BOOKLESS EDITIONS

Maison d'Edition en ligne

  •  
  •  
  •  

C’IEL  -  Yves Durlin

Un nuage de rires

 

Un nuage se tord

De rire !

 

« Interdit le remord ! »

 

Un nuage se tord

De rire !

 

Sereine la pluie

Lui sourit sans remord

 

Nuage de rêve

Pluie sans trêve

 

Et tous deux

Ne pouvant faire

L’un sans l’autre

Et tout heureux

Ne pouvant faire

L’un sans l’autre

 

Le 10/11/2004

 

 

L’emploi du temps Cédric Le Calvé

Chaptitre 1

J’ai quand même un peu peur. Je sais bien que ce n’est pas un vrai rendez-vous, on n’apporte pas sa trousse et son cartable à un véritable rendez-vous. Mais c’est la première fois que je me rends chez Ilona, et si on m’avait dit, il y a deux jours, que je serais invité dans sa grande maison blanche, je ne l’aurais pas cru. Avec Ilo (c’est ainsi que ses copines l’appellent), on ne s’adressait quasiment jamais la parole. C’est le lot de tous les garçons et filles de notre école. Que ce soit en classe ou dans la cour de récréation, c’est un peu chacun dans son coin. On a ni les mêmes jeux ni les mêmes centres d’intérêt, cela ne facilite pas le rapprochement.

C’est sans doute pour cela que je me sens intimidé, c’est comme si je partais pour un pays inconnu, un territoire dont je ne sais absolument rien. Je me demande si ses parents seront là. Les miens, en tout cas, étaient ravis de me voir partir travailler tout une après-midi chez la meilleure élève de la classe.

— N’oublie surtout pas ton matériel Nino ! m’a répété dix fois ma mère.

 

Au crépuscule du jour

Chapitre I

Antonin a remarqué depuis quelque temps que Camille est tendue, qu’elle manifeste une humeur d’impatience sur des sujets qui lui paraissent anodins. Ce qui ne lui ressemble pas du tout !

Il fait son possible pour que les situations ne dégénèrent pas sur des conflits.

Il aime Camille et leur choix de vie lui convient, le remplit de satisfaction. Il a la certitude qu’il en est de même pour elle.

Tous les deux ont une vie professionnelle stable, des centres d’intérêts communs. Chacun a des activités personnelles en fonction de leurs besoins.

Les amis qui les côtoient ne cessent de leur dire qu’ils forment un beau couple, presque un « idéal » que certains aimeraient bien vivre !

C’est vrai que le rythme des journées, des semaines est intense. Peut-être trop ? Ils n’ont finalement que très peu de temps à partager tranquillement ensemble. Cela peut installer une fatigue importante se dit Antonin. Ce qui expliquerait le changement qu’il constate dans leur couple. Même les câlins sur l’oreiller n’ont plus tout à fait la même saveur, la même intensité.

Antonin se dit que c’est peut-être normal au bout de quelques années de vie commune.

Il y a eu aussi cet incident il y a trois mois. Camille lui annonce qu’elle est enceinte. Cela les bouscule, ils ne l’ont pas prévu dans l’immédiat, un accident constatent-ils.

Après bien des discussions sur cette situation inattendue, ils décident de ne pas garder cet enfant à venir. Ils ne sont pas tout à fait prêts. Camille doit relever des challenges à son travail, elle vient de changer d’entreprise il y a peu et elle dirige une équipe dont elle doit obtenir l’adhésion afin de construire et mener à bien le gros projet en cours. Elle aime son métier, en accepte les pressions multiples car elle ressent cet engagement comme étant un tremplin pour son épanouissement professionnel.

Elle est à un âge où elle peut différer son désir d’enfant. Antonin ne se sent pas encore dans la perspective d’être père, là, maintenant. Tous deux se sont redit l’amour qu’ils éprouvent l’un pour l’autre, leur confiance, leur complicité.

Antonin a fait du mieux qu’il a pu, avec attention et tendresse pour accompagner Camille dans cette étape qu’il a bien perçue comme une épreuve pour elle.

Aujourd’hui peut-être que cette tristesse qu’il voit dans son regard signifie le souvenir de ces jours difficiles ?

Une pensée le traverse comme une évidence. Camille n’aurait-elle pas un amant ? Ça expliquerait la tiédeur voire l’absence de plus en plus fréquente de son désir qu’elle justifie par une fatigue importante ! Et puis, elle n’est plus aussi câline, prévenante, à ses petits soins quand il rentre du boulot. Antonin sent une émotion désagréable monter en lui. La jalousie l’envahit avec le sentiment de trahison. La peur aussi, il panique un instant. « Non ce n’est pas possible, pas Camille » Lâche-t-il à voix haute comme pour s’en persuader !

 

Histoire d’en finir

Prologue

C’est seulement une fois ce récit bien avancé, que ces questions me sont venues : pourquoi écrire cette « Histoire d’en Finir » ? Qu’est-ce qui me pousse à vouloir mettre en mots cette histoire intime jalonnée de bonheurs et de maux vécus, compressés dans quatre mois de mon existence ?

C’est indéniablement une façon d’absorber ce qui est de l’ordre de l’incompréhension de situations inscrites dans une incohérence que j’ai vécue comme sidérante.

C’est aussi un moyen de faire « un pas de côté » face à cette fulgurance d’événements.

Salutaire est la dimension prégnante à chaque page, remplie des mots et des émotions qui traversent l’âme et viennent se poser en souvenir pour se transformer en expérience.

Le Deuil a plusieurs facettes, il contient un processus de cheminement contenant l’acceptation d’une finitude.

Sans prétention outre mesure, je définis ce récit comme un témoignage. Certes, pas des plus original mais particulier car chaque parcours de vie porte en lui sa propre singularité.

À sa lecture peut-être est-il possible d’y rencontrer des similitudes, faire des rapprochements, être interpelé par telle ou telle situation pour l’avoir un tant soit peu vécue, identifier des émotions connues ou bien au contraire, se sentir loin d’une telle histoire et pour autant y trouver un intérêt parce qu’elle ouvre à de l’inconnu.

Un récit, voilà ce que je désire exprimer à travers son déroulé, tissé à partir d’une trame linéaire des jours qui passent sur lequel sont brodés des points de vie, parfois maladroits parfois ajustés. Cela en fait-il une étoffe harmonieuse, chaotique ? Nul doute que c’est un ensemble, imbriqué d’attente, de dé-espoir, d’espoir, d’un souffle de lumière qui avive la création.

J’ai choisi une écriture au plus près de la réalité et de la spontanéité des moments vécus où alternent les sms échangés au cours de cette période ainsi que des explications, des éclaircissements nécessaires à la compréhension, des observations, des questionnements et des remarques sans jugement ni interprétation.

Je souhaite que le lecteur ait toute liberté sur la façon de s’approprier cette histoire contée.

Et comme tout conte, il y a un début et une fin.

Première partie

Il était une fois… Mardi 20 août 2019, Lyon

La Corrèze, Monceaux, petit village aux toits d’ardoises près d’Argentat qui offre son charme et sa langueur au fil de l’eau de la Dordogne. Elle est là, juste à quelques pas où j’ai planté ma tente. Un séjour rempli d’activités nature, de vols en ULM et de multiples partages avec mes amis : un temps de ressources bienfaisantes, heureuses.

Cela fait deux semaines déjà !

Le projet du retour : m’arrêter à Lyon pour voir mon fils et sa compagne. Belle perspective qui me met en joie.

C’était convenu, nous avons, avec le père de mes enfants, décidé lors de mon séjour en Corrèze, de nous retrouver ensemble chez notre fils. Le temps passe, dix-neuf ans que nous sommes divorcés. Un dé-ensemble douloureux. Durant ces années écoulées, nous avons tricoté une présence de parents, avec ses aléas, ses conseils de famille dans les moments forts et décisifs pour nos enfants mais aussi des moments heureux partagés sereinement. Aujourd’hui, nous avons des échanges apaisés, complices, dans le respect des êtres que nous sommes.

C’est lui qui s’est chargé d’une location, tout près de chez notre fils. Un bel appartement, grand espace, trois chambres, de quoi en avoir une pour chacun.

Il est descendu en train, nous devons remonter en voiture ensemble deux jours plus tard.

À Lyon, je suis attendue. Quel bonheur de se retrouver avec notre fils Léo et sa compagne Annabelle ! Deux journées de balades et expositions, un bœuf mémorable tous les quatre lors d’une soirée : les deux hommes à la guitare, moi au djembe et Annabelle à la voix !

En dehors de ces moments, je remarque qu’il écrit de nombreux messages sur son portable.

C’est lors de notre déambulation à une exposition, dans le centre de Lyon que nous l’avons « perdu » avant de le retrouver dans le jardin en pleine communication téléphonique. Il raccroche rapidement en nous voyant.

– J’étais avec ma tante, nous a-t-il répondu, pour se justifier. Sa tante ? Cela m’interpelle.

Le lendemain, matin du départ, lorsque nous nous préparons, je le sens « occupé », fébrile, content.

Je mets cela sur le compte de ces deux jours heureux que nous venons de partager et le moment que nous allons vivre puisque nous prenons un dernier petit déjeuner chez notre fils avant de prendre la route.

 

Confessions(honnêtement) mensongères

d'un garçon (bizarrement) normal

 

Gribouillage

 

J'écris mes mots

Mes brouillons

Mes histoires

Mes poèmes

Dans un cahier

Mon écriture n'est jamais la même

D'une page à l'autre

Elle est belle sur les versos

En pattes de mouches sur les rectos

À moins que ce ne soit l'inverse

Je garde ce cahier caché

Dans le tiroir de ma table de nuit

Ma crainte étant

Que quelqu'un d'autre que mon chat

Ne le trouve

Certains mots sont si raturés

Que la feuille s'en trouve percée

Les majuscules sont démesurées

Les marges sont remplies de dessins effrayants

Le diable est dans les détails

Les ratures

Les gribouillages

C'est surtout ça

Plus que mes textes

Que je cache

Raphaëlle - Brigitte Lécuyer

Dix-huit heures et déjà le brouillard s’épaississait sur la nationale 4. La bruine sournoise rendait la route luisante comme un ruban grisé. Nicolas se hâtait de rentrer chez lui. Un long week-end l’attendait. Lundi, il faisait le pont. Mardi c’était Noël. Mercredi, jour de la Saint-Étienne donc férié pour les Alsaciens. Longtemps il avait cru qu’Étienne était le saint patron de l’Alsace, sauf qu’il s’agissait d’Odile. Ça faisait deux ans maintenant que Nicolas habitait au pied du Mont Sainte-Odile.

Cinq jours de congé ! Quel bonheur ! Il n’a pas eu autant de repos depuis bien longtemps. Depuis que son frère jumeau s’est tué en moto, en juin de l’année dernière. Nicolas a décidé de rayer toute fête de son calendrier personnel, alors Noël sera pour lui un jour ordinaire, il tentera de ne pas y penser. Il a prévenu ses parents. Son père n’a pas insisté. Il ne peut pas, ne souhaite pas faire bonne figure seulement pour la galerie, pour les pièces rapportées. Il n’y tient pas, c’est tout.

Ce n’est qu’un demi mensonge, mais il leur a dit qu’il avait du boulot par-dessus la tête, et qu’il ne quitterait pas Paris : il sait que sa mère lui pardonnera ce manquement à la sacro-sainte fête de famille, pour eux aussi c’est tellement affreux. Il téléphonera, passera la voir plus tard, enfin après le 1er janvier, que pourrait-il faire pour la consoler, se dédoubler ? Tout seul, il est comme une tasse sans sa soucoupe, comme une reliure sans pages, comme un pantin sans ficelles.

Il se réjouit pourtant de revoir sa maison, de savourer ces cinq jours, sans devoir composer. Sa douleur et son chagrin, il les gardera au chaud dans sa solitude. À Paris, il y a toujours les amis qui insistent, des relations à ménager, des clients à sortir, des femmes à rassurer, pas moyen de souffler.

Sa petite maison d’édition ronronne doucement. Il est plus heureux maintenant dans ses choix, après tant d’années de doute. À trente ans, il était temps de bâtir enfin, d’avoir une situation stable. Il a monté sa boite seul, sans relation. Il est assez fier de lui, mène la vie qu’il veut, sort peu, il n’aime pas traîner le soir. Les concerts, la musique, occupent une grande part de sa vie, néanmoins. Il aime décompresser, ne se refuse pas une bouteille millésimée, un de ses péchés mignons qu’il apprécie de partager avec une amie chère, si elle approuve ce penchant et sait déguster sans faire de commentaires idiots.

Cette année, il a essuyé un échec cuisant. Dorothée, n’a pas compris son désir de vie rangée à trente ans. Elle essaie de le persuader que rencontrer du monde fait partie de son métier. Mais Nicolas estime trop les gens, les vrais pour accorder un semblant d’attention à ceux qui vivent de chimères, s’égarent dans le luxe et la débauche, ceux qui s’enivrent d’illusions et qui étalent leur fric avec ostentation.

Nicolas recherche des auteurs, mais pas n’importe lesquels. Il apprécie la poésie de l’écriture, ceux qui utilisent une langue imagée, celle qui touche le cœur et l’âme, des histoires simples qui savent faire vibrer l’émotion pure avec des personnages authentiques et humains.

Dorothée n’a pas souhaité le suivre sur ce chemin-là. Elle lui a dit qu’il fusillait son ascension sociale à ne vouloir écouter que les opprimés et les paumés. Elle était persuadée avoir raison. Ils en discutaient tout le temps et à bout d’arguments, elle fuyait, sortait en claquant ses talons trop pointus sur les tommettes de l’entrée, le laissant désarçonné par tant d’opiniâtreté. Dorothée partie. La belle affaire, elle ne lui manque pas tant que ça.

Ces cinq jours, Nicolas va s’enfermer à double tour dans son home poussiéreux, avec Brahms et Mahler pour compagnons du soir. Il fera tonner la nouvelle chaîne hi-fi, profitera de ce temps béni pour ne rien faire, n’aller nulle part, ne voir personne. Il débouchera deux ou trois bouteilles rares, s’enivrera sans complexe, seul. Il s’est fait ce cadeau pour Noël, trois cartons de crus sélectionnés avec soin par un vieil ami œnologue. Il s’en réjouit à l’avance et monte le son de sa radio pour se laisser chavirer par la symphonie n°4 de Mendelssohn.

– Mais qu’est-ce qu’il a ce con à me faire des appels de phares !

Nicolas pense qu’il y a sans doute des flics au prochain virage. Le compteur affiche 90, il ne roule pas si vite. Machinalement il lève le pied et malgré la brume qui s’épaissit, il aperçoit une forme qui parait humaine sur la chaussée. Quelqu’un assis au milieu de la route. C’est dingue pense-t-il avant de freiner à mort. Les pneus de sa Laguna ne crissent même pas. Il se gare sur le bas-côté, met ses warnings et descend pour en avoir le cœur net.

 

La décision   –   Brigitte Lécuyer

 

Posée sur la falaise, la station d’Ault est un balcon sur la mer.

Voilà ce que disait le dépliant touristique que j’avais eu par hasard entre les mains, il y a une dizaine de jours. C’est exactement ce qu’il me fallait : de belles falaises assez vertigineuses pour en finir en beauté, face à la mer du Nord, la mer témoin de ma naissance, spectatrice impassible de mon adieu, la mer qui a été mon berceau, sera mon catafalque. Je ne me suis pas couchée, à quoi bon ! Bientôt je ne serai plus jamais fatiguée, j’aurai l’éternité toute entière pour me reposer. J’ai roulé de nuit, deux heures qui m’ont semblé courtes et si longues à la fois. Je voulais assister au lever du soleil et j’ai pris la vieille Twingo, dix ans d’âge et de services rendus, dix ans de souvenirs, quelques bosses et cabosses. Je m’en voulais de l’abandonner ainsi, tache verte sur la place du village, mais il y avait tant de choses que j’allais abandonner, tant de gens. Je ne voulais plus y songer, réfléchir, je devais me concentrer sur l’ultime raison de venir jusqu’ici : ma mort, mon décès, mon trépas, ma disparition, la fin de mes angoisses, la délivrance de mon remords infini, l’oubli éternel.

