CARNET DE ROUTE ANNÉE ZÉRO - EXTRAIT
1
L'inconvénient des souvenirs, c'est qu'on ne choisit pas ceux qui remontent à la surface.
2
L'inconvénient d'être une bête de sexe, c'est qu'on finit toujours par se demander de qui sa compagne est _réellement_amoureuse – de son membre viril ou de soi ?
3
L'inconvénient d'être nul au lit, c'est qu'à chaque nouvelle relation amoureuse, on se fait larguer en vingt-quatre heures.
4
L'inconvénient du mariage, c'est qu'on ne peut plus laisser baigner sa vaisselle sale dans l'évier pendant huit jours (ni abandonner ses chaussettes roulées en boule sous le lit).
5
L'inconvénient du célibat, c'est qu'on est tout seul.
6
L'inconvénient d'être jeune, c'est d'être persuadé que ça durera toujours (et d'agir en (in)conséquence).
7
L'inconvénient d'être vieux, c'est qu'on ne sera plus jamais jeune.
8
L'inconvénient de l'avion, c'est que s'il arrive un problème, c'est la mort assurée (on ne peut même pas essayer de prendre le volant ou sauter en marche pour tenter de s'en sortir).
9
L'inconvénient de prendre le train, c'est qu'on connaît l'heure où l'on part. Mais jamais celle où on arrive.
10
L'inconvénient du football, c'est d'être un sport de manchot. On se retrouve avec des cuisses épaisses et musclées mais des bras pas plus gros qu'une baguette de pain.
11
L'inconvénient du rugby, dès lors que l'on dispute les mêlées, c'est de voir ses oreilles se transformer progressivement en feuilles de chou.
Ignominie Amour - Eric Scilien
Chapitre 1
Ça m’est tombé dessus à la seconde où je l’ai vue. Myriam Reinhardt s’est imprimée sur mon écran intérieur et depuis, où que je pose les yeux, elle est là, partout présente.
Au début, j’ai cherché des explications. Tenté de comprendre, rationaliser. D’accord, Myriam est nantie d’un physique avantageux, d’un visage aux lignes pures et d’une chevelure de lionne volume XXL – mais d’autres collègues comme Sandra ou Marine n’ont pas grand-chose à lui envier. Elles ne me font pourtant pas plus d’effet qu’un canard en plastique dans une baignoire d’eau tiède.
Alors quoi ? Est-ce son sourire, faussement angélique et qui en désarçonne plus d’un ? Son art du contre-pied, de la répartie brillante et inattendue ? (autant de qualités qui me font cruellement défaut) Est-ce son humour ravageur, son naturel en toutes circonstances ? Ses yeux couleur des mers du sud ? Ses décolletés vertigineux, la sensation tenace qu’il manque toujours un bouton à son chemisier – celui du haut, évidemment – et la lutte incessante pour ne pas succomber à la tentation du regard aussi plongeant qu’indécent ?
Je n’en sais rien.
J’ai cherché en vain pour aboutir à cette unique conclusion : je suis amoureux.
Moi, c’est Franck Varnier, vingt-quatre ans. Et toujours célibataire, ce que ne manque jamais de me rappeler ma bête noire qui, pour mon malheur, est aussi mon supérieur hiérarchique, Karl Müller – Monsieur Müller, comme il aime lui-même à me le rappeler.
J’ai la chance d’exercer le métier envié de Cash collector (autant présenter les choses sous cet angle - garder le sens de l’humour permet, parait-il, de préserver sa santé mentale).
Cash collector, c’est un terme pompeux qui signifie que je suis chargé de recouvrement de créances. En clair, je suis payé pour harceler des gens qui doivent de l’argent. Les harceler et les faire cracher au bassinet, quelle que soit leur situation. Pour cela, tous les moyens sont bons, de la fraternisation à la menace en passant par la culpabilité, la manipulation et l’utilisation d’autant de stratagèmes que l’esprit humain peut en concevoir.
Toute la journée, j’évolue avec un casque téléphonique vissé sur la tête. Je ne l’enlève que pour aller aux toilettes ou rendre des comptes à Müller.
Cent fois, j’ai pensé à démissionner. Mais impossible de passer à l’acte. Partir sans indemnités, je ne peux tout simplement pas me le permettre. La démission, c’est la mort du petit cheval et j’ai besoin de ce revenu pour payer mon loyer.
Au demeurant, il arrive que le plus difficile ne soit pas lié au travail en lui-même mais aux plaisanteries plus que douteuses de Monsieur Müller.
