait à notre mort, il y a bien longtemps que les scientifiques auraient pu le prouver. Tout ce que l’on est capable d’imaginer relève de la pure science-fiction. On a le droit de croire ce que l’on veut, c’est fait pour nous rassurer, mais quelle idiotie de donner foi à cela. Moi, j’étais vraiment enchantée de penser qu’il n’y avait rien. Ouf ! Enfin ! Cela me soulageait d’imaginer que je n’aurais plus rien à prévoir, rien à organiser, plus aucune responsabilité, plus rien. Rien ! Non, ce qui me faisait peur, c’était « le passage ». Comme tout le monde, je suppose. Je détestais l’idée d’une mort violente, dans la souffrance, accidentelle. Ces vagabondages de mon esprit concernant ma mort surgissaient chaque fois que je m’asseyais dans cette salle, au demeurant plutôt accueillante. De jolis fauteuils de différentes couleurs pastels étaient à la disposition des voyageurs, confortables et tournant sur eux-mêmes, qui vous permettaient de vous bercer à loisir, adoucissant l’attente. Mais cette salle d’attente était située juste face aux voies, en bout de quai. Je ne pouvais m’empêcher de repenser à cet accident qui avait eu lieu dans une autre gare quelques années plus tôt : un train n’avait pu ralentir son allure avant son entrée en gare et avait poursuivi sa course au-delà des rails, entraînant et broyant tout ce qui se trouvait sur son passage pendant plusieurs centaines de mètres. Le nombre de victimes avait été considérable. On se trouvait donc aux premières loges si un tel incident se produisait. Est-ce que cela me faisait peur ? Sans doute, puisque j’y pensais. Aucun risque que cela soit mon TER quotidien, il roulait si lentement qu’il ne pourrait pas faire beaucoup de dégâts. Non, il s’agirait probablement d’un train plus rapide et plus puissant, de type TGV. Je me surpris à regarder quel genre de passagers se trouvaient autour de moi : une jeune femme et ses deux enfants en bas âge, un couple plutôt âgé, dans les soixante-dix ans, une femme seule, dans mes âges… Lesquels d’entre-nous méritaient de mourir ? Aucun, probablement. Et pourtant, le train fou allait tous nous faucher, sans que nous ayons le temps de réagir. Est-ce que nous allions souffrir ? J’espérais que nous n’en aurions pas le temps. J’avais un avantage sur les autres : je m’y attendais ! J’échafaudais mentalement un plan, j’allais plonger sur les enfants, les couvrir de mon corps, c’était eux qu’il fallait sauver en premier, eux seuls avaient encore un avenir durable à espérer. La locomotive nous emporterait, mais, miraculeusement les deux petits seraient sauvés par l’enveloppe corporelle, maintenant déchiquetée, qui les avait protégés. Voilà, ce serait fait, « le passage » n’aurait pas été trop douloureux et aurait au moins servi à quelque chose. Avais-je le droit de faire cela, car évidemment, leur mère n’aurait pas survécu ? J’aurais fabriqué deux orphelins de mère qui n’avaient rien demandé, qui se destineraient maintenant à une vie sans elle, sans son amour irremplaçable. Un père ? Ils en avaient probablement un. Peut-être attendait-il à l’arrivée, à l’autre bout des rails ? M’en voudrait-il de n’avoir pu également sauver sa femme ?

J’en étais là de mes divagations quand la voie robotique de Mme SNCF nous apprit que mon TER était maintenant supprimé « faute de matériel » avait-elle dit. Le conducteur faisait-il partie du matériel ? C’était la question que je me posais. Il allait falloir attendre encore une heure. Je n’avais plus envie de rester dans cette pièce, j’allais marcher un peu, pas pressée d’emprunter « le passage », j’avais encore deux ou trois choses à gérer.

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