Il n’est que six heures du matin, pas âme qui vive dans ce patelin du bout du monde, il est vrai que c’est dimanche et que le dimanche ici, comme ailleurs, on dort, avant que sonne la messe. J’attends que le premier bar ouvre ses portes pour avaler le verre du condamné. Ma bouche est sèche, ma langue comme un vieux morceau de savon, je tremble et n’ai plus de salive. J’ai l’estomac noué, et pourtant bien que ça paraisse incongru, j’ai envie d’un chocolat chaud avec des tartines, un désir qui parait décalé face à mon projet. Je repense aux tranches croustillantes tartinées de beurre salé, aux goûters de mon enfance. Bien sûr, c’est absolument idiot comme idée, on ne se suicide pas le ventre plein. Mais mon cerveau n’a pas encore intégré ce nouveau concept, je crois qu’il refuse de suivre ce délire.

Il fait nuit noire, je m’en vais d’un pas chancelant voir si l’église est ouverte pour une ultime prière. Mais l’église est fermée aussi. De toute façon, il y a belle lurette que je ne crois plus en rien. L’édifice affiche un air sinistre, accolé à une tour carrée hideuse, d’un beffroi à glacer d’effroi, la tour est surmontée de gargouilles grassouillettes qui n’effraieraient même pas un bébé. Mes bébés, il ne faut pas que je pense à mes bébés, mes tout-petits. Mes yeux brûlent et mon cœur décélère et vibre comme un tam-tam fou. Ma gorge est nouée, arriverai-je seulement à avaler un verre d’eau. La mer que j’entr’aperçois là-bas a l’air haute. Le temps est doux, trop doux pour une fin d’octobre, pourtant j’ai terriblement froid. Il n’y a pas de vent, je me demande si c’est un temps pour disparaître et s’il existe un temps idéal pour mourir ?

Je m’arrête devant l’église. Ici plus qu’ailleurs, le monument aux morts ne passe pas inaperçu. Malgré la semi-pénombre, j’arrive à lire les noms les uns après les autres, j’épluche toute la liste au cas où j’y trouverais le mien, une vieille habitude. Certains patronymes y sont gravés plusieurs fois avec des prénoms différents : je pense aux femmes, aux sœurs de ces gens, à ces familles décimées en si peu de temps.

Quelle connerie la guerre, mais il n’y a pas hélas que la guerre pour anéantir une famille, la mienne aussi est vouée au malheur, et nulle guerre n’en est responsable.

Quand j’arrive vers la grève, une eau grise et sournoise attaque les parois blafardes, qu’éclaire à peine un quartier de lune. Dans un grondement sourd, les vagues chargées de pesants galets s’écrasent sur cette craie friable. Je ne distingue pas au loin, le phare de l’île de Wight, sensé se trouver en face, ni les lumières de Brighton. Je n’irai pas à Brighton, ni à Wight non plus d’ailleurs, je n’irai plus nulle part, peut-être en enfer.

Depuis des mois, j’erre sans but, comme une somnambule, je fuis mon reflet, je traîne mon infamie. Il me semble que la honte est à jamais inscrite sur mon visage, que le monde me regarde de travers, sait de quel crime odieux je suis coupable. Je n’ai pas trouvé d’autre solution à mes problèmes que cette décision, cette idée qui me tourmente, endiguer le flot de mes remords, stopper là mes souffrances, arrêter de me faire un cinéma avec des si, si j’avais su, si j’avais vu, si j’avais été plus attentive, plus à l’écoute, plus plus plus, je n’en peux plus !

J’ai l’air comme ça de faire bonne figure, mais au fond de moi, je suis anéantie, détruite, brisée telle une poupée de porcelaine et mes morceaux à moi ne peuvent se recoller. Écœurée par ma bêtise incommensurable. Je ne suis à présent qu’une carcasse vide, où s’engouffrent des tempêtes de contradiction où les regrets me submergent par vagues rapides, où je ne désire plus imaginer un avenir avec quiconque, où le peu de volonté qui me reste, s’épuise, se fige et me glace le sang.

Je retourne vers la place et je jette mon trousseau de clefs sur le siège avant. Qu’importe si on me vole la voiture, d’ailleurs je laisserai les portières ouvertes. Un Gizmo jaune canari en peluche est accroché au rétroviseur, il se balance. Il a l’air de me fixer de ses gros yeux noirs. Ce regard sans vie me trouble plus que de raison.

Il fait toujours aussi sombre, le soleil hésite à se lever. Et s’il ne se levait pas ? Il faut que j’avale quelque chose, ou je vais tomber là et ne plus me relever. Il y a sans doute une bonne demi-heure de marche pour arriver en haut des falaises. De loin, elles me paraissent de plus en plus terrifiantes noyées dans la pénombre. Je suis une bonne marcheuse, et n’ai pas peur des petites grimpettes, mais celle-ci sera mon Golgotha, ma montée au calvaire avant le sacrifice. Je les ai choisies bien hautes, plus de soixante-dix mètres annonçait le dépliant et ça devrait suffire pour que je ne rate pas mon envol. Je n’ai pas l’intention de finir tétraplégique.

Il n’y a personne d’autre dans le troquet, que le patron et moi. Je commande un express et comme une vulgaire touriste, je l’interroge sur l’altitude des fameuses falaises. Je réalise l’incongruité de ma question, après tout, qu’importe la hauteur. Le patron ne sait pas très bien, et dit qu’il n’habite ici que depuis trois ans. Je ne parviens à avaler que la moitié du café qui me parait fadasse, j’ai déjà perdu la saveur des choses, le goût même de la vie.

Traverse - Roman de Nina SOLAL

 

PREMIERE PARTIE

 

Bien que récalcitrante, son arrivée était pourtant programmée. Pour se tenir éveillée, la sage-femme qui avait réparé sa blouse à grands coups d’agrafeuse fredonnait machinalement la première symphonie de sa vie : « aujourd’hui peut-être ou alors demain ».

C’est dans ce contexte qu’elle vit le jour, après s’être fait longtemps attendre. Elle fut très bien accueillie, par un père entièrement sous le charme de sa paternité, tandis que sa mère s’endormit d’épuisement. S’ils s’étaient appliqués à choisir consciencieusement son prénom, ils l’avaient abandonnée aussi sec un beau jour de psychose paranoïaque juive. Le ton du père avait été si solennel que la mère ne put rien ajouter.

Je refuse de l’appeler Sarah.

Pourquoi ? On s’était mis d’accord.

J’ai l’impression que tu te rends pas compte ? Avec son nom de famille, si tu mets un s final à la place du z, et si ça recommence, elle est bonne pour les camps de concentration.

Ça fait quand même beaucoup de si pour en arriver là.

Oui mais je veux pas lui faire courir ce risque.

Après cet épisode, à court d’idée, ils envisagèrent Thérèse, sélectionné pour la rime avec son patronyme. Mais finalement, ils optèrent pour Rosa, le nom de la ville que sa grand-mère venait de visiter. C’est ainsi que se prennent parfois les plus grandes décisions.

Elle devrait lui en être encore reconnaissante de ne pas avoir choisi une ville dont un nom aurait bien pu la poursuivre toute sa vie, car elle ne manquait pas d’idées loufoques. Ce jour-là, Rosa unit son destin à celui de sa grand-mère.

Son enfance fut marquée par les mouvements rythmiques de parents amoureux et la musique de leur douce folie. Leur passe-temps favori était d’aller à l’encontre des conventions sociales et de prendre d’emblée, et définitivement les autres pour des imbéciles. Parfois, ils s’asseyaient sur les trottoirs et regardaient passer les cons.

Tu as vu cet air de crétin ?

On se demande si le sang irrigue son cerveau.

On dirait même qu’il s’arrête aux chevilles.

Et cette femme, là-bas, qui se promène avec ce magazine débile sous le bras. Elle va sûrement pas inventer la poudre avec !

Mais du haut de leur hauteur et de leur nombrilisme juvénile, ils la conçurent très vite et se marièrent. Ce qui ne leur laissa pas beaucoup de répit pour pouvoir rêver à leur prétendue supériorité et s’enorgueillir de toiser le monde.

L’excentricité régnait malgré tout dans le foyer. Les desserts étaient souvent distribués avant le plat principal. La mère besognait exclusivement à l’extérieur tandis que l’homme aimait s’occuper de l’enfant en bas âge et des tâches ménagères. Ils étaient plutôt beaux. Lui, particulièrement musclé et sportif. Ses cheveux longs et ses traits fins lui donnaient un air doux, qui contrastait avec son charisme de brute épaisse. Après une scolarité catastrophique, il avait réussi brillamment ses études supérieures en devenant chef d’entreprise. Il était fier de son ascension sociale. Son aisance financière le rassurait et il dépensait sans compter. Elle, provenant d’un milieu bourgeois aimait plaire et soignait son apparence. Ils n’avaient pas d’amis et survolaient la vie avec humour.

Les premières années de Rosa furent remplies de joie et d’affection, surtout de la part d’un père qui considérait sa première fille comme un précieux trésor. Il était très attentionné. Elle fut donc portée par une profonde bienveillance jusqu’à son entrée dans le monde extérieur, celui de l’école, qui lui parut extrêmement violent voire même absurde. Les années soixante-dix avaient pourtant de grands penseurs, plutôt novateurs en matière de pédagogie, mais elle n’en vit jamais la trace ne serait-ce que dans l’œil de ses guides.

Ceux qu’elle connut, lui firent manipuler de la pâte à modeler si dure qu’elle avait souvent tout juste le temps de la chauffer, quand l’activité s’arrêtait, systématiquement, là. Au moment où elle aurait pu commencer à créer avec cette substance, elle restait sur sa fin. Elle l’aurait bien mâchée pour avoir le temps de la réchauffer et de la pétrir. Mais à l’école, l’essentiel était d’obtempérer, surtout si les activités n’avaient aucun sens. Quand le protocole n’était pas respecté, les punitions pleuvaient. Avec sa mimique d’actrice, l’enseignante de Rosa posait chaque année, toujours et invariablement les mêmes questions. On s’en doutait, rien qu’en observant son air parfaitement mécanique au point d’être inconscient :

— Et le chat, qu’est-ce qu’il fait le chat ?

— Le chat miaule.

— Oui, c’est bien.

— Et le chien, qu’est-ce qu’il fait le chien ?

— Le chien aboie.

Oui. Et le cheval ?

— Il vole !

— Non Rosa, je te pose encore la question, qu’est-ce qu’il fait le cheval ?

Il vole !

Une seule parole qui sortait du cadre et la sentence était suprême : dix minutes au coin et parfois un scotch sur les lèvres. Comme un pansement sur la liberté. Elle ne sut jamais pourquoi le fait d’insister pour dire que les chevaux volaient, lui valut de connaître le baptême de la double peine mais ce fut le début de ses nombreux doutes quant au bien fondé du système scolaire. Heureusement, comme tout un chacun, elle trouvait du réconfort dans la cour de l’école, là où les enfants étaient moins contrôlés. Pendant ces précieuses minutes, elle pouvait jouer et inventer car rien, durant la classe, ne ressemblait à un jeu. On aurait plutôt dit que les enfants faisaient semblant, chacun jouant un rôle avant que la sonnerie libératrice ne retentisse. Alors les masques pouvaient tomber et les enfants devenaient enfin vrais entre les grilles du parc au savoir.

Le jeu préféré de Rosa gravitait autour de la seule pente en béton, qui lui permettait de rouler allongée du haut vers le bas, en prenant de la vitesse. Elle avait fait ça dans l’herbe et elle en avait tellement apprécié la sensation, qu’elle reproduisait l’ivresse quitte à se faire mal sur les graviers. Elle éprouvait tant de plaisir qu’elle se fit rapidement une camarade de jeu et son nom, Florence Pietro sonna comme une promesse. À chaque récréation, elles se serraient l’une contre l’autre puis elles dévalaient la pente dans un fracas de fous rires. Ce fut le premier souvenir d’une grande complicité avec une autre, même s’il fut malheureusement associé à sa toute première incompréhension du monde adulte.

Le maître de barque

Chapitre 1

— Bordez les voiles ! hurle le capitaine de l’Élégante, le deux-mâts de quarante tonneaux chargé de ballots de toiles mais surtout du granit de l’Aber-Ildut apprécié jusqu’aux maisons nantaises pour sa robustesse face aux caprices du climat breton.

Depuis le petit matin, une tempête estivale mugit entre la pointe du Raz et Penmarc’h, à l’extrême ouest de la péninsule bretonne. Une tempête comme Pierre Le Maillet, le maître de barque, en a rarement vue à cette époque de l’année sous l’effet d’un vent forcé de ouest-surouest.

Il faut ferler au plus vite !

Sur tous les navires passant le Raz de Sein, une langue de mer lacérée par les violents courants prisonniers entre une île et la terre, les équipages, visages tuméfiés par la peur et l’effort, luttent pour sauver leur navire : le Bienheureux St Jean parti de Morlaix pour rejoindre la Rochelle, Oléron puis Bilbao, le Catherine Elisabeth qui remonte vers Caen et même La Marie Jeanne de l'Aber Benoît, en route vers Noirmoutier.

Pierre Le Maillet connaît bien ce navire. Celui-là et la Catherine d’Argenton qui s’est ravitaillée à Nantes avant de rejoindre le port de Rouen mais qui à présent, comme tous, subit les assauts de l’ouragan. Originaires de Porspoder, dans le Léon, Pierre et les maîtres de barque de la Marie-Jeanne et de la Catherine sont amis depuis l’enfance. Mais comment leur venir en aide alors que lÉlégante, ce 11 août de l’an de grâce 1723, gîte elle-même dangereusement sous les masses d’eau que la mer déchaînée vomit !

Dire qu’elle était si paisible hier soir. Pas un souffle. Juste cette lourdeur oppressante des soirs d’été asphyxiés. Aucun navire n’avançait, statufié au milieu de l’océan face au grand beg rocheux qui d’ordinaire tient tête aux assauts des vagues.

Le vent s’est réveillé durant la nuit.

Tranquillement d’abord, les souffles ont peu à peu gagné en puissance. Les hommes en ont profité pour hisser la voilure et se laisser enfin porter par ce vent capricieux mais la mer n’a pas apprécié d’être dérangée dans son sommeil.

La houle a rapidement forci et il a fallu prendre des ris et diminuer de nouveau la surface de certaines voiles en nouant les garcettes pour soulager le foc mis en danger par la force de la mer sur l’étrave. Puis très vite, mettre à la cape. Positionner le navire face au vent et lui permettre d’étaler la vague.

Des caboteurs aux navires au long cours qui attendaient patiemment le bon vent pour repartir vers leurs destinations, tous les hommes se sont activés, le geste sûr malgré la houle dans le ventre. La tempête n’allait en faire qu’à sa tête. Tous le savaient.

Pierre Le Maillet, lui aussi, a ordonné de virer de bord et une fois le foc bordé du côté au vent, de choquer la grand-voile et de pousser en grand la barre sous le vent pour immobiliser le plus possible le sloop pour sa sécurité et celle des hommes et du chargement. Puis s’épuiser à tenter de sauver le chargement et attendre, les viscères prisonniers de l’angoisse.

Et à présent, la tempête bouscule les navires, les envahit, les éventre, arrachant la voilure et craquant les mâtures. Elle ne veut plus d’eux sur son territoire. Qu’ils aillent au diable avec leurs mâts orgueilleux alors qu’ils ne sont rien face à la puissance et à l’immensité de sa seigneurie.

D’une chiquenaude pour elle, d’un tsunami pour eux, elle les pousse vers la côte et tant pis si les coques se fracassent ou si des hommes se noient. Ces dommages collatéraux ne sont qu’un grain de sable de plus échoué sur la plage de la baie des Trépassés.

