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Buvons encore une dernière fois...

Il n’empruntait pas souvent ce train, un TER à partir d’Austerlitz pour rejoindre la ville où habitaient ses parents, deux fois par an, tout au plus.

Benjamin habitait Paris, il partageait un duplex avec Peter, son compagnon, dans un quartier plutôt cossu. Ils vivaient ensemble depuis six mois et l’harmonie régnait au sein de leur couple.

Clara, elle, habitait dans la même ville que les parents de Benjamin, elle avait fait le trajet pour faire quelques courses et se balader à Paris. Elle était pacsée à Hugo depuis plus d’un an.

Du même âge, ils avaient été au lycée ensemble. Ils s’étaient rencontrés sur le quai, juste avant de monter dans le train.

J’avais assisté à leurs retrouvailles et embrassades. Ils étaient manifestement très contents de s’être croisés. Ils firent le voyage assis côte à côte, juste derrière moi. Je ne perdis pas une miette de leur conversation pour le moins surprenante.

Ils avaient commencé par commenter leurs vies respectives et se faire des promesses d’invitations futures.

- Vous viendrez dîner avec Peter, fais-moi signe la prochaine fois que vous passez tous les deux chez tes parents.

- Alors, comment te dire ça ? Mes parents ne sont pas encore au courant.

- Ah zut ! Je croyais que tu leur avais dit ?

- Oui, je leur ai dit que j’étais homo, mais pas encore que j’avais une relation durable. Pour eux, ce n’est pas quelque chose de très concret. Comme ils ne posent jamais de question, c’est pas facile. Je crois qu’ils préfèrent ne pas savoir.

- Et Peter ? Ça ne le dérange pas de rester seul à Paris tout un week-end ?

- Non, au contraire, il adore. Il en profite pour s’en prendre « une grosse », je ne suis pas là pour l’arrêter.

- Ah bah ça, c’est typique ! Le mien fait exactement la même chose. Mais même quand je suis avec lui. Enfin généralement, je rentre avant lui. Une soirée avec ses potes, c’est verre sur verre, rien ne les arrête. À croire que c’est le seul loisir qu’ils aiment partager.

- Tiens, je me disais exactement la même chose. La dernière fois que je suis sorti avec lui, sans mentir, il a bien dû s’enfiler ses quinze bières dans la soirée.

- Mais grave ! C’est pareil pour Hugo. Passer le reste de la nuit à côté de lui ensuite, c’est une horreur. J’ai l’impression qu’il transpire l’alcool par tous les pores de la peau.

- Moi, je suis quitte pour lui tenir la bassine, presque à tous les coups. Dès qu’il s’allonge, la chambre se met à tourner et il dit qu’il va vomir. C’est charmant. Une fois, il n’a pas eu le temps d’atteindre les toilettes, alors maintenant j’anticipe. Quand je pense que moi, après trois bières j’ai les dents du fond qui baignent !

- Moi pareil. Et quand il est parti, impossible de l’arrêter.

- J’en ai marre de cette vie là. À Paris, c’est trop facile. Les bars à la porte, les copains à deux pas… Je voudrais bien que l’on s’installe en province, mais il dit qu’il n’est pas prêt.

- Oh tu sais, quand on a envie de s’en prendre une, on trouve toujours des potes, à Paris ou ailleurs. La preuve, Hugo n’a pas de mal à réunir sa petite troupe, et pas besoin de bar, ils ont toujours leurs munitions…

- T’as sûrement raison, ce ne serait pas forcément mieux. Et ça revient souvent… Si ça continue, je crois que je vais l’obliger à consulter.

- Oui, j’y ai déjà pensé, moi aussi, mais Hugo ne voudra jamais. Je vais d’abord en parler à ses parents, ils arriveront peut-être à lui mettre la honte ! C’est vrai que ce n’est pas une vie !

Et tu l’aimes encore ton Peter ?

- Oui oui, bien sûr. À part ça, il a de très bons côtés. Hormis la consommation d’alcool, on a beaucoup de points communs. Et toi ? Hugo ?

