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Brigitte LÉCUYER      NOUVELLES

Un petit clic

Le jour où j'ai supprimé Violette Bisson de mes contacts mails, j'ai appris qu'elle était morte. C'était un jour ordinaire de janvier, un jour froid où la neige par intermittence assombrissait l'atmosphère et l'humeur des piétons. Je sortais d'un épisode grippal et mon ordinateur subissait diverses attaques de virus jugées inexplicables par mon informaticien de fils, lequel avait pourtant installé un antivirus de choc. Depuis, on avait éradiqué les intrus, mais ce capricieux PC ramait et je ramais aussi. Cette langueur, cette absence de réaction à mes clics débridés mettaient mes nerfs à vif. Et puisque la météo se plaisait à me cantonner dedans, entre deux envois de nouvelles et les corrections d'un futur roman, j'optais pour la défragmentation sans façon et dans la foulée, le grand ménage d'Outlook.

La planche à repasser

Il y a bien des objets utiles dans la vie, et puis d'autres qui le sont moins mais qui ont leur place. La planche à repasser faisait partie des ces choses obligées dans toute famille, elle en avait vu et vécu des épisodes plus ou moins heureux, depuis le temps qu'elle trônait comme une antique vestale chez monsieur et madame Toulemonde. Madame Toulemonde l'aimait bien, enfin si on peut aimer une planche à repasser. Naguère, c'était il y a longtemps, on s'en était servi pour des dînettes improvisées, quand le jeune couple ne possédait pas encore de table. C'est donc sur elle, à hauteur réduite, que l'on posait le saucisson, que l'on taillait même la baguette. Les miettes, elle n'aimait pas ça, la planche à repasser, ça la grattait. Les taches de vin, elle s'en serait bien passé aussi, ce n'était pas raccord avec l'idée qu'elle se faisait de sa fonction.

La fille sur la photo

Il était présent, mais déjà il regrettait d'être venu. Pour passer le temps, il faisait crisser ses baskets sur le parquet ciré, tout en jetant un regard désabusé vers la Seine. Ce grincement eut l'effet escompté. Irritée, sa mère leva les yeux au ciel. Dimitri ne savait pas pourquoi il faisait cela, mais de l'agacer un jour pareil, lui procurait un plaisir puéril. Il continua un instant son petit manège et se lassa de son propre jeu.

Au loin, les péniches glissaient, dolentes sur le fleuve gris, mais Dimitri se fichait bien du décor qu'il ne connaissait que trop. L'ambiance était aussi glauque qu'un retour de vacances. Sa mère et sa tante affichaient des têtes d'enterrement, sauf que c'était de circonstance. Ses deux grands-parents venaient de mourir bêtement, fauchés par une camionnette folle, le jour du marché. Ils étaient quasiment morts sur le coup, lui d'une attaque, et elle d'une hémorragie interne, et depuis trois jours,on nageait en plein marasme. Dimitri aurait bien aimé compatir d'avantage, mais il ne trouvait pas les mots pour apaiser la douleur de sa mère, alors il se taisait.

Un départ à la neige

De birgit @ free.fr à Chantal @ wandadoo.fr

Ma Chantal,

Combien de fois en avions-nous parlé. Nous disions que si l'occasion se présentait, nous partirions, quitterions notre quartier et son cortège de bruits. Tu sais à quel point Alan tourne en rond depuis qu'il a pris sa retraite et je désespérais de le voir s'occuper, pensant qu'il fallait un sérieux coup de pouce du destin pour prendre LA décision.

Partir n'est pas une chose anodine (tu es bien placée pour le savoir), quitter tout pour vivre sereinement oui, mais pas n'importe où, n'importe comment, et nous n'étions jamais d'accord. Lui voulait la Bretagne, le bord de mer plus précisément, et même si j'adore la mer et que c'est un pays cher à mes racines, la côte est devenue quasi inaccessible pour nos moyens.

Nous errions donc sur les sites Internet à la recherche de l'endroit idéal où vivre en harmonie avec de bons voisins et la nature, mais nous allions de déception en déception. On peut donc dire que cet héritage arrive à point nommé. Alors après d'âpres et intenses discussions, va savoir pourquoi, nous avions finalement opté pour la montagne, c'est à dire tout le contraire de ce qui était prévu initialement. On s'est dit qu'avec le réchauffement climatique, la Bretagne deviendrait pire que la côte d'Azur et qu'elle serait envahie, submergée par les eaux et qu'il fallait viser ailleurs, se réfugier vers les sommets pour être épargnés.

Il s'agit d'un revirement de situation, j'en conviens et comme je suggérais à Alan de se rapprocher de ma mère qui est seule à présent à Annecy, la Haute-Savoie nous sembla convenable. Au moins, on était en pays de connaissance. Nous en avons parlé aux enfants, Juliette était pour, ce sera plus près pour elle que Paris ou la Bretagne, et comme c'est là qu'elle est née, elle aime y revenir. Quant à Johan et Cathy, l'idée de séjours à deux pas des stations de ski, ne pouvait que les réjouir, tu sais comme ils aiment skier.

Nous partons donc dès demain visiter des maisons choisies sur le net, assez proches des villes tout de même et je te ferai savoir la suite de nos recherches. Mais t'en fais pas, nous serons toujours aussi heureux de venir réchauffer nos vieux os au soleil des Matelles, ton si joli village, et de passer des jours délicieux en ta compagnie et celle de Jack.

Plein de bisous de Birgit

Peut-être

Peut-être qu'il pleuvait trop, peut-être qu'elle était trop triste, peut-être qu'elle n'en avait pas envie. Qui en aurait eu envie ? Elle savait juste qu'elle devait le faire, que personne ne le ferait à sa place cette fois-ci. Elle avait enfilé une paire de bottes noires, les gants caoutchouc de ménage, et elle était sortie ainsi, en oubliant son manteau.

Le soir virait désespoir. Le sac n'était pas très lourd, elle s'est arrêtée au pied du noyer qui semblait plus sinistre encore, dépouillé de ses feuilles et de ses coques verdâtres. Lui, il aimait bien ce noyer, et pas les autres arbres du jardin.

Entre midi et deux

En cette journée d'hiver, sur le boulevard Victor aussi austère que les abords d'un cimetière, on pouvait voir une enfilade de troquets enfumés. C'était juste avant un certain mai qui deviendra légendaire, et à cette époque donc, on fumait beaucoup et partout. Les conscrits du Ministère de l'Air recevaient leur quota de poison en guise de consolation à leur incorporation. Sans s'en douter, l'armée intoxiquait ses recrues et personne ne s'en offusquait alors. Ainsi, chaque café ou restaurant baigait dans une purée opaque. C'était le lieu idéal de flirts éphémères, le bureau occasionnel d’esseulés en visite aux salons de la porte de Versailles ; les paquets de cigarettes changeaient de main et pour l'occasion servaient aussi de droit d'entrée. 

C'est sur ce même trottoir, à midi tapante, que Bertille et sa meilleure amie Alice sortaient du bureau. Elles avaient deux heures à tuer, et parfois elles déjeunaient à la cantine qu'elles expédiaient en vingt minutes chrono.

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