Le bruit assourdissant empêche toute communication verbale entre les hommes qui d’ailleurs, ne tiennent plus debout, s’accrochant l’un à la bôme, l’autre à une drisse. Durant plusieurs heures, l’Élégante se retrouve rincée, défigurée et chavirée pour péniblement se redresser avant un nouvel assaut de la mer qui transforme ce sloop mais également de puissants trois-mâts en petits bouchons de liège ballottés par les flots.

De tous bords, les hommes hurlent, souquent l’un un filin, l’autre la barre à roue pour tenter de maintenir l’assiette mais la puissance de la mer est telle qu’elle bascule tout, hommes, gréement et marchandises qui se retrouvent projetés d’un bord à l’autre en écrasant des bras ou des jambes au passage.

— Hommes à la mer ! hurlent des marins de la Catherine d’Argenton, tout près, à tribord.

Le bruit des mâts qui cèdent : grand-mât, beaupré, mât de misaine et d’artimon… Le pin ne résiste pas à une telle hystérie. Il se fend et entraîne avec lui vergues et voiles qui s’étalent sur les flots telles des jupes de femmes avant d’être avalées.

Partout, les gréements s’effondrent, les navires éclatent, les hommes crient, le vent et la mer mugissent.

Une seule solution : prier Sainte-Marie et tenir. Le vent et la mer finissent toujours par se calmer même si, pour l’heure, le raz de Sein s’empiffre.

On ne lutte pas contre la mer, on s’en accommode.

L’Élégante s’accroche mais des vagues scélérates entravent la moindre manœuvre et avalent une bonne partie de la cargaison dont les blocs de granit à destination de Nantes. Qu’importe ! Pierre Le Maillet pense avant tout à ses hommes. Il leur ordonne de se protéger et les encourage à tenir, coûte que coûte.

Il y a toujours un coin de ciel bleuFrançoise Le Meur

DIMANCHE

Les autres croient toujours savoir mieux que vous ce qui vous convient. En particulier lorsqu’ils ont seize et dix-huit ans et qu’ils sont vos enfants.

Mais bon sang, pourquoi ce cadeau ?

Si encore j’y étais allée avec eux ou tout au moins avec Mia, passe encore ! Mais non, c’est pire que ça, je dois y aller toute seule !

Mais qu’est-ce que je leur ai fait pour mériter ça ?

Bon, d’accord, il arrive qu’on se dispute mais il faut voir dans quel état ils laissent leurs chambres certains jours ! Une chatte n’y retrouverait pas ses petits ! Et puis cette manie de se changer trente-six fois par jour, y a la machine maman ! Oui mais la machine, elle marche à quoi ?

Bien sûr, je l’ai sentie venir cette fête organisée pour mes quarante ans. Je n’étais pas spécialement jouasse mais après tout, je m’étais dit que ça apporterait un peu de gaieté dans cette maison qui n’en a guère connu depuis quatre ans. Et Julien et Mia avaient l’air d’y tenir, alors !

La fin du repas est arrivée et avec elle une belle enveloppe tenue fièrement par ma fille :

Bon anniversaire maman ! C’est de la part de tout le monde, a-t-elle précisé visiblement émue, en désignant l’assemblée.

Merci à vous tous alors !… Allez, je l’ouvre !

Je m’attendais à un bon pour un vélo, le mien est cassé depuis un moment ou des places à bord d’un navire pour me rendre à Ouessant avec les enfants, ça fait un bout de temps que je n’y suis pas retournée, mais alors certainement pas à ça !

Bon pour une cure anti-stress d’une semaine

dans un centre de thalassothérapie.

Valable pour une personne.

Trois propositions de lieux ainsi qu’une date limite suivaient cette invitation reçue comme un uppercut.

Alors comme ça, ils me trouvent trop stressée ! En tout cas, maintenant, c’est sûr, je le suis, hyper stressée !

Qu’est-ce que je vais fiche pendant six jours, toute seule, en peignoir, bonnet de bain et claquettes à me faire chouchouter comme ils se dépêchent de me préciser en voyant mon expression estomaquée.

Et puis qu’est-ce qu’ils en savent, eux, si j’ai envie de me faire chouchouter ?

Comment ont-ils pu imaginer que j’aimerais être tripotée ou couverte de boue ! Pas besoin de dépenser une fortune pour ça ! Autant me déshabiller et me rouler dans le jardin après une quinzaine pluvieuse ! La boue, ce n’est pas ce qui manque par ici !

Je vous remercie, vraiment, c’est un magnifique cadeau ! Vous n’auriez pas dû, vraiment !

Quelle hypocrite !

J’ai toujours pensé que ceux qui emploient souvent cet adverbe « vraiment » au fond pensent le contraire, vrai-ment, mentir sur la vérité. Et voilà qu’aujourd’hui, je le choisis à mon tour pour remercier mes enfants, mes frère et sœur, leurs conjoints et mes amis, des gens qui comptent énormément pour moi et qui ne cherchent sans doute qu’à me faire plaisir.

Pourtant, malgré ma bonne humeur affichée, j’ai le diaphragme aussi pesant qu’une barre de plomb.

Pourquoi suis-je tellement en colère ?

Qu’est-ce qui m’inquiète à ce point ?

***

Le jour du départ, au volant de ma vieille Mercedes « élégance », je pense à Julien et Mia, mes deux grands. Ils sont tellement attentionnés depuis la mort de leur père.

Trop.

Depuis quatre ans pourtant, j’essaie d’être forte et de combler l'insécurité dans laquelle le décès les a plongés. Surtout ne pas laisser un sentiment d'abandon s’ancrer en eux pour le restant de leur vie.

Du coup, je m'accroche à Julien et à Mia telle une bernique sur son rocher. Je les entoure. Je les porte. Je les serre. Bref ! Je les étouffe !

Ils sentent certainement cette peur du gouffre tapie en moi, cette immense angoisse qui me maintient en permanence aux aguets. La médecine parle du bout des lèvres de troubles psychiques liés au deuil, comme si ma psyché et mon corps étions deux entités indépendantes l’une de l’autre. Mais la réalité c’est qu’il s’agit bel et bien de moi qui depuis quatre ans brûle, se visse et s’asphyxie.

Quatre ans que je suis incapable de m’endormir sans être aspirée par des bouffées d’abîmes comme je les appelle, la tête, le corps, parfois même les jambes inondées par l’angoisse.

Au début, malgré ma sensibilité extrême aux médicaments, j’ai opté pour des somnifères et leurs fâcheuses conséquences sur moi. Je ne les supporte pas mais alors, pas du tout ! Ils ne m’endorment pas, ils m’anesthésient ! Les réveils nauséeux et les pertes d’équilibre, trop peu pour moi ! J’avais l’impression d’avoir picolé toute la nuit. Pourtant, sans eux, à peine fermais-je mes paupières épuisées qu’une puissante lame d’angoisse déferlait dans mon thorax, le sciant en deux et je me retrouvais illico assise dans mon lit, le souffle coupé, les battements cardiaques en plein marathon et des coulées de sueur sillonnant ma peau brûlante.

L’horreur !

Alors, j’ai cédé.

Les benzodiazépines anesthésiaient mes terminaisons nerveuses et je tombais comme une masse quelques minutes à peine après les avoir ingurgitées. Gare à moi si je les prenais avant d’être dans mon lit, ce que j’ai eu la mauvaise idée de faire un soir et je me suis retrouvée par terre, devant la porte des toilettes ! Julien a dû m’aider à me coucher, je n’arrivais même plus à aligner deux pas toute seule.

La honte !

Il a dû croire que je m’étais mise à boire.

L’autre souci était que si l’anesthésiant faisait plier ma conscience, les cauchemars, eux, avaient le champ libre pour transformer mes nuits en film d’horreur. Du genre de celui-ci qui m’a hantée longtemps :

Des vers brun orangé grouillaient partout sous ma peau. On aurait dit des petits morceaux de curcuma. Si je ne les extrayais pas au plus vite un à un, ils risquaient d’entrer en combustion à tout moment et me brûler vive de l’intérieur. Alors, j’ai incisé ma peau à l’aide d’un scalpel pour la débarrasser le plus vite possible de ces maudits parasites et les jeter dans les toilettes. Là, à peine entrés en contact avec l’eau, ils se sont enflammés puis désagrégés. Quelle panique à l’idée de ne pas me libérer à temps !

Au réveil, ma housse de couette était toute déchirée, ma peau lacérée par mes ongles et mes cheveux indémêlables. Heureusement que j’étais seule dans ma chambre, on m’aurait internée d’autorité.

Depuis, je n’ai plus acheté de curcuma frais, uniquement en poudre !

En bref, la nuit n’était pas mon moment favori ! Aussi, dès que le matin pointait enfin son nez, je sautais directement dans un jogging et me soulageais en pédalant vingt kilomètres sur mon vélo d’appartement ou, si j’avais suffisamment de temps et qu’il ne pleuvait pas, enfin pas trop, je vis en Bretagne tout de même, je glissais dans l’aurore marcher dans la campagne avoisinante.

Aligner les kilomètres, la fraîcheur du petit matin sur les joues, m’aidait à reprendre pied avec la réalité.

Le problème c’est que, quatre ans plus tard, je ne prends plus de somnifères, mes cauchemars sont beaucoup plus rares mais je continue à marcher ou pédaler chaque matin et je me retrouve avec des cuisses de coureur cycliste !

Je suis devenue accro, comme me reproche gentiment Julien ! Il a raison, il me faut ma dose de kilomètres comme d’autres ont besoin de caféine. Vous me direz que c’est bon pour le cœur, etc. …Mais ça prend un temps fou de faire ça chaque matin et ça m’oblige à me lever une heure plus tôt au minimum !

***

Mais qu’est-ce qui fait celui-là, il n’a pas vu que la vitesse est limitée à 90 ici ? Tu peux toujours me coller, j’n’irai pas plus vite tu sais !

Les gens ont tous peur de mourir et pourtant certains jouent leur vie et celle des autres tous les jours pour gratter quelques minutes sur un trajet.

Allez, double ! Vas-y, fonce !

En fait, je mens lorsque je me raconte que ça fait quatre ans que j’essaie d’être forte pour mes enfants.

Quelques mois après le décès, j’ai baissé les bras.

La souffrance alors était telle que, sans une hospitalisation durant laquelle je me suis laissé porter par le milieu médical pendant plusieurs semaines, je serais peut-être partie rejoindre Patrick.

J’observais les autres graviter autour de moi mais je ne faisais plus partie de leur monde. Mon tyran intérieur occupait tout l’espace. Il ressassait le passé tout en craignant un futur semé d’embûches gigantesques, terriblement inquiétant voire impossible.

Abandonnée.

Perdue.

Vide.

Depuis toute petite, je dois composer avec une sensibilité exacerbée qui m’entraîne dans des émotions très fortes dès que je suis trop stimulée. Et la stimulation, ça me connaît, je suis plutôt du genre hyper que hypo ! J’ai l’esprit en éventail. À partir d’une idée, d’un projet ou même d’une observation, il se déploie en arborescence et très vite je me retrouve débordée. Je n’ai jamais vraiment réussi à gérer ça. On a beau me dire que c’est un atout, c’est loin d’être évident au quotidien.

Sans parler de mon intuition fulgurante qui ne me laisse guère de répit. Parfois c’est un avantage quand, par exemple, je trouve la solution à un problème comme ça, sans savoir comment j’ai fait. Mais parfois ce que je perçois m’inquiète et je dois valider ou invalider mon intuition sous peine de rester angoissée. J’ai beau me convaincre que ce n’est qu’une pensée et que les pensées ne sont jamais que des mots que nous nous formulons, je n’arrive pas à défusionner avec elles et très vite elles occupent tout l’espace et m’envahissent.

Bref, un cerveau en ébullition permanente, très réceptif aux humeurs et aux émotions d’autrui. Une éponge  qui, comme les pompiers, passe beaucoup de temps à répondre aux fausses alertes.

Pas évident de vivre avec ça !

Bien sûr, du coup, j’ai toujours plein d’idées et plein de projets mais dès qu’il faut les mettre en pratique, oups, je me glisse sous la table ! Avec une estime de moi qui elle par contre est plutôt du genre hypo qu’hyper, je manque tout le temps d’assurance.

Alors, quand l’environnement a changé brutalement, que les repères affectifs ont disparu et qu’une émotion puissance mille m’est tombée dessus, tout s’est effondré.

Plus de sens à donner à ma vie.

Plus de force pour poursuivre un chemin dans lequel j’étais complètement perdue.

Je n’avais pas peur de la mort au contraire, elle m’attirait, m’enveloppait, m’aspirait avec sa voix faussement sucrée.

Non, en fait, j’avais peur de vivre !

Et puis un matin, j’ai décidé de quitter la clinique, de refermer la parenthèse « assistée +++ », de rentrer m’occuper de mes enfants et de retourner travailler avant de perdre la seule source de revenus qu’il nous reste.

Je nous ai harnachés, mes enfants et moi, au mât de notre deuxième vie et depuis nous avançons tous les trois, ensemble, dans la même direction.

Enfin je devrais plutôt dire nous avancions, car cette façon subtile de me dire qu’il est temps de larguer les amarres n’est pas tombée dans l’oreille d’une sourde.

C'est Mia, paraît-il, qui a eu l'idée de cette thalasso. Du haut de ses seize ans, je suis sûre qu’elle aurait adoré se faire masser, modeler et bichonner, elle.

Alors j'ai proposé d'y aller avec elle en lui offrant sa cure. Oh, ma fille n’était pas contre du tout à en juger par son visage radieux, mais voilà ! Julien est monté sur ses ergots et a fait valoir sa majorité nouvellement acquise pour prétendre au droit de rester seul avec sa sœur :

Au moindre problème, j'appelle tata, a-t-il affirmé. T'as pas à t'en faire, je t’assure ! Pars !

Et vlan ! Je n'ai rien pu dire, rien pu faire.

Juste préparer ma valise sans trop savoir quoi mettre dedans.

J'ai regardé la route sur Google Map et me voilà à présent, toute seule, sur la nationale 165.

Mais qu’est-ce que je fous là ?

Trente minutes à vivre - Eric Scilien

ON VA CHANGER LE MONDE

La nuit tombe derrière les vitres de la BMW série 7. Installé sur le siège arrière, Xavier de Ligny jette un œil distrait sur la rubrique économique de son journal.

 Ici et là, les lumières s’allument en contrepoids du crépuscule naissant. Les rues de Paris défilent sans que de Ligny y prête attention. Conduite en souplesse, sans à-coups. Entre le chauffeur et son patron, aucun mot n’est échangé. Bien que la circulation s’avère particulièrement fluide, la voiture quitte les grands axes pour s’engager dans les rues adjacentes.

 Xavier de Ligny lève la tête de son journal.

– Vous empruntez un nouveau trajet ?

– Oui, Monsieur. Pour éviter le pont de l’Alma. Un collègue m’a informé d’un bouchon dans ce secteur. Un accident, je crois.

 De Ligny se replonge dans sa lecture. Pas longtemps.

– Mais par où est-ce que vous passez ? Il ne me semble pas que vous alliez dans la bonne direction.

– Pardon ?

– Vous n’allez pas dans la bonne direction ! s’agace de Ligny.

– Si, vous allez voir. C’est parce que je fais une boucle.

– Une boucle ? Qu’est-ce que c’est que cette histoire ?!

– Vous n’allez pas tarder à vous rendre compte par vous-même.

– Ça suffit maintenant. Faites-demi-tour immédiatement !

– Nous y sommes presque.

– Je vous ordonne de faire demi-tour !

 Le chauffeur ne répond pas.

– Mais enfin, répondez ! Vous êtes devenu fou ou quoi ?!

 Soudain, la BMW oblique dans une ruelle et pile sans prévenir ; de chaque côté de la voiture, des mains ouvrent les portières arrières et deux hommes montent dans le véhicule, coinçant de Ligny entre eux.

– Pousse-toi !

 De Ligny n’a pu esquisser un geste que déjà, il se voit recouvrir la tête d’un sac poubelle.

– Tu bouges, tu cries et je t’étouffe avec le sac, compris ?

 Claquement de portières. Une vive marche arrière et le chauffeur reprend sa route.