- Quand il se met dans des états comme ça, je le déteste. Chaque fois, je me jure que plus jamais je n’accepterai ça de sa part.

- Quitte-le, tu es jeune.

- Ouais, mais il a une bonne situation quand même. On sait ce que l’on quitte mais pas ce que l’on retrouve, comme dit ma grand-mère. Bon, je te laisse un peu tranquille, il faut que je fasse mon candy-crush, faut pas rater une journée…

- Ah d’accord ! Voilà une occupation saine !

C’est à ce moment là que j’ai pensé : si jeunes et déjà vieux !

Mon esprit se mit alors à vagabonder et à imaginer la rencontre de leurs deux conjoints, en admettant qu’ils se connaissent :

- Peter ! Ça fait un bail !

- Salut Hugo, tu vas bien ? Qu’est-ce que tu deviens ?

- Bah écoute, tout va bien. J’habite Paris maintenant.

- Toujours avec Benjamin ?

- Eh oui, c’est une histoire qui dure.

- La dernière fois que je vous ai vus, vous étiez ensemble depuis peu, ses parents n’étaient pas au courant. Il passait ses week-end chez eux sans toi. C’est fini ce temps-là ?

- Oui, bien sûr.

Peter ne s’étendit pas sur le sujet, taisant le fait qu’il s’était imposé au domicile des parents de Benjamin, sans y être invité et que son père l’avait mis à la porte. Il ne dit pas non plus à Hugo que Benjamin n’avait rien dit, rien fait, pas levé le petit doigt et avait laissé faire. Forcément, il était dans une mauvaise passe, sans boulot, et c’étaient ses parents qui finançaient en grande partie son train de vie, qu’il avait d’ailleurs plutôt luxueux.

- Et toi, avec Clara ? Ça se passe bien ? La dernière fois qu’on est venus chez vous, j’ai eu l’impression qu’elle n’appréciait pas que tu nous reserves à boire à plusieurs reprises, non ?

- Ah bon ? Tu crois ? Non je n’ai rien remarqué.

Il ne lui révéla pas qu’après leur départ, il avait eu droit à une énorme scène comme elle savait si bien les orchestrer : il ne pensait qu’à boire et à faire boire leurs amis, sans alcool, il était incapable de s’amuser (là, elle n’avait pas totalement tort), elle ne comprenait pas cela, trouvait ça complètement nul, allait lui prendre rendez-vous avec un addictologue, etc. etc. Elle en avait même parlé à ses parents, qui, heureusement, étant eux-mêmes bons vivants, ne l’avaient pas prise au sérieux et avaient continué à faire confiance à leur fils. Ils savaient très bien qu’il n’avait rien d’un alcoolique mais qu’il aimait simplement s’amuser. Hugo avait alors pris conscience qu’ils étaient de moins en moins souvent sur la même longueur d’onde avec Clara. Ils étaient du même âge tous les deux, n’avaient que vingt-quatre ans et vivaient déjà comme un vieux couple, entre leurs soirées devant la télé et leurs balades au parc pour seuls loisirs. Ils voyaient de moins en moins leurs amis, Clara lui indiquant qu’il allait encore trop boire s’ils organisaient une soirée. Heureusement, elle partait de temps en temps pour la semaine pour son travail, ça lui faisait des vacances. Sûr qu’il en profitait ! Et forcément, il lui mentait quant à ses activités pendant son absence. Elle l’avait bien cherché ! La remarque de Peter allait le faire réfléchir : qu’est-ce qu’il faisait avec cette fille qui lui pourrissait la vie ? De plus, depuis un peu, elle se montrait très dépensière, bien qu’ayant un salaire peu élevé, elle n’hésitait pas à taper dans sa paie à lui, jusqu’à épuisement. Est-ce qu’elle restait avec lui parce qu’il gagnait bien sa vie ? C’était possible. Il n’était plus jamais question d’amour entre eux. Il allait prendre une décision, il le fallait.

- Je t’offre un verre ? Proposa Peter.

- Pourquoi pas ?

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