- Alors Varnier, toujours célibataire ? Mais qu’est-ce que vous foutez, mon vieux ? Il y a deux millions de femmes seules qui ont votre âge en France. Deux millions de filles qui se glissent sous les draps en rêvant d’un étalon comme vous, ne me dites pas que vous n’êtes pas capable de vous en trouver une !
Müller a le chic pour enfoncer le clou là où ça fait mal. Et toujours en public. En réunion ou à la cafétéria autour de la machine à café :
- Dites donc Varnier, elle ne me parait pas très bien repassée votre chemise. Il faut vraiment vous trouver une femme, ça devient urgent !
Il arrive que Müller se montre plus subtil, presque raffiné. A sa manière, évidemment :
- Alors Varnier, elle était belle ?
- Pardon ?
- Je vous demande si elle était belle ?
- Qui ça ?
- La fille avec qui vous étiez hier soir. Ne me dîtes pas que c’est en regardant la télé que vous avez ces poches sous les yeux !
Le genre de propos qui provoque l’hilarité générale, les rires gras de collègues secrètement soulagés de n’être pas pris pour cible.
- Allez Varnier, ne faites pas cette tête-là ! C’est une blague, rien de plus. Et souvenez-vous que la meilleure défense, c’est l’attaque !
Oui, je m’en souviens. Difficile de l’oublier, vu qu’il s’agit d’un des poncifs récurrents que Müller brandit plus souvent qu’à son tour. D’autres figurent en bonne place, du genre « Il n’y a pas de problème, rien que des solutions ! » ou « Quand on veut, on peut ! »
Le pire, c’est que Müller semble toujours convaincu d’énoncer la trouvaille de l’année, la formule magique que tous les hommes cherchent en vain depuis l’origine du monde.
Ceci étant, attaquer Müller – ne serait-ce qu’en mots – m’apparaît pour l’heure nettement au dessus de mes moyens. D’autant que Müller – Müller le teigneux, le taureau sanguin – Müller ne supporte pas la moindre contradiction.
La cinquantaine dynamique, coupe en brosse et yeux bleus acier, Müller est le prototype du cadre sûr de son pouvoir. Elégance vestimentaire jamais prise en défaut, costume sombre et cravate fantaisie, il frise le double mètre et affiche une carrure de rugbyman – plutôt deuxième ligne que demi de mêlée. Un début d’embonpoint n’enlève rien à l’impression de force qu’il dégage ; quelque chose en lui fait penser à un lutteur en costume de ville. Lorsque je me retrouve en sa compagnie dans un espace confiné, par exemple dans la cage de l’ascenseur, malgré mes cent soixante-dix-huit centimètres et mes soixante-neuf kilos somme toute parfaitement respectables, en comparaison le miroir me renvoie l’image d’un gamin qui n’aurait pas fini sa croissance, voire d’une demi-portion. Ce pourquoi dorénavant, dans cette situation, je préfère me concentrer sur la pointe de mes chaussures.
Comment réussir sa vie sans être une rock star - Eric Scilien
TOUT LE MONDE VEUT CHANGER DE VIE
- J'y vais. À ce soir ! murmure Nadège sur le seuil de la porte.
Il est tôt, le soleil du petit matin inonde la pièce en chantier d'une clarté lumineuse. Je suis assis en débardeur devant mon bol de café noir, les épaules nouées par des journées trop longues, la tête encore dans l'étau du manque de sommeil.
Depuis que le réveil à sonné, Nadège n'a pas dit un mot.
- Tu ne m'embrasses pas ?
Je la vois hésiter.
- Si.
C'est moi qui me lève et vais vers elle. Elle s'essuie furtivement une larme au coin des yeux.
- Qu'est-ce qui se passe Nad ? Qu'est-ce qu'il y a ?
- Rien.
- Si, je vois bien.
J'essaie de la prendre dans mes bras mais elle se dérobe.
- Laisse-moi !
- Dis-moi au moins ce qu'il y a.
Elle évite de me regarder dans les yeux.
- Allez ! Je t'écoute.
Ça sort d'un coup :
- Il y a que j'en ai vraiment marre ! Tu te rends compte de la vie qu'on mène ?
- Je sais, c'est pas facile mais...
- Mais quoi ? Au départ, on venait ici avec notre projet de chambres d'hôtes, mais pas seulement. On voulait aussi faire un enfant, tu te souviens ? Ça fait un an déjà. Et tu remets toujours à plus tard !
- Moi aussi je veux qu'on ait un enfant, Nad. Tu le sais bien. Ce n'est simplement pas le moment. Ce serait ingérable avec tout le boulot qu'on a...
- Alex, il faut que tu regardes les choses en face. On est en train de se planter. C'est beaucoup trop grand pour nous ; on y arrivera pas !