 

Au bord du vide et le soleil dans les yeux, j'ai accéléré

UN SOIR, ON A FRAPPÉ À MA PORTE ET JE N’AI PAS OUVERT

Un soir, il y a longtemps

quelqu’un a frappé

à ma porte

 

J’habitais un studio dans un immeuble

de sept étages qui donnait

sur le boulevard et il était

presque minuit

 ?

 je me suis demandé

qui frappait

 

ça ne pouvait pas

être un voisin qui serait

venu quémander un carton

de lait pour ses chiards

ou un morceau de pain

ou je ne sais quoi

d’autre

 

avec les voisins

on se connaissait

à peine, on se disait tout juste

bonjour

en se regardant à distance avec des yeux

de merlan frit

 

Ça a frappé, une seconde fois

- et plus fort

comme si

l’être ou l’entité ou quoi que ce fut

derrière la porte,

commençait à s’impatienter

et je ne sais pourquoi mais

 

je n’ai pas ouvert

 

je suis resté immobile dans mon studio,

perché au septième et dernier

étage de cet immeuble qui donnait

sur le boulevard, immobile et sans bouger

en attendant que l’individu

ou la créature derrière la porte

finisse

par s’en aller

 

et je n’ai jamais su

qui avait frappé à ma porte

 

C’était au siècle dernier, quelque part

dans les années quatre-vingt-dix

et j’y songe encore aujourd’hui,

presque chaque jour

 

N’avais-je pas commis

une erreur ? De celles après lesquelles

on court toute son existence,

sans jamais réussir

à la rattraper ?

 

Et si le Grand Créateur lui-même s’était déplacé

en personne pour m’expliquer

enfin

les raisons de ma présence en ce Monde

et le comment et le pourquoi

de ce gigantesque

capharnaüm ?

 

Peut-être avais-je raté une occasion

unique, la chance de ma vie

 

je ne le saurai jamais

 

et c’est ça qui me rend fou

 

Ne réalisez jamais vos rêvez, courez après !

Eric Scilien

SI J’AI LA CHANCE

D’ÊTRE

TOUJOURS VIVANT

Tels des fantômes, les souvenirs d’enfance resurgissent au hasard de la route, cette route que Kylian n’a plus empruntée depuis si longtemps. Paysages urbains, grandes barres HLM, de sourds îlots de lumière dans un océan d’obscurité. De grosses gouttes de pluie se mettent à crépiter sur le pare-brise balayé par le va-et-vient des essuie-glaces. Kylian songe à toutes ces années sur lesquelles il avait cru pouvoir tirer un trait.

Jusqu’à cette réception chez les parents de Marie-Aude.

Une soirée prévue depuis longtemps. Chez les Saint-Georges, les vingt-deux ans de leur fille unique, ça ne se prend pas à la légère. Kylian savait qu’un échantillon représentatif du Tout-Paris serait de la partie. Ce qui ne le gênait pas. Tous ces gens qui se la jouaient VIP avaient plutôt tendance à l’amuser. Une fois franchi le premier rideau de fumée, certains s’avéraient même franchement sympathiques. Et puis c’était l’univers de Marie-Aude. Depuis six mois qu’il partageait ses nuits, il commençait à s’y faire.

Six mois, c’était une sorte de record pour lui.

Jusque-là, il s’était le plus souvent conduit en prédateur d’une nuit, passant de bras en bras et de lit en lit avec la volonté de ne jamais s’attacher. Pas assez d’espace en lui. Le besoin d’arriver, de devenir quelqu’un occupait toute la place.

Avec Marie-Aude, tout avait été différent.

Elle appartenait déjà à ce Monde auquel il aspirait. Elle avait cette façon bien à elle de se montrer à la fois grave et légère, sans qu’il soit possible de démêler les deux. Dès le premier soir, juste après leur premier baiser, elle lui avait annoncé la couleur. Pas farouche mais résolue :

– Je te préviens, si je couche avec toi, je t’interdis de me larguer demain matin !

Sinon quoi ?

Je te tue.

Un sourire et elle avait ajouté :

Enfin, sauf si tu es vraiment nul au lit. Parce que là, c’est moi qui te larguerai !

Une gosse de riche habituée à ce que tous lui cèdent, spontanée et insouciante. Solaire, sincère et passionnée, aussi capricieuse que généreuse. Une petite fille aux exigences de femme qui ne s’était pas encore frottée aux vraies difficultés de l’existence. Quelque chose en elle l’avait touché au cœur, il aurait été incapable de dire quoi.

Pour l’anniversaire de leur fille, les Saint-Georges avaient organisé une réception quasi princière dans leur appartement haussmannien avec vue sur le jardin du Luxembourg. Nappe blanche brodée et couverts en argent, bouquets de fleurs somptueux et une armada d’employés en extra pour assurer le service. Une cinquantaine de personnes avaient été invitées, parmi lesquelles des dirigeants d’entreprise, un écrivain, une styliste, un ténor du barreau, un journaliste en vue et même un député.

Avant de passer à table, tous avaient porté un toast en l’honneur de Marie-Aude. Histoire de se mettre dans l’ambiance, Kylian avait sifflé deux flûtes coup sur coup. Dom Pérignon, un régal de bulles. Il se sentait bien, calme et posé, aussi à l’aise qu’un empereur romain qui, après avoir rasé la plus grande partie de la ville, participe aux festivités offertes aux vainqueurs.

Oui, ça semblait sérieux avec Marie-Aude. Ils ne vivaient pas encore ensemble mais l’hypothèse devenait crédible. Et peut-être même bientôt envisageable.

Il l’avait rencontrée au cours d’une soirée chez un ami commun. Ce soir-là, Marie-Aude était restée de marbre, insensible à son charme, lui qu’un sourire suffisait pourtant à les faire tomber toutes. Pire, ils s’étaient même accrochés pour une broutille. Mais à partir de cette soirée, elle s’était installée dans un coin de sa tête et n’en était plus sortie. Il n’avait eu de cesse de la revoir, la séduire. Et pour une fois, il lui avait fallu se montrer patient.

Chez les Saint-Georges, le repas avait été à la hauteur de leur statut. Avec les cailles farcies aux morilles et foie gras, le père Saint-Georges avait débouché ses bouteilles de Bordeaux 1947, une merveille ! Tout allait donc pour le mieux dans le meilleur des mondes jusqu’à ce que tombe la question, formulée par Saint-Georges mère, quelque part entre le plateau de fromages et le fondant aux trois chocolats.

Et vous Kylian ? Dans quelle branche officient vos parents ?

Un peu surpris mais nullement gêné, Kylian avait pris le temps d’allumer sa cigarette avant de répondre (les invités étaient pourtant censés s’abstenir de fumer à table) :

Ma mère est dans le nettoyage.

Le nettoyage industriel, je suppose ?

– Non, le ménage. Elle fait le ménage dans un hôtel. Mais un hôtel trois étoiles !

Pince-sans-rire, Kylian. Étrangement, les autres conversations s’étaient taries et c’est dans un silence de cathédrale qu’il s’était vu questionner une seconde fois.

Et votre père ?

– Lui, je ne sais pas. Je ne l’ai jamais connu. J’ai été élevé par mon beau-père. Qui travaille dans une usine, sur une chaîne de montage. Enfin, aux dernières nouvelles… Ça fait un moment que je ne l’ai pas vu.

Ça avait jeté un froid - le genre de situation qui aurait mis mal à l’aise n’importe qui. N’importe qui mais pas Kylian Leroy. Trop orgueilleux, trop arrogant pour se laisser atteindre, même de loin. Rien à foutre de l’opinion des autres – qu’ils pensent ce qu’ils veulent !

Rien à foutre, oui.

De tous ces gens qui ne lui étaient rien.

Mais le coup de poignard était venu d’ailleurs - de là où il s’y attendait le moins. De la jolie tête blonde de Marie-Aude.

– Arrête, maman ! Kylian n’aime pas parler de sa famille. Il s’est fait tout seul, sans l’aide de personne. Ses parents sont incultes, son beau-père limite analphabète. Leur seule ouverture sur le monde, c’est leur écran de télévision alors tu vois…

Marie-Aude l’ingénue, son parler cru, sans frein ni barrières. Son intervention avait eu le mérite de détendre l’atmosphère. Tout le monde avait doucement ri sous cape à sa dernière remarque.

Tout le monde.

Sauf Kylian.

Ces remarques sur ses parents, c’était pourtant lui et lui seul qui les avait soufflées à Marie-Aude, au plus fort de leur intimité. Son beau-père « limite analphabète » – Marie-Aude n’avait fait que répéter ses propres mots, rien de plus. Alors pourquoi avait-il eu subitement envie de la gifler, cette petite fleur vénéneuse de Marie-Aude ? Pourquoi les paroles qu’il s’autorisait étaient-elles devenues insupportables dans la bouche d’une autre ?

Mon cher, vous êtes un parfait exemple d’ascension sociale ! avait renchéri le député, aussitôt relayé par un homme aux tempes grisonnantes :

– Il faut marteler cette évidence : la réussite, ça se mérite ! C’est de ça qu’on est en train de crever en France. Les gens ne veulent plus se faire mal, ils ne veulent plus travailler !

Kylian avait senti un nœud se former au niveau de son estomac. Une brusque envie de chialer, de chialer comme un môme devant des grandes personnes qui se seraient moquées de lui, l’avait saisi. Quand la tentation de renverser la table – avec les verres, les couverts, les bouteilles et tout le bastringue – avait menacé devenir incontrôlable, il avait préféré se lever, blême. Heureusement, plus personne ne faisait attention à lui. Sauf Marie-Aude qui, intuitive, avait perçu le malaise.

Tu vas où ?

Je reviens.

Ça va, tout va bien ?

Très bien.

Il avait directement pris le chemin de la sortie.

Parti sans explication pour se retrouver dans sa BMW, sur le périphérique à 220 km/heure, vitres baissées et volume sonore poussé au paroxysme sur un morceau de Mötley Crüe – du hard-rock pur et dur à s’en faire exploser les tympans.

Au début, il avait juste pensé tourner un moment, le temps de se calmer.

Mais ça n’avait pas suffi.

La seule issue lui était apparue d’un coup, comme une évidence à laquelle il s’était toujours refusé.

Il allait revenir.

Apre ou amer - Izra Allen

 

Notes éparses agencée sur ce chapelet

Crucifiées sur cette portée

À l’infini mystifiées

De tristesse à joie passer

En une fraction de soupirs

Double ou triple, blanche et noire

Salvatrice mélopée

Présente pour ponctuer

Les instants écoulés

Oscillations

Trois fois veuf

Olivier

Veuf. J’étais veuf depuis peu et c’était par ce terme que l’on me qualifiait. Les gens avaient parfois du mal à croiser mon regard, gênés. On ne sait pas quoi dire à un fraîchement veuf. On sait qu’aucune parole ne pourra le réconforter suffisamment. Je ne demandais surtout pas que l’on me plaigne, l’empathie exprimée par qui que ce soit me pesait. Crise cardiaque, c’était ce qu’ils avaient dit. C’était arrivé brutalement, les secours avaient mis beaucoup trop de temps à arriver, ils n’avaient pas pu la ranimer. Elle n’était pas revenue à la vie malgré tous les soins prodigués. Elle avait trente-quatre ans. Moi j’avais le statut de veuf à la veille de mes cinquante ans.

La mort nous avait surpris alors que notre histoire touchait à sa fin, nous nous étions éloignés l’un de l’autre de façon irrémédiable depuis plusieurs mois. C’était elle qui avait souhaité me quitter.

Mélanie était une fille qui avait une très haute estime d’elle-même. Elle adorait poster des photos d’elle sur les réseaux, quinze ans plus tôt, où elle apparaissait belle comme un cœur, pour cause, elle avait dix-neuf ans. Ses amis « likaient », et ça, elle adorait. Elle écrivait également de grands articles à propos de son boulot ou elle se faisait mousser à loisir. Elle occupait un poste à responsabilités et ne manquait pas de le faire savoir. C’était plus fort que moi, ça m’exaspérait. Elle était supérieure à moi, en tout point et je réalisais maintenant qu’au lieu de m’en réjouir, j’étais jaloux. Cette jalousie me rongeait et ça se voyait. Plus je l’exprimais, plus elle prenait ses distances. Il faut dire que j’avais beaucoup changé. Et maintenant, à cause d’elle, voilà que j’étais LE VEUF.

Au début, je n’avais touché à rien. Impossible pour moi, même entrer dans sa chambre me coûtait. Oui, je dois préciser que l’on faisait chambre à part depuis cinq ou six ans, je ne sais plus.

Si. En fait, je me rappelle très bien. Mais j’ai du mal à l’accepter.

 

Une maison trop grande

1 – Pierre meurt, Anna est seule

Anna était veuve depuis peu. C'était le cœur qui avait lâché pendant l'anesthésie. Pierre avait été hospitalisé pour une opération bénigne de la vésicule et n'était pas ressorti vivant. Elle ne s'y attendait pas, personne ne s'y attendait.

Elle aurait dû se sentir soulagée, depuis le temps qu'ils ne se supportaient plus. Ils vivaient côte à côte, mais proscrivaient toute activité commune. Du moins, elle refusait la plupart du temps qu'il s'inscrive aux mêmes ateliers qu'elle.

Elle faisait partie d'une chorale, elle aimait le chant. Au début, il l'accompagnait et faisait, lui aussi, partie des choristes. Il chantait faux et faisait des commentaires dont elle avait honte. Il tentait de faire rire ses amies avec des blagues qui n'amusaient que lui. Elle lui avait un jour posé un ultimatum : soit il arrêtait de venir avec elle, soit elle faisait grève de la cuisine. Incapable qu'il était de se préparer un repas, il avait capitulé.

Eh bien malgré cela, elle l'avait pleuré, sincèrement. Pleuré comme jamais elle n'avait cru en être capable. En fait, elle n'était pas sûre de la vraie nature de son chagrin. Elle pensait plutôt que ce décès avait libéré le flot de larmes qu'elle avait bloqué en elle depuis toutes ces années. Ces années qu'elle avait passées à s'opposer à lui, à tenter de vivre sa vie malgré tout. Ça avait duré au moins vingt ans... Elle avait maintenant presque soixante-dix ans et était enfin libre, libre de ses actes, libre de décorer sa maison comme elle l'entendait, libre de faire partie de toutes les associations qui l’intéressaient sans qu'il lui demande des comptes. Et pourtant, elle se sentait vide de toute envie. Tout cela n'avait plus d'intérêt s'il n'était pas là pour râler.

Après les obsèques, elle avait regagné sa maison, seule. Les enfants habitaient loin, ils devaient repartir. Elle avait préféré que ce soit ainsi et tout le monde l'avait compris.

La maison lui paraissait immense. C'était une grande battisse, construite en forme de L, sans grand charme. Une mezzanine surplombait l'entrée principale, inutile. Elle avait toujours rêvé d'une mezzanine et il avait fini par accepter, sans chantage cette fois, mais il ne lui avait pas laissé faire la décoration qu'elle souhaitait. Ils n'étaient jamais parvenus à se mettre d'accord à ce sujet, si bien que les murs étaient restés bruts, sans aucun revêtement, ni même une couche de peinture. On pouvait voir les bandes plus foncées que constituaient les joints entre les plaques de plâtre. Maintenant, elle pouvait faire venir un peintre, rien ne s'y opposerait. Elle tardait à se décider.

La maison comportait cinq chambres. Cinq chambres pour une femme seule. Ridicule ! Quand Pierre était encore en vie, deux d’entre-elles étaient occupées. Ils faisaient chambre à part depuis longtemps. C'était elle qui en avait pris l'initiative. Elle ne supportait plus qu'il la touche, ni même qu'il la frôle, au point d'avoir d’insupportables insomnies. Il avait parfois tenté quelques approches, sursauts de libido endormie depuis plusieurs années. Elle l'avait à chaque fois rabroué. Elle s'était promis que jamais, plus jamais ça avec lui. Avec un autre, pourquoi pas ? Elle ne pensait en aucun cas être devenue frigide, mais il aurait fallu que l'occasion se présente. Elle l’exécrait trop pour pouvoir jouer la comédie et le satisfaire. La seule visualisation de la scène provoquait chez elle un profond dégoût.

En rentrant ce jour-là, elle avait visité sa propre maison, presque comme si elle la découvrait pour la première fois. Qu'allait-elle faire de tout cet espace inutile ? Elle ne voulait pas déménager, elle se sentait bien dans son village. Mais maintenant, il faudrait qu'elle gère la maison et aussi le jardin. C'était Pierre qui s'en occupait auparavant, elle allait devoir s'y mettre. Il n'était pas très grand, mais suffisamment pour vous prendre quelques heures par semaine. Elle s’offrirait peut-être les services d’un jardinier à condition que cela n'ampute pas trop son budget. Oh et puis ça ne devait pas être si compliqué, elle allait essayer.

Après quelques jours, la solitude du soir devint pesante. Même s'ils ne vivaient plus en grande harmonie, la seule présence de l'autre suffisait à garder une certaine sérénité. Elle s'abrutissait de télé, regardait tout et n'importe quoi, séries, infos, reportages, films, jusqu'à une heure avancée de la nuit. Et le matin, elle avait tout le mal du monde à s'extraire des couvertures. Elle se forçait à ne pas dépasser 10 h, même si elle n'avait rien de particulier à faire.

Un soir, sur une chaîne d'infos, elle tomba sur un reportage sur la vie des S. D. F. à Partèce. Ils étaient de plus en plus nombreux, de nationalités diverses, beaucoup venaient de pays de l'est de l'Europe, mais aussi d'Afrique, et bien sûr, bon nombre de nos compatriotes faisaient partie de cette population.

Une idée germa dans son cerveau. Et si elle recueillait une famille dans sa grande maison ? Il y avait largement la place à loger un couple et ses trois, quatre, voire même cinq enfants !

Comment faire pour proposer son offre ? Les sans-toit lisent-ils la presse ? Vont-ils dans les cybers cafés surfer sur le net et ont-il accès aux petites annonces postées sur le bon coin ? Probablement pas. Il fallait qu'elle se rende sur place. Quelques mots et son numéro de portable sur une affichette suffiraient. Les quais de Sibelle, ou le canal St Georges, place de la Liberté, ou bien d'autres lieux encore. Il y avait l'embarras du choix. Les S.D.F. avaient-ils un téléphone portable ? Afficher son numéro sur tous les murs de Partèce n'était pas forcément une bonne idée. Elle irait plutôt les voir, leur parler. Ainsi, elle se rendrait compte de l'enthousiasme que démontrait ces gens. Elle ferait une sorte de casting improvisé. Et si elle tombait sur des gens sans foi ni loi qui lui prenaient tout ? Et s'ils la torturaient pour avoir son numéro de carte bleue ? L'idéal serait de trouver un couple qui accepterait de faire de l'entretien en compensation de l'hébergement. Était-ce bien raisonnable ? Supporterait-elle des enfants turbulents dans sa maison ?

Il fallait qu'elle en parle à quelqu'un, qu'elle obtienne des conseils de ses amies les plus proches.

Dans sa tête, elle rédigeait son annonce : « Femme possédant grande maison, peut loger famille contre bons soins. » Elle devrait peut-être rajouter « vieille » devant femme pour ne pas attirer tous les détraqués du coin. Non, il fallait que ce soit plus impersonnel : « Offre toit pour famille qui n'en a pas. Appeler au... » Ce serait mieux qu'ils soient en règle avec la loi, mais ce ne serait pas facile de poser la question du style : « Vous avez des papiers ? » Ça, elle ne pouvait l'envisager. Tant pis, elle prendrait le risque.

Elle expliqua donc sont projet à ses deux amies de chorale, Maryvonne et Claude. Maryvonne pensa tout simplement qu'elle était tombée sur la tête. Elle disposait elle-même d'une demeure trois fois plus grande que celle d'Anna, mais n'aurait jamais pu avoir une telle idée. « Des mendiants chez toi ! Quelle horreur ! » Maryvonne payait l'impôt sur la grande fortune mais ne faisait jamais ni don, ni acte de bénévolat. Tous les biens de la famille se transmettaient de génération en génération, et il ne saurait en être autrement. Elles avaient en commun leurs goûts culturels et leur passion pour le chant. Leur amitié tenait à ça, rien d'autre.

Quant à Claude, elle trouva cette idée plutôt bonne et accepta d'aider Anna à trouver « la bonne famille ». Ouf, elle avait au moins une alliée. À deux, elles se sentiraient plus fortes pour aborder les gens dans la rue.

L’auteure - Brigitte Lécuyer

Ce soir-là, j’avais déjà coupé les olives en julienne, haché les canapés au saumon, donné à manger au jambon à l’os, râpé le chien et mis le four au frigo ou le contraire. J’étais fin prête à recevoir les invités. Oui, non, tout allait bien madame la marquise, à vingt heures j’allumerai les bougies, avant ce n’était pas la peine. Un malheur arrivait si vite.

Calée dans mes sabots, j’attendais aussi le dernier moment pour me faire belle, mettre ma petite robe noire spéciale soirée, mon collier de perles noires aussi, de Tahiti (cadeau de Bertrand) et mes escarpins de princesse des mille et une nuits, en solde, mais une petite folie tout de même. J’étais juste un peu stressée ces temps-ci, par mon travail, le nouveau patron, des locaux neufs et peu adaptés, les enfants qui profitaient du divorce pour se trouver des circonstances atténuantes à leur médiocrité scolaire, le chien malade qui vomissait partout, le hamster qui fuguait de sa cage et qu’on retrouvait dans le tiroir à chaussettes, lesquelles en dentelle, finissaient à la poubelle.

Exceptionnellement, Noisette coucherait dans le garage. Les enfants étaient déjà casés chez mon ex dont ce n’était pas le jour, mais j’avais promis juré de les reprendre dimanche à 10 heures tapantes, juste avant que débute le grand prix de Monza ou de Spa je ne sais plus. Parce qu’il me connaissait bien, Josselin se méfiait encore. Il ratait à cause de mon nouveau mec et de ses idées d’auteur, un ciné, un resto, une soirée d’enfer avec ses potes. Et quoi d’autre encore ?

Moi, j’angoissais d’avoir à inviter cette inconnue, l’amie d’enfance de mon ami, qu’il venait de retrouver grâce aux amis de mes amis sur facebook. Cette grande auteure comme il l’appelait avec emphase ouvrait bientôt sa maison d’édition ! Éditeur, il n’avait que ce mot là à la bouche ! À ma connaissance, on ne disait pas encore éditeuse. Éditeuse, gigoteuse, rieuse, trieuse, friteuse, chieuse, tous ces mots se mirent à valser dans mon crâne et à me donner le tournis. Moi aussi je savais écrire et faire des vers sans en avoir l’air comme Victor Hugo, et je n’en faisais pas tout un plat.

J’avais ouvert le frigo où se revigoraient une barquette de tomates cerise, des minis concombres et des carottes en bâtonnets taillés de mes petites mains. Un Sauvignon bien frais me tendait ses bras dorés, je l’ai attrapé. J’en ai sifflé une bonne lampée, directement au goulot et ça m’a fait un bien fou.

Histoire d’amuser la galerie, j’ai demandé à Bertrand quelle taille elle faisait son auteure et si elle n’allait pas devoir se baisser pour passer notre porte avec sa moitié. Mais Bertrand n’avait pas ri, mais pas ri du tout. Consterné, voilà il était consterné et me trouvait consternante, ridicule et même jalouse.

Alors moi jalouse ai-je pouffé. Moi jalouse, en fait je… et bien oui je l’étais, mais je n’allais pas lui avouer, il aurait avancé ses arguments et justement, je n’avais pas envie de les entendre ce soir, ses arguments

J’ai retrouvé les verts murs de ma cuisine. En douce, j’ai descendu un bon tiers du Sauvignon qui était bon mais trop sucré. Je commençais déjà à voir trouble et à flotter.

 

La dame qui poussait un fauteuil roulant avec personne dedans

 

Attablée en bonne compagnie à la terrasse d’un restaurant, j’aperçus une dame qui poussait un fauteuil roulant sans personne dedans. Je n’y prêtai pas particulièrement attention et continuai de m’entretenir avec mes amies. Nous venions de commander nos desserts quand la dame en profita pour réapparaître dans notre champ de vision.

On la trouva curieuse sans plus et nous reprîmes nos échanges, regrettant toutes déjà l’insouciance de nos vacances.

C’est alors que l’étrange personne revint avant que nous en ayons fini avec notre repas, enfin avant que la note ne nous soit apportée. Elle repassa de son air dolent, encore une autre fois. Cette fois-ci, je fis davantage attention à elle, à cette femme qui poussait un fauteuil roulant vide. J’imaginais le pire, un cruel accident, la perte d’un mari, d’un parent, d’un enfant.

Elle marchait se concentrant sur l’horizon, semblant ne voir ni n’entendre personne, amarrée aux poignées de son fauteuil, le regard lointain, presque souverain. Elle avançait droit devant d’un pas souple et lent, et personne ne pouvait penser qu’elle avait des difficultés à se mouvoir ou à marcher. L’amie à mes côtés me fit remarquer qu’elle ne portait aucun sous-vêtement, ce que je constatais aussi quand elle réapparut, toujours aussi dolente, ses fesses molles et ses seins lourds ballottant doucement sous le tissu mou d’un survêtement délavé.

Je lui donnais une petite cinquantaine d’années, sa chevelure épaisse et sans cheveux blancs était remontée négligemment en chignon à la Brigitte Bardot et des mèches s’en échappaient de partout. Son visage rond avait dû être beau et ses traits agréables. Elle respirait la sérénité ou l’indifférence au monde et balançait chacun de ses pas chaussés de ballerines, d’une façon presque indécente, comme si elle voulait par ses nombreux passages, attirer l’œil sur elle, bien qu’elle ne regardât nul part.

La femme qui poussait un fauteuil roulant avec personne dedans, passa ainsi devant nous quatre ou cinq fois, je ne sais combien de kilomètres elle fit ce jour-là.

En partant, je la revis encore, pareille à elle-même, aussi absente, aussi impassible, à faire les cent pas devant le lycée, imperturbable. Cette fois-ci, une cigarette extra longue était posée au coin de ses lèvres, mais elle ne semblait pas allumée.

Je me réveillais en sueur, Spartacus m’écrasait la poitrine et ronronnait comme une vieille locomotive ! Ouf, ce n’était qu’un cauchemar, du moins un drôle de rêve. J’en faisais souvent ces temps-ci. Je virais gentiment Spartacus, le persan roux de Camille, qui poussa un miaulement indigné. Je zieutais le réveil, il n’était que 4 h 44. Bien trop tôt pour se lever. Je m’extirpai de mon lit quand même, j’avais trop chaud, j’avalai un verre d’eau fraîche et me recouchai en ruminant mes futurs projets. Je me demandais où était ce fameux cahier sur lequel j’avais noté mes émotions et des pans mités de mon histoire, du moins une partie, bien avant que je ne rencontre Gauthier et que nous ayons Camille. J’ai eu soudain le besoin impétueux de poser des mots sur ce que je vivais ces temps-derniers. Alors je me mis à écrire dans ma tête.

Une heure plus tard, je me levai, ouvris mon vieil ordinateur aussi lent qu’une tortue centenaire. En attendant, je pris ma douche. Sur mon fond d’écran, cranait fièrement la photo d’un cheval bai : Isadora. C’était la dernière folie d’Arthur qui voulait marquer à sa manière mes quarante ans, il connaissait ma passion pour cette race, les chevaux islandais, il savait aussi que rien ne pouvait autant me ravir. Il vivait en Islande depuis tant d’années et me manquait cruellement. On ne se voyait qu’aux vacances et encore pas tous les ans. Je m’appliquais à lui rendre visite une année sur deux. Pour lui, c’était plus compliqué : la logistique et le coût d’un tel déplacement devenait si laborieux pour lui et toute sa famille, que généralement il préférait m’inviter, quitte à m’avancer le prix du voyage si j’étais trop fauchée.

Mon cadeau était le plus somptueux cadeau du monde, mais pour en jouir pleinement, Arthur avait dû user de patience pour effectuer les formalités, de la paperasse, gérer les procédures d’exportation, être en règle avec les services vétérinaires et supporter mon impatience et mes questions idiotes. Mais il fallait aussi que je trouve l’endroit où Isadora allait vivre et brouter en paix. Or, je ne vis pas spécialement à la campagne, même si dans mon département, il y a de jolis coins et le Vexin en toile de fond.

Je ne sais plus comment le cheval islandais m’avait envoûtée, je n’étais pas la meilleure des cavalières, mais j’en avais monté chez Arthur. Ce cheval-là, doté d’un caractère docile et plus petit que la moyenne, ne me faisait pas peur. Les plus grands spécimens dépassent rarement un mètre cinquante cinq au garrot. De cette race, j’appris tout sur le tas, qu’elle possédait cinq allures et non pas trois comme la plupart des autres chevaux : le pas, le trot, le galop, le tölt et l’amble. Le tölt étant un pas typique de la race. Ce cheval est surtout apprécié des femmes qui comme moi, ne sont pas des grandes gigues. Il est aussi l’ami des enfants ou de n’importe quel cavalier qui a le dos ou les genoux fragiles. Imaginez un pas où le cheval s’adapte au terrain accidenté et il l’est assurément en Islande, en limitant la pose de ses sabots. Un peu comme s’il volait dans l’air. Or pour l’avoir vu de mes yeux, je pouvais affirmer que ce cheval volait vraiment.

Quand tout fut fin prêt, j’avais trouvé un havre pour ma jument, en Normandie, du côté d’Ault. Ault m’avait ébloui parce que c’était un endroit beau et pur, isolé et un peu au bout de tout. J’aime les endroits déserts, les plages longues et balayées de vent, les contrées sauvages. Isadora y trotterait donc. L’hiver elle regagnerait une écurie et après son débourrage, les écoliers du coin pourraient même la monter. Cette solution m’avait semblé idéale. Elle m’appartenait, mais vivrait dans un haras, un arrangement entre le propriétaire et moi, je ne payais que sa nourriture et les frais vétérinaires. 

Trois années venaient de s’écouler. J’avais organisé une vie rythmée aux pas d’Isadora. Mais il me fallut vite déchanter, la voir une fois par semaine, c’était déjà trop : trop compliqué, trop cher et je m’étais vite rendu compte que les miens ne me laisseraient pas si facilement prendre la poudre d’escampette tous les week-ends. Là-bas, du côté d’Ault, j’étais dans un monde à part, un peu sur une autre planète, loin des soucis, du travail, des courses, du ménage, des relations familiales compliquées, et si j’avais tenté d’associer ma fille à cette passion, je devais me rendre à l’évidence, ce n’était pas son truc. Je lui avais raconté que lors de ma dernière visite au haras, j’avais croisé un étalon pie de toute beauté qui je le pensais vraiment, serait parfait pour elle. Camille avait levé les yeux au ciel, comme affligée. J’en avais touché un mot à l’éleveur, qui ne m’avait pas encouragée dans cette direction non plus. J’étais déjà ravie de savoir qu’elle avait échappé à la dermite estivale qui semblait toucher les chevaux islandais récemment débarqués sur notre sol ou tout sol étranger au leur. Isadora avait déjà connu des hivers autrement plus éprouvants que les nôtres. Au début, j’avais dû la laisser tranquille, zéro stress, zéro travail, pour que son acclimatation soit optimum. C’était frustrant de la regarder s’ébattre et gambader dans son pré, et de pas pouvoir faire un brin de balade avec elle. Il me fallait attendre, alors j’avais attendu qu’elle ait pris le pouls de son nouveau territoire et de ses nouveaux compagnons, pour enfin pouvoir la monter.