- Ne dis pas ça. On va y arriver.
Nadège passe une main dans ses cheveux. Je la vois prendre sur elle pour ne pas se laisser submerger par l'émotion - à moins qu'elle ne résiste à l'envie de m'arracher les yeux.
- Je préfère te le dire tout de suite, je ne passerai pas un autre hiver dans ces conditions.
- Je sais.
LES PLUS BELLES VICTOIRES SE FORGENT AU CŒUR DE LA DÉFAITE
Jamais je n'aurais imaginé tomber amoureuse de quelqu'un comme toi.
Un sportif.
Un coureur de 400 mètres de surcroit, un sport auquel je ne connaissais rien. Une espèce de saltimbanque aux yeux de mon éducation.
Non seulement j'avais une vision minimaliste de ta discipline, mais courir le plus vite possible sur une courte distance, employer ses journées, sa jeunesse à l'atteinte de cet objectif pendant que d'autres sauvaient des vies, se consacraient à la recherche ou construisaient des ponts et des routes, je trouvais qu'il y avait là quelque chose de décalé, presque absurde.
Et puis tu es entré dans ma vie et j'ai appris à voir différemment.
Je me suis rendue compte de l'engagement que cela représentait. Au niveau de l'entrainement mais aussi de la diététique et de la récupération. Dans une épreuve où le résultat se jouait au dixième, voire au centième de seconde, rien ne devait être laissé au hasard.
Et cette volonté de finir premier. L'espace d'une course, presque d'un instant, se hisser en pleine lumière au dessus du commun des mortels - comme une soif de perfection.
D'absolu.
COMMENT RÉUSSIR SA VIE SANS ÊTRE UNE ROCK STAR
Rock star
Moi mon truc, c'est la guitare.
Ça l'a toujours été, d'aussi loin que je me souvienne.
Je sais, je ne suis pas le seul. Qui n'a pas rêvé, au moins une fois dans sa vie, d'être une rock star ? De vivre une existence de rock star ? Pour moi, ça a longtemps été beaucoup plus qu'un rêve.
Adolescent, j'écoutais de la musique des après-midi entières allongé sur mon lit, les yeux fermés en imaginant enflammer la foules avec des solos enfiévrés.
Je rêvais de jouer dans des stades de cent mille personnes. J'aspirais à ce que le Monde entier se mette à l'heure de la Jean-Louimania (Jean-Louis, c'est moi).
Mes compositions, je les imaginais en tubes planétaires passés en boucle sur toutes les radios du globe. Sur mon écran intérieur, je distinguais clairement mon nom, mon visage sur de grandes affiches ; je me voyais faire les gros titres des journaux et des magazines en papier glacé - barbe finement taillée et regard pénétrant à la James Bond, époque Sean Connery - et goûter à l'ivresse de la célébrité.
Avec mon groupe, j'aurais sillonné les cinq continents lors de tournées triomphales. Je n'aurais pas hésité à ratisser large - de l'Australie au fin fond de l'Ouzbékistan en passant par Le Cap ou Honolulu, je me serais produit dans toutes les salles. J'aurais fini en apothéose dans les stades des plus grandes métropoles.
Persuadés de mon aura porte-bonheur, mes fans auraient été prêts à se battre pour m'approcher, me toucher, mes photos dédicacées se seraient moyennées à prix d'or. Mieux qu'une star, je serais devenu une icône.
Évidemment, je ne suis pas naïf. J'ai conscience que la vie d'une rock star n'est pas uniquement jalonnée de pure félicité.
À partir du moment où ma présence aurait suffi à déclencher l'hystérie à des kilomètres à la ronde, j'aurais été la cible numéro un des paparazzis.
Le moindre de mes écarts, un geste ambigu, une parole déplacée aurait fait le tour du monde. Et toujours de façon amplifiée, déformée. Jamais à mon avantage. J'aurais été en prise avec de multiples tentations, le sexe facile et les drogues dures au premier rang. Mais j'aurais su gérer.
Enfin, je crois.
On ne peut jamais être sûr, pas vrai ?
Au fond de moi, j'ai toujours eu la certitude d'être fait pour cette existence.
Malheureusement, force m'est de constater que le vent n'a pas soufflé dans la bonne direction.
Vent mauvais comme aurait dit Verlaine.
Aujourd'hui, je suis employé municipal aux espaces verts de ma commune. Je taille des haies et je ramasse les feuilles mortes, je désherbe et je tonds des pelouses. C'est un travail comme un autre, je ne me plains pas. Mais ce n'est pas vraiment l'avenir que je m'étais imaginé.