L’image de sa longue crinière blonde, sa croupe arrondie et ferme, ses yeux noirs veloutés, ornés de cils recourbés, revenait me hanter. Elle m’obsédait. Je m’inquiétais du temps, d’un hiver neigeux qui bloquerait les routes, et m’empêcherait de la rejoindre. Mais à cette heure matinale, le petit cheptel devait dormir tous blottis les uns contre les autres. C’est ainsi que dans leur pays d’origine, ils affrontaient les pires conditions climatiques. Depuis cet été, Isadora et ses copains, disposaient  d’un nouveau refuge bâti exprès pour eux à l’abri des dunes, et le vieil Anselme, un ancien palefrenier venait les visiter chaque jour. Auprès d’eux, le vieil homme oubliait ses rhumatismes accentués par les tempêtes et les pluies salées venant du large. Mais Anselme n’avait ni téléphone, ni internet, du moins pas la panoplie de nos outils de communication, le joindre était mission impossible. Je devais renoncer à l’idée, de parler d’Isadora avec lui.

Enfin d’après l’éleveur, Isadora était trop jeune pour pouliner, car dès qu’elle serait mère, je serai tenue de la laisser en paix avec son poulain. Comme la Perrette de La Fontaine pourtant je fabulais : Je me voyais assister à la naissance du futur héritier et je souriais aux anges. J’avais dans l’idée de créer mon écurie, de changer radicalement de vie, et surtout de déménager.

Perdue dans mes pensées, je ne voyais pas le temps passer, mais j’avais décidé de lui consacrer mon prochain week-end qui s’annonçait trop doux pour un mois d’octobre, et j’essaierai encore d’embarquer Camille dans l’aventure. J’avais ressenti un manque de conviction de sa part et mon petit doigt me disait qu’il était vain d’insister. Camille avait de moins en moins envie de me suivre là où j’allais juste pour mon plaisir, et à une époque de l’année où la météo était aléatoire. 

Aux dires de ma fille, l’endroit était pourri, loin de tout, la falaise escarpée et dangereuse, le chemin pour accéder au haras truffé de trous fangeux, l’humidité réfrigérante, la pension de famille où nous descendions, minable et la bouffe dégueu. Bref Camille avait une tonne de raisons pour se défiler et me laisser seule avec ma mauvaise conscience. Car oui, j’avais mauvaise conscience à l’abandonner à son père qui pourtant ne demandait que ça.

Je marche, tu marches, nous marchons depuis toujours - De Lucy à Armstrong

Philippe Pointereau

Pour présenter le livre

Depuis près de cinquante ans je randonne, j’ai besoin de la solitude des chemins de grande randonnée, j’adore me confronter et admirer la nature brute des campagnes, des montagnes et des bords de mer, découvrir en flânant l’atmosphère des grandes villes et la spécificité des villages. Les confinements récents et cette privation toute ordinaire de marcher m’ont définitivement incité à écrire sur la longue histoire des marcheurs, depuis l’origine des temps. Marcher c’est le souffle de la vie, la liberté de tous les humains, un élément incontournable et égalitaire sur notre Terre. Nous allons marcher ensemble depuis la vallée d’Omo avec Lucy jusqu’aux premiers pas inoubliables d’Armstrong sur le sol lunaire.

Les marcheurs cueilleurs

À l’origine des temps, depuis le Paléolithique, marcher était le seul moyen de survivre pour trouver sa nourriture. Little Foot, Lucy, Sélam, Mrs Ples, l’homme de Cro-Magnon, l’enfant de Taung, l’homme de Neandertal et leurs compagnes et compagnons de la Préhistoire étaient tous des cueilleurs, des pêcheurs et des chasseurs. Ils parcouraient les forêts, leur milieu naturel pour trouver des points d’eau, chasser le gibier, pêcher, cueillir des fruits sauvages et ramasser des plantes comestibles. Ces femmes et ces hommes ont d’abord été des marcheurs cueilleurs.

 

Méandres de la viePhilippe Pointereau

Les fêtards du Gault

Ce samedi 5 septembre 1981, j’étais dans l’un des trois cars bondés de personnages costumés, des gueux, des moines, des paysannes, des gentes dames, des chevaliers, un bourreau, un écrivailleur public, le diable, la mort, un bouffon, un vendeur de balais… tous venus d’un village de Beauce, Le Gault-Saint-Denis, à l’invitation de Fernand Bucchianéri, maire de Solutré, ancien déporté du camp de Buchenwald, ancien journaliste à France Soir, passionné d’automobile et d’aviation. Brusquement tous mes amis hurlèrent d’un seul tenant en voyant la foule des dizaines de milliers de Mâconnais et de Bourguignons qui se pressaient dans les rues de la ville. Tous ces gens venaient pour nous, pour le défilé nocturne avec le millier d’autres personnages médiévaux venus des villages du vignoble du Mâconnais, de Foix et de la Clayette.

Tous mes amis allaient devoir jouer leurs personnages en pleine rue, se sortir les tripes pour le plaisir de toute la population. C’était notre première sortie hors de notre bourg de 600 habitants et nous étions cent-soixante-cinq !!! Nous étions là car ce responsable du tourisme en Bourgogne nous avait découvert en direct sur TF1, pendant deux heures, avec la reconstitution de notre fête médiévale. Trente techniciens de la chaîne étaient venus pendant une semaine au village et avaient réalisé ce direct avec le concours de toute la population du village, de toutes les générations, de toutes les sensibilités, de toutes les couches sociales, artisans et commerçants, agriculteurs, ouvriers, maire, instituteur, curé, tous unis pour une bonne cause : la FÊTE !

Et ce fut une détonation pour la télévision régionale, pour les journaux, pour tous les gens qui nous virent sur leur petit écran. À partir de ce jour, nous colportâmes notre fête dans toutes les régions de l’Hexagone, à Cordes, à Foix, à Salon de Provence, à Coëx, à Obernai, à Rixheim, à Chartres, à Mâcon, à Solutré…

La destination et l’errance - Jude Castel

Chapitre 1

SYDNEY KINGSFORD SMITH –

À mesure que mon départ pour le bout du monde approchait, les raisons qui me poussaient à partir s’amenuisaient. Âgé d’à peine vingt ans, un baccalauréat en poche et des études supérieures non menées à leur terme, j’ignorais tout à fait quelle voie suivre. Rien ne me convenait vraiment. Je flottais dans les méandres de cette incertitude qui semblait définir ma génération tout entière.

Mon meilleur ami, Paul, que je connaissais depuis le collège, ignorait lui aussi la direction à prendre pour atteindre ce royaume de l’âge adulte. Cet état d’esprit qui nous permet d’avouer haut et fort qu’on a trouvé sa voie. Paul avait un an de plus que moi, un baccalauréat avec mention en poche mais un dossier scolaire pour le moins négatif qui ne lui avait pas permis d’être sélectionné pour un Brevet de Technicien Supérieur. Alors que j’entrais en première année de Lettres Modernes, Paul, lui commençait à travailler en tant que pizzaiolo mais il n’avait pas plus sa place dans une pizzeria que je n’en avais dans une salle de cours.

On ne se sentait nulle part à notre place alors quitte à s’égarer complètement, on décida de partir pour l’Australie. Naïvement et avec l’approbation tacite de nos parents respectifs, nous pensions qu’embrasser une toute nouvelle existence loin de notre Bretagne natale, arrangerait nos problèmes ou encore mieux les ferait disparaître. Nous ne savions pas encore que quelque soit l’endroit, on emporte avec soi ses problèmes.

L’interminable trajet vers le continent australien passa comme un rêve, pourtant je ne dormis pas une seule seconde dans l’avion menant à Shanghai où un second avion nous attendait pour atterrir à Sydney, 24 heures plus tard. C’est avec un plaisir contenu par la fatigue qu’on écouta le commandant annoncer qu’il effectuait la descente vers l’aéroport de Sydney et qu’il fallait boucler notre ceinture. Pour passer le temps, on s’était occupé à discuter de tout et de rien dans notre langue natale. On était dans un avion rempli de chinois, personne ne nous comprenait. Paul se moquait de la forme de leurs yeux ne manquant pas de faire remarquer qu’au moins, quand il s’agissait de dormir, ça devait pas être si compliqué, étant donné que leurs yeux étaient déjà à moitié clos. Bien plus sombre, quand je n’avais pas ma dose de sommeil, j’imaginais que les asiatiques naissaient sans le moindre orifice oculaire et qu’à la naissance de chaque enfant, le docteur était dans l’obligation d’attraper un scalpel pour y faire deux petites incisions. Je reconnais que c’était nul et de mauvais goût.

Mon voisin de l’autre côté du couloir dormait. Il était âgé d’environ une cinquantaine d’années, sa femme avait la tête posée sur son épaule. Elle aussi était endormie et il lui bavait dessus sans s’en rendre compte. Sa salive se mêlait à ses cheveux bruns. Les hôtesses terminèrent leurs vérifications et le commandant continua à parler tout seul à travers le microphone.

Je m’approchai du hublot. On y voyait un ensemble d’îles d’un vert très foncé. Je fus surpris par tant de végétation. Sydney étant une ville, je ne m’attendais pas à tant de verdure, surtout pas des îles. Les nuages qui flottaient au dessus, disparaissaient lentement à mesure qu’on descendait. Paul, l’œil vif, vit le fameux pont de Sydney. Ainsi que l’Opéra qui était minuscule vu d’en haut. En arrière-plan, de hauts buildings se tenaient comme des legos transparents. Pendant un court instant toutes mes craintes concernant ce voyage disparurent. Nous étions dans un pays magnifique bien loin de la morosité de notre ville natale.

Nous restâmes à scruter la vitre de longues minutes pendant que, doucement mais sûrement, l’avion effectuait sa descente. Je fus surpris d’apercevoir un plan d’eau en plein milieu de l’aéroport. Paul décréta que ce plan d’eau était le signe que Sydney était une ville moderne. Quelques mois plus tôt, lors de la préparation bien trop sommaire de ce voyage, je lui avais fait savoir que Sydney, n’était pas ma priorité. Je voulais avant tout voir Brisbane, ville que mon père avait visité quelques années plus tôt lors d’un voyage effectué pendant une de ses traversées avec la Marine Nationale. Nous étions tombés d’accord assez rapidement : nous ferions Sydney, Brisbane, puis Darwin. Les trois villes principales de la côté Est. Le plan était de rester trois mois dans chacune de ces villes et de quitter l’Australie au bout de neuf mois pour rejoindre la Thaïlande. C’était le plan initial.

Il fait combien de degrés, tu penses ?

C’est l’Australie, mon pote ! Même si c’est l’hiver austral ici. On doit bien approcher des 25° lança Paul joyeusement.

Imagine, ça caille...

Sois pas pessimiste. On est enfin arrivé ! Depuis le temps qu’on en rêvait !

Je me perdis dans la contemplation de l’écran digital accroché au siège de devant. On y voyait un planisphère, ainsi qu’un avion démesurément grand posé sur cette gigantesque île qu’était l’Australie. Au bout d’un moment les pixels laissèrent place à un écran bleu tranché d’inscription sur la température intérieure et extérieure.

Paul.

Quoi ? fit-il sans détacher ses yeux du hublot.

Ben, comment dire… Sur mon écran, ils disent qu’il fait 8° dehors...

Il bégaya que de toute manière on serait bientôt fixé. L’avion atterrit enfin et roula lentement jusqu’à l’enceinte de l’aérogare. C’est à ce moment-là, une fois l’avion immobile que les bruyants asiatiques se levèrent dans un capharnaüm indescriptible. Ils hurlaient, criaient, se pressaient de toute part pour mettre la main sur leurs sacs. Paul se tourna vers moi en écarquillant les yeux, les mains cachant ses oreilles pour atténuer le bruit. Nous nous levâmes et suivîmes lentement la foule jusqu’à la première sortie.

Ça y est. J’y étais. Je foulais le sol australien. Enfin, pas complètement étant donné que je circulais actuellement dans un long couloir qui courrait de l’avion à l’aéroport. Il était encore impossible de connaître la température extérieure. On attendait que ça. Quitter au plus vite cet aéroport et sortir prendre l’air. On était exténué mais l’excitation prenait le dessus sur la fatigue. Des publicités et autres inscriptions ornaient les murs. Seuls les mots étaient différents. Les images restaient toujours les mêmes, peu importe les pays. Un jeune homme dans la fleur de l’âge souriant à l’objectif, le pouce levé, une petite fille souriant à son père et les habituelles accroches « WE ARE HERE FOR YOU ! »1:. Le jeune homme était un synonyme de jeunesse et de réussite sociale (pouce levé en signe de défi relevé) quant à la jeune fille souriant à son père, elle représentait la nouvelle génération de clients et l’entreprise en question l’accompagnerait dans son avenir.

Nous suivîmes le flux des passagers dans l’aéroport. Après tout, ils étaient dans le même pétrin que nous. Ils allaient devoir remplir un tas de papiers, passer devant un douanier et enfin espérer récupérer leurs bagages sur le tapis roulant en priant pour qu’ils ne soient pas égarés. Je craignais d’ailleurs que notre visa soit invalide. Bloqués à jamais dans l’Aéroport. Nous nous étions enregistrés en ligne sur le site de l’ambassade australienne et n’avions strictement rien reçu. Je m’attendais à recevoir un livret similaire au passeport, mais ce ne fut pas le cas.

Après avoir rempli un coupon de couleur vert clair mis à notre disposition, nous patientâmes dans une longue file d’attente. Au-dessus de nos têtes, une imposante télé diffusait les informations, le sigle CNN tamponné sur un coin de l’écran. Je scrutais la télévision incapable d’entendre le moindre son à cause du caquètement des japonais qui m’encerclaient.

Finalement après plus de quinze minutes d’attente, notre tour arriva. La douanière nous demanda si nous étions ensemble et lorsque nous répondîmes par l’affirmative elle nous convia à la rejoindre en même temps.

Passeports, demanda la jolie jeune femme.

Elle les considéra rapidement et les tamponna avant de nous souhaiter un bon voyage sur le territoire Australien.

Je tentai de trouver les mots pour lui expliquer la raison de notre venue.

We are here with a Working Holiday Visa…1:

« I Know, It’s done. » 2:

Elle précisa que c’était automatisé. Rien à remplir. Son ordinateur le faisait pour nous.

Oh… Thank You3: répondis-je en souriant.

Elle me sourit, leva le bras pour réveiller l’attention d’un autre visage et m’oublia.

Nous pénétrâmes dans la pièce ou les tapis à l’arrêt augmentaient notre inquiétude concernant le sort de nos bagages. Paul tapait des pieds. Moi j’étais assis sur le tapis roulant, attendant qu’il se mette en marche. Je lançai un regard à Paul. Il me le rendit en soupirant. Au moment où je m’y attendais le moins, le tapis roulant se remit en marche me faisant sursauter au passage.

Tu verras comme par hasard, on sera les derniers à recevoir nos valises, pesta Paul comme s’il lisait dans mes pensées.

Effectivement ce fut le cas. Sur deux de mes bagages (une tente et un gros sac) je n’en reçus qu’un seul.

Je conseillai à Paul de veiller sur nos bagages pendant que je partis, inquiet, à la recherche de la tente perdue.

S’cuse me sir ? fis-je à un homme noir imposant qui discutait avec un agent de la sécurité. I lost my bag. It’s not here4: ajoutai-je en montrant du doigt le tapis roulant devant lequel Paul nous dévisageait.

« It’s a… comment on dit tente putain, hmm a blue bag, like a big circle ? 5:

Oh yeah. You see the door just right there ? Your bag is probably here. 1:

Je le remerciai et rejoignis la porte où un homme assis devant une table remplissait des formulaires. Derrière lui se trouvait une porte jaune à moitié ouverte ou j’ aperçus une dizaine de valises.

Hey. I’m looking for a big blue bag...2:

Il héla un collègue et lui fit savoir ma requête. Celui-ci sortit avec ma tente. C’était une tente deux secondes. Deux secondes pour la monter en la lançant en l’air, deux heures pour la ranger dans son sac.

Thank you. 3:

Fier d’avoir relevé ce premier challenge, je retrouvai Paul devant le tapis roulant.

Ils différencient les bagages imposants des autres. C’est pour ça que ma tente était là-bas.

Ok. On devrait aller faire du change, y a un stand là-bas.

Lorsque la femme enfermée dans sa prison de verre nous vit nous approcher, elle se recoiffa et sourit, heureuse de se rendre enfin utile. Je farfouillai dans mon portefeuille et retirai de doux et chauds billets d’un montant de cent euros. Elle tapota sur une calculette et me déclara la somme qui me serait rendue en dollars australien. J’acquiesçai sans comprendre et elle me tendit la somme à travers un trou carré dans la vitre donnant sur ma main avide de sentir pour la première fois le pognon australien. Les billets étaient étranges, faits non seulement de papiers mais aussi d’un plastique transparent.

Il fallait à présent supporter une autre fouille avant de pouvoir quitter l’aéroport. Le douanier en question était un chauve à l’air méfiant. Il me demanda de poser sur une table située entre lui et moi, mon gros sac à dos.

– …in there ? 4:

What ? 5:

I just wantno whazit in tha bag ?

Je ne compris que le mot bag. Probablement voulait-il savoir ce qu’il y avait à l’intérieur.

Clothes, Stuff like that1:.

Je l’ouvris donc et le laissai y farfouiller à sa guise. Il retira mes vêtements si bien pliés au départ, contempla mon dentifrice et me rendit finalement mon sac en soupirant.

And in dat bag ?2: fit-il en désignant ma tente bleue.

Hmm it’s a tente. I sleep in it...3:

Gonna have to ‘pen it. 4:

L’ouvrir ? Alors qu’il me fallait des heures pour parvenir à, ne serait-ce que la fourrer dans le sac ! Paul me regardait d’un air amusé. Il connaissait ma position concernant cette foutue tente.

There is nothing here. 5:

Put the sleepin’bag in the desk, please. 6:

Il ouvrit la tente de quelques centimètres et y passa sa main tâtant ce qui se trouvait à l’intérieur, c’est-à-dire rien. Il grogna, la referma et abandonna en hochant la tête. Maintenant c’était le tour de Paul. Je m’éloignai d’eux, observant la scène avec délectation. Paul tentait de comprendre ce qu’il essayait de lui dire. Il se penchait presque à son oreille.

Ouate ? Aïe donte Understandeuh.

– ’ver mind.

Ça veut dire laisse tomber, précisai-je à mon meilleur ami. Il a dit nevermind.

Paul, les mains derrière le dos, patientait calmement devant l’homme. Heureusement, nous n’avions strictement rien de compromettant dans nos affaires et après un moment, il nous autorisa finalement à partir avec un sourire à la fois bienveillant et moqueur.

1: NOUS SOMMES LÀ POUR VOUS.

1: On est venu avec un WORKING HOLIDAY VISA.

2: Ouais, je sais. C’est validé.

3: Oh...Merci.

4: Excusez-moi. J’ai perdu mon sac. Il n’est pas là bas.

5: C’est… un sac bleu, comme un grand cercle ?

1: Vous voyez la porte, la bas ? Votre sac est probablement ici.

2: Bonjour, je cherche un grand sac bleu...

3: Oh, merci.

4: ...Dedans ?

5: Quoi ?

1: Des vêtements, ce genre de choses.

2: Et dans ce sac ?

3: Euh, c’est une tente. Je dors à l’intérieur.

4: Je vais devoir vous demander de l’ouvrir.

5: Il n’y a rien dedans.

6: Posez le sac sur la table, je vous prie.

Une âme embrouillée - Sarah Coquoz - RÉCIT

Il y avait l’ombre menaçante des montagnes. Il y avait le souffle de l’avalanche, puissant et dévastateur. Là-haut, les plus hauts sommets des Alpes nous ont accrochés. Le courant d’air chaud qui glisse le long des parois de granit monte irrémédiablement vers le haut. C’est là que notre mémoire ancestrale, notre âme véritable est restée pour l’éternité.

Ma mère a laissé une grande part d’elle-même dans ce regard qui ne peut plus admirer les couchers de soleil sur la chaîne du Mont-Blanc. Elle est partie. Partie de Chamonix et partie d’elle-même. La maladie d’Alzheimer creuse un sillon de tristesse, fait disparaître l’espoir au sein de toute notre famille. Quand mémé s’éloigne chaque jour un peu plus et que rien ne peut la retenir. Comment faire face ?

Entamer le deuil, déjà, avant la mort.

PROLOGUE

 Trois ans après

Pour le moment, la chose la plus difficile est de détacher mon regard de cette large auréole encore grandissante, rutilante comme si le soleil allait imploser. Elle allume l’horizon qui se déploie en face de la terrasse. Elle forme un dôme au-dessus du soleil levant et le coiffe d’un arc de lumière rose orangée. Bientôt, la vie sous toutes ses formes va se mettre en mouvement. Mais pour l’instant tout est encore silencieux.

Il est six heures. Avec l’aube comme partenaire, je vis l’instant le plus religieux de ma journée. Ce pourrait être une invitation à la vie, à la joie et c’est pourtant à ce moment-là que je souffre le plus de son absence. Je me sens rattrapée par le manque, un manque imprévisible et incontournable. Il est arrivé petit à petit, sournoisement, creusant son lit au creux de mon estomac et au cœur de ma vie.

J’abaisse mon regard jusqu’au jardin. D’ici j’aperçois une partie de sa terrasse entourée du petit muret blanc. Les longues grappes pourpres de la glycine se penchent comme pour caresser la terre. Les volets de son appartement sont fermés. Mes souvenirs remontent jusqu’à la surface de ma peau. Je ferme les yeux et j’imagine voir sa petite silhouette courbée.

Comme chaque matin, son regard balaie d’abord le noyer, immense et respectable qu’elle considère comme le maître du jardin. Puis elle regarde les arbustes plantés depuis plusieurs années et qui arrivent maintenant à l’âge adulte. C’est le printemps. À cette période de l’année leurs branches sont lourdes et offrent généreusement leurs fleurs rouges, roses ou blanches. Depuis Chateaubriand et les romantiques, c’est elle qui sait le mieux admirer les paysages. Elle arbore un large sourire, s’emplit d’une joie intérieure qui ne la quittera pas de la journée. Comme chaque jour elle sera d’un indéfectible optimisme. Elle jette les miettes de ses biscottes du petit déjeuner aux oiseaux qui semblent la connaître. Ils l’attendent chaque matin à la même heure. J’essaie de poser sur chaque chose le même regard que le sien, pour me sentir proche d’elle, pour rattraper ainsi le temps, tout ce temps que j’ai loupé à ne pas regarder les choses avec elle, à ne pas l’avoir regardée et à être finalement passée à côté d’elle. Le soleil me fait signe, la journée est là pleine et entière et pourtant je me demande où vais-je puiser l’énergie pour y faire face. La douleur dans ma cage thoracique se réveille, elle m’enserre. Ce sentiment de vide à l’intérieur de moi m’oppresse et m’empêche de goûter la douce tiédeur du matin et le cadeau que la vie est venue m’offrir au creux de ses mains.

Je quitte la terrasse, je referme la porte-fenêtre. Je suis seule à l’intérieur de la maison, seule à l’intérieur de moi-même. J’aimerais rompre avec le déroulement de cette journée dont je n’ai pas envie. Je suis écœurée de tout ce qui n’a pas eu lieu, de tout ce que j’ai manqué. Le chemin vers la joie a disparu. Je me courbe, mon dos se voûte comme pour atténuer la souffrance que je ressens sur la pointe des épaules. Cette douleur physique devrait me servir d’anesthésique pour me permettre ainsi de toucher à la vraie plaie, elle est à vif. Cela fait un sacré moment que j’essaie de sauter par-dessus sans y toucher, parce que cela ferait trop mal de la traverser. J’ai mis un mouchoir dessus pour pouvoir regarder devant et continuer à accompagner mes enfants et petits-enfants sur leur chemin de vie. Mais je sais qu’il me faut creuser dans la plaie pour soigner la partie infectée et cachée par la première couche de peau fine et fragile. Parce que je ne serai jamais vraiment libre sans cela.

Voici trois ans que ma mère est morte et il m’est toujours impossible de penser qu’elle a cessé d’exister, c’est comme si une partie de moi-même était partie avec elle. Je me sens plus que jamais morcelée. Des petits bouts de moi-même étaient déjà éparpillés, emprisonnés dans un passé ancien, restés coincés dans une enfance chamoniarde, entourés de ces monstres de granite et de glace qui ont emmuré nos silences. Maintenant que s’affirme l’absence considérable de ma mère, il me faut continuer sans elle ce que j’avais entrepris avec elle. Réparer, me tourner vers demain et vivre. Alors que la souffrance des autres semble toujours très supportable lorsqu’elle se joue sur une scène qui n’est pas la nôtre, je ressens la mienne d’une manière insurmontable.

J’erre entre ma chambre et le salon. Mon regard effleure le fauteuil sur lequel elle s’asseyait, je le ressens maintenant comme un imposteur et j’ose à peine le regarder. Je n’arrête pas de tourner en rond dans la maison en butant à chaque pas sur son fantôme. Me passent alors par la tête des souvenirs d’autres fauteuils, d’autres chambres, d’autres couloirs, comme des images discontinues de vieux films.

Je me souviens, c’était il y a trois ans à peine.

La femme de Beyrouth

Chapitre 1

 

L'année de ma naissance marqua tous les esprits, celui de mon père en particulier. Je naquis en 1943, à Zahlé au Liban, une agglomération riche et dynamique dans la vallée de la Bekaa, un endroit riche et fertile ; l'on pouvait tout y faire pousser. La vallée réunissait l'ensemble des communautés : les chiites au nord, les sunnites au sud et les chrétiens au centre. Ma famille appartenait à cette confession ; c'était inscrit sur nos papiers. Zahlé, après Beyrouth et Tripoli comptait parmi les plus belles. À neuf cent mètres d'altitude, entre deux montagnes, elle offrait un climat agréable, des paysages verdoyants et de nombreux restaurants le long de la rivière El-Berdawni. Un lieu de villégiature idéal, nous étions fiers d'appartenir à cette terre ; nous l'adorions.

Pourtant, à l'issue de la première guerre mondiale, en 1920, le Liban ainsi que la Syrie avaient été placés sous mandat français. Mais avec le soutien des anglais, nous avions obtenu l'indépendance du pays et vingt ans après s'y être installé, le peuple français s'engageait à se retirer, à nous affranchir. L'année 1943 était bien celle de la liberté.

En 1951, huit ans plus tard, je fêtais mes huit ans ; c'était une belle journée. J'étais déjà la sœur aînée de Gashan sept ans, de Jacqueline cinq ans et d'Hiam âgée d’à peine un an. Jolie avec un visage ovale, de longs cheveux noirs et de grands yeux marrons ; j'étais quand même banale. D'un tempérament doux et rêveur, cela ne m’empêchait pas de savoir ce que je voulais. Ma famille et moi habitions une grande maison, entourée d'un immense jardin. Je partageais une chambre spacieuse, une sorte de dortoir, délicatement aménagé avec mes frères et sœurs. L'espace y était assez vaste pour que l'on se sente à la fois uni et protégé. Moi, ce que j'aimais par-dessus tout c'était flâner dans le jardin, j'y passais mes journées entières à rêvasser. Mes frères et sœurs voulaient jouer avec moi, je ne refusais pas mais attendais le moment de me retrouver seule. Une de mes rêveries préférées consistait à imaginer, la femme que je serais dans dix ans, je m'inventais un avenir radieux emplit de bonheur et de liberté. Les gens m'aimaient, j'entamais une grande carrière, je devenais une artiste, un peintre, une musicienne. Je me mariais avec un médecin, un architecte, un écrivain ; fondais une famille. Comblée, la vie me donnait l’opportunité de voyager, l'Europe ; l'Afrique ; l'Asie ; l'Amérique aussi.

Mon père, un chauffeur poids lourd âgé de vingt-cinq ans était marié depuis ses dix huit ans avec ma mère, Laïla, une jeune femme du village. Mes parents formaient un couple uni. Tous deux étaient nés à la fin de la première guerre mondiale, et avaient connu la seconde. Mais surtout, ils avaient vécu le premier quart de leur vie sous le protectorat français. Fouad, en vrai patriote avait participé à plusieurs rebellions dans les montagnes. En homme de principes, il n'aimait pas trop mon côté rêveur ; il me trouvait trop naïve, bucolique et considérait comme essentiel de me transmettre une vision réaliste de la vie. Il me fallait une éducation basée sur le travail ; une valeur sûre et pérenne à transmettre à mes enfants.

Les rêves sont des passe-temps pour les faibles, ceux qui n'ont pas la force de vivre ! Lorsqu'on est adulte, responsable, on ne passe pas son temps à rêvasser. Ça ne mène à rien, tu comprends ? À vrai dire non, je ne comprenais rien, j’écoutais ; tiraillée, entre la joie d'attirer son attention et, l'ennui. Je l'aimais, lui se sentait rassuré. Je finis quand même par me demander s'il n'était pas malade, ou pire encore, malheureux.

Il faut réaliser ses projets, un point c'est tout. La vie, ici, est loin d'être facile ! C'est pour ton bien que je le dis.

Ses raisonnements fidèles à la vie qu'il menait affligeaient l'enfant que j'étais. En tous les cas, mon pays, je l'aimais, d'ailleurs pour moi, on l'aimait ou on le quittait ; il n'y avait pas d'autre alternative. J’adorais ce petit pays tout en longueur qui suivait avec tant d'application, la montagne autour de laquelle il s'était formé. Son paysage unique, chaleureux, ses belles couleurs ocre. Idéalement situé entre mer et montagne. Une petite bande de littoral dans cette région aride du Proche-Orient. En hiver, son manteau blanc recouvrait les hauteurs. En été, c'était la plage, le sable et le vent dans les collines. Ceux qui avaient voyagé le comparaient aux plus belles régions du monde, la Côte d'azur, la Californie... Complexe, paradoxal avec ses guerres et ennemis, il savait vous rendre fou... Pour les grandes occasions mon père, aimait bien raconter, comment les français avaient envahi le Liban. Quand il abordait le sujet, il prenait un air grave, un ton sérieux ; il y avait quelque chose en lui de ridicule et touchant à la fois.

L'histoire remonte à l'époque de l'Empire Ottoman. L'empire était dirigé par les turcs, des barbares sans-nom dominant le monde depuis plus de 600 ans. Jusqu'au jour où, à la fin de la première guerre mondiale, ils perdirent. Alliés aux Allemands, ils durent céder leurs territoires arabes aux grands gagnants : la France, la Grande-Bretagne et la Russie. Ces pays se retrouvèrent à la tête des anciens empires ottomans : la Syrie, la Palestine, le Liban, l'Irak et l'Arabie. Cette guerre acheva l'Empire ! À ce moment du récit, il tapait invariablement, du poing sur la table, c'était irrésistiblement drôle. Les responsables de la société des nations qui œuvraient pour préserver la paix en Europe donnèrent mandat à la France pour diriger la Syrie et le Liban. Les généraux scellèrent cette décision dans les accords de Sky-Picot, le général Gouraud fut nommé responsable, il représenterait l'état français au Liban. En tant que chrétiens nous profitâmes de ce rapprochement avec l'occident pour faire pression et obtenir la création d'un état indépendant. La France détacha, de l'ancienne Syrie, le Grand-Liban. L'état libanais moderne, était né. Mais, il nous fallut attendre encore vingt ans pour que le Liban devienne totalement libre.

Petite, cette histoire me terrorisait et mon père s'en amusait.

Tu sais Siham, ce qui arrive aux petites filles qui ne sont pas sages ? Les turcs, viennent les chercher !

Mais je suis sage, papa ! Pas vrai maman que je suis sage ? Je ne vais pas aller vivre chez les turcs ?

Mais bien sûr que non ma chérie, Fouad, laisse-la ! Je ne vois pas l’intérêt de lui raconter sans cesse cette vieille histoire !

Alors reste toujours bien sage, ma chérie comme cela tu ne seras jamais embêtée. Il riait sous cape.

Avec le temps ce récit, finit par amuser toute la famille. Fouad, en plus d'être passionné d'Histoire avait l'opportunité de voyager, propriétaire de son propre camion, il livrait des marchandises à travers le monde. C'était pour lui une source de fierté, un signe de réussite probant. Il aimait sa vie et la liberté qu'elle lui procurait. Il n'avait de cesse de répéter que quand on travaille pour soi, on travaille forcément mieux ! En effet, il ne s'économisait pas et grâce à un sens aigu du commerce, une bonne organisation, les affaires tournaient bien. Il avait inscrit son entreprise auprès d'une grande société de transports, chargée de lui trouver des clients. Il partait régulièrement en mission deux, voire trois mois ; alternant entre l'Arabie saoudite et l'Afrique. Il y avait beaucoup d'argent à faire. Nous ne savions pas très bien ce qu'il transportait, personne ne posait de questions, on s'en fichait ; par contre mon frère, lui, ne voyait que par lui.

Plus tard moi aussi, je serai un aventurier comme papa, je gagnerai beaucoup de sous comme papa, j'attaquerai des lions…

Il est vrai qu'il donnait envie de voyager. Nous l'admirions et le craignions à la fois. Nous aurions bien aimé l'accompagner mais pour rien au monde, nous n'aurions quitté le sourire de notre mère. Quand mon père n'était pas là en tant qu’aînée, je passais davantage de temps avec elle, nous nous rapprochions. Il y avait bien sûr Gashan et mes deux petites sœurs mais la maison devenait une maison de femmes.

L'ensemble d'un monde

Il ne comprend que la douceur

Un apprentissage de son cœur

Bousculant le mal pour la chaleur

Tendrement dans son intérieur

 

L’histoire contre la jalousie

Une mémoire pour l’envie

Ses mains habiles pour les cris

En silence, sans qu’il s’ennuie

 

Il ouvre des portes fermées

L’inconscience d’être aimé

Donnant la force de l’amouritié

Des rêves dans l’immensité

 

Il aime le faire ressentir

Une heure ou même pire

Son bonheur sous un sourire

Des caresses qui expirent

 

Sa vie sous des épisodes

Son bonheur en exode

On ne trouve pas le code

Il pleure et s’en accommode

 

Un jour vous l’aurez compris

Quelques histoires de sa vie

Il ne veut pas de mépris

Juste l’amitié et l’amour uni

 

Histoire d'eux

 

Il y a ce premier baiser

Les deux le désiraient

Timide sans se l’avouer

Unique par deux volontés

De leurs mains moites

De leurs bouches étroites

L’hésitation maladroite

Un pouvoir s’exploite

Une attirance aimante

Une chaleur débordante

Ils se lient, s’émouvantent

Une approche excitante

Vers le pas de l’unique

La fragilité pudique

Les corps en pratique

Le sourire s’explique

Les langues s’emballent

Elles tournent, s’étalent

Deux êtres s’empalent

Les deux se calent

Impossible de les séparer

La puissance de ce baiser

Le feu s’est enflammé

Se retirant et recommencer

                Des petites choses cent prescriptions  - Thierry Leroyer          

Un jour de pluie

Différente mais colorée
Patience et te retrouver
Je te vois enfin arriver
Un pas calme et apaisé
Je souris vers ton regard
Ce moment avec espoir
Ton charme lève le noir
Entre toi et moi, un couloir
Je te sens si proche
Tes mains aux poches
Avance encore, approche !
Avance espoir, j’accroche!
Un mètre nous sépare
Tes bras se préparent
Mon intérieur à s’émouvoir
Ton sourire a ce pouvoir
Tu me serres en douceur
Le battement de mon cœur

La pluie et son odeur
Je suis heureuse de sentir
Ton corps qui m’attire
Entre mes gros soupirs
Je vais enfin sourire
On se prend par la main
Sûrement jusque demain
Mon esprit est serein
Tu es là et te retiens

 

Tendresse confiden-ciel   Thierry Leroyer alias Coeur de Lion

Dix-huit ans

 

J’avais à peine dix-huit ans

Je me cachais de mes parents

Je l’avais enfin rencontré

L’homme qui m’a bouleversée

Dans sa voiture un peu pourrie

Il a allumé mes interdits

Je me souviens du premier jour

Au beau milieu de la cour

Il marchait avec ses copains

Son regard a attiré le mien

Son jean lui moulait les fesses

Ses yeux révélaient sa tendresse

Il connaissait ma meilleure amie

Il a abandonné tous ses amis

Toutes les heures passaient

De plus en plus à se rapprocher

Je le voyais du début du matin

La nuit, je rêvais de ses mains

Il était plus âgé que moi

Il voulait ma première fois

Sa patience à me le demander

Dans sa poubelle, j’ai craqué

Je l’ai laissé faire sur mon intimité

J’avais plus peur que ma timidité

J’avoue que j’y avais tellement pensé

Que le naturel m’a de suite emportée

Je me souviens du goût de ses lèvres

Les mêmes pour me donner la fièvre

Le bonheur progressait tous les jours

Un conte de fée ou une histoire d’amour

On est passé par beaucoup d’endroits

Mon désir augmentait avec la joie

Des mois suivis par tant de caresses

C’était le roi pour ma princesse

 

Sofia Perez

Hasard

Je maudis ce silence qui s’impose un peu plus chaque jour, et qui résonne comme une évidence, celle du vide à venir entre nous. Quelle tristesse, quand toutes mes aspirations me ramènent toujours, inévitablement, vers elle.

Quand ce lien que nous avons tissé, extrait de mon cœur les larmes d’une peine infinie.

J’entends pourtant encore le timbre de sa voix, un timbre doux, presque inaudible. Le murmure d’un aveu fatal, d’une timidité maladive qui suscita en moi un désir fou. Celui de la connaître. C’est dans une cour austère de l’éducation nationale que nous nous sommes rencontrées. Je ne l’avais presque pas remarquée jusqu’à ce jour, jour J d’un chuchotement qui se nicha au creux de mon oreille et qui scella notre destinée.

Frédérique arborait un corps sec, un corps bien entretenu, sous le contrôle d’une activité sportive régulière. Un galbe maîtrise qui lui donnait en apparence un air sûr et dominant.

Son allure abritait un cerveau plutôt puissant, qui se nourrissait de l’absurdité ambiante. Elle adorait mettre en lumière tout ce qui semblait dysfonctionner et dans l’éducation nationale les exemples ne manquaient pas. C’était même du pain béni pour elle d’évoluer dans un tel contexte. La plupart du temps lorsque Frédérique parlait, les autres l’écoutaient religieusement. D’ailleurs, la directrice avait pris l’habitude de la consulter. Elle exerçait le plus souvent une sorte d’aura sur son auditoire. Sans s’en rendre particulièrement compte.

C’est pour cette raison que ce que j’entendis ce jour-là me fit l’effet d’une bombe. Car J’étais bien sûre d’avoir entendu le fond de ses propos mais je n’arrivais pas à croire que c’était elle qui avait prononcé ces mots là. Elle ? Timide ? Ce n’était pas possible. Je percevais un décalage fulgurant entre l’image qu’elle renvoyait et ce qu’elle éprouvait intérieurement. Je ne reconnaissais pas celle qui évoluait près de moi dans son costume de collègue, celle que je m’étais approximativement approprié jusqu’alors. C’était la voix d’une petite fille qui l’habitait et qui s’était invitée là au beau milieu d’une banale conversation entre professionnels. Toujours est-il que cette intrigue me parut particulièrement digne d’intérêt. Et que le soir même je me rapprochai d’elle pour satisfaire ma curiosité.

Je me mis régulièrement à l’observer. J’avais l’impression qu’elle cherchait un endroit pour évoluer et qu’elle n’incarnait pas celui qu’on lui proposait. Elle était ailleurs, en marge, quelque part. Je ne sais pas pourquoi elle s’est approchée de moi mais je suis certaine qu’elle ne l’a pas fait par hasard.

Je me suis d’ailleurs longtemps demandé comment son instinct avait fait pour me saisir si naturellement. Je pense qu’une mère sang n’aurait pas été plus habile. Elle pressentait que j’étais insatisfaite dans mon travail, que j’avais besoin d’explorer d’autres horizons et elle m’ouvrit ces portes-là avec une certaine humilité, déconcertante, en me proposant des méthodes qui sortaient de l’ordinaire, hors des sentiers battus, faites par des pédagogues qui pensaient avant tout à l’intérêt de l’enfant et qui ne le considéraient pas comme un abruti. Des méthodes qu’elle avait expérimentées et qui semblaient plaire.

Notre entente devint rapidement fulgurante.

Bernard VIALLET

Le mammouth m'a tuér

Tout a commencé pour moi au cours de l’année scolaire 1969/1970. J’étais encore étudiant à la Faculté des Lettres et en même temps maître d’internat pour la deuxième année. Je surveillais l’étude du soir, puis le repas et enfin le dortoir où je dormais dans un petit box attenant pour pouvoir intervenir au moindre incident. Le lendemain matin, après le petit déjeuner, nous passions le relais aux surveillants d’externat et étions libres de nous reposer ou de travailler nos cours jusqu’à 17h, moment où il fallait reprendre la surveillance. L’avantage, en plus du petit salaire qui me permettait d’être autonome et de ne rien demander à mes parents, incapables d’ailleurs de me financer, était de me laisser au moins trois jours entiers pour aller assister aux cours.

Je travaillais d’abord dans un Lycée Technique (maintenant appelé LEP) à plus de 70 kilomètres de la capitale, puis à la rentrée suivante dans un autre, privé celui-ci, mais plus proche. L’ennui était le salaire relativement plus faible et la population scolaire assez particulière : la plupart des élèves avaient été en échec scolaire dans les établissements publics de la région. Ces deux établissements me semblèrent particulièrement difficiles à l’époque. Mais je n’avais encore rien vu !

À quelque chose malheur est bon. J’y appris à me faire respecter, à toujours m’imposer, à ne jamais baisser les bras quelles que soient les circonstances. Il n’était pas rare, suite à un chahut, un monôme ou un charivari quelconque au dortoir, de faire descendre tout le monde dans la cour à n’importe quelle heure de la nuit pour rétablir l’ordre… Rien de tel qu’une série de tours de cour dans le froid pour calmer les esprits. À cette époque, les pions pouvaient se permettre de gratifier les fortes têtes de quelques taloches bien placées, histoire de se faire obéir. C’étaient des pratiques admises aussi bien par les enfants que par les parents. De nos jours, certains doivent même douter que cela ait pu exister !

J’ai pu constater également la différence entre l’école publique et l’école privée. À l’époque, l’école publique était mieux dotée et souvent mieux cotée. L’école privée donnait une impression de parent pauvre avec ses vieilles tables pleines de graffitis et ses dortoirs misérables. Mis à part quelques institutions prestigieuses que je ne nommerai pas, le tout venant accueillait principalement des élèves qui avaient échoué partout et dont les parents ne pouvaient pas s’occuper pour des raisons professionnelles. Il n’y avait pas de ruée vers le privé, loin de là. Les professeurs donnaient l’impression de pauvres hères blanchis sous le harnais, sous payés et un peu aigris de se sentir de seconde catégorie. Il y avait même une sorte de complexe vis-à-vis du public. À partir de 1984, tout allait basculer et lentement se retourner en faveur du privé.

Cette expérience de « surveillant » faisait suite pour moi à une longue série de séjours comme moniteur de colonie de vacances et de centres aérés (terminologie de l’époque. On dit maintenant « animateur » et « centre de loisirs », mais c’est la même chose), où j’avais pu observer des groupes d’enfants dans leur contexte le plus favorable. Le mono a l’avantage d’amuser les enfants et de faire accessoirement un peu de discipline si besoin est. Le pion, lui, n’est pas là pour distraire, mais uniquement pour surveiller. Il n’a donc pas le beau rôle, d’autant plus que j’avais affaire à certains élèves à peine plus jeunes que moi !

Je découvris aussi toutes les difficultés de la vie de prof : les chahuts, l’opposition, l’indifférence voire la rébellion des potaches. Je rappelle que nous étions en 69 et que ce n’était déjà pas facile d’enseigner en LEP… Bien sûr, aucune comparaison avec la situation actuelle, mais quand même, cela me suffit à abandonner toute idée d’enseigner en secondaire comme j’avais pu l’envisager auparavant.

 

Trois millions… ou presque

Entre deux foulées lourdes, Benjamin regarda sa montre. Cela faisait 13 minutes qu’il avait enclenché le chronomètre et il n’était pas encore arrivé au bout du sentier. Il lui restait au bas mot 200 mètres de dénivelé à avaler, une dernière portion qui se présentait sous la forme d’une longue ligne droite légèrement inclinée. Il tenta, dans un sursaut d’orgueil, d’accélérer l’allure. Il enchaîna ainsi sept à huit pas cadencés, telle une marche militaire, avant de renoncer, rattrapé par la triste réalité. C’était toujours comme cela avec la course à pied, l’entrée en matière se révélait déterminante, et il était presque impossible de remonter le temps perdu. Une entame mollassonne vous aiguillait vers un train de sénateur qu’il était difficile d’abandonner, alors qu’une attaque déterminée, même si elle n’était pas toujours menée à son terme, valait quand même la récompense d’un temps honorable. Là, avec ces treize minutes bien entamées, il n’y avait déjà plus rien à espérer. Benjamin reprit donc son allure initiale, celle du convoi exceptionnel, aujourd’hui, c’est sur ce rythme paresseux qu’il terminerait. Mais il n’avait pas envie de s’accabler plus que de raison, la journée avait été difficile à l’usine : un paquet de commandes à honorer et une cadence soutenue à l’atelier de production avaient consumé l’essentiel de son énergie. Et si ce soir il avait choisi de sortir ses baskets du placard, c’était d’abord pour se vider la tête, pas pour effacer des tablettes son dernier record sur la distance. Cette sortie au grand air était aussi l’occasion de goûter le retour des beaux jours, parce que le printemps, par petites touches, avait commencé à faire son nid. Les journées s’allongeaient et les givres matinaux étaient moins tenaces. Autre signe qui ne trompait pas, les boulistes avaient réinvesti la place de la fontaine après une longue période d’hibernation. Ils se retrouvaient maintenant en fin d’après-midi autour du petit bar et jouaient jusqu’à ce que la fraîcheur les chasse, c’est-à-dire dès que le soleil partait se cacher derrière la montagne. L’altitude ordonnait ces brusques variations de température. Perché sur un promontoire de 800 mètres, le village vivait dans un microclimat, toujours un peu en décalage avec celui de la plaine.

Enfin parvenu à la ferme des Jacomots, Benjamin amorça son demi-tour. Son cœur battait la chamade et son T-shirt blanc était déjà humide de sueur. Les rayons du soleil couchant accompagnèrent sa lente rotation. Il ne regarda même pas sa montre, pas la peine d’alimenter d’inutiles espoirs. Il se contenta de se laisser porter par le faux plat descendant, c’était quand même plus facile dans ce sens-là. Il profita du relief favorable pour jeter un œil à la route départementale que longeait le sentier. Il repéra le feu de chantier tricolore qui chaque matin annonçait une nouvelle journée de labeur. Il détailla aussi la colline verdoyante posée dans son dos. Les châtaigniers n’allaient plus tarder à fleurir et il se dit qu’il pourrait bientôt emmener Tiffany se balader dans les sentiers. Elle avait grandi et pouvait marcher davantage à présent. Il profita du devers favorable pour allonger un peu sa foulée, mais ce fut dans la crispation, le souvenir du départ de l’enfant ravivait une plaie à nue, encore impossible à cicatriser.

À l’approche de l’impasse, il se força à terminer au sprint, peut-être pour se donner l’illusion d’un dernier coup de pied à la vie. Mais lorsqu’il stoppa le chronomètre, le verdict fut sans appel : 31 minutes et 49 secondes, c’était un temps à lui faire regretter d’avoir voulu s’étalonner. Mains sur les hanches, il longea la bâtisse en vieilles pierres, il tentait de retrouver son souffle. Il s’étira ensuite quelques minutes devant la porte de son appartement, en veillant à alterner les positions fléchies, puis lorsqu’il décida de rentrer, il fila directement à la salle de bains pour s’offrir une douche réparatrice. Avant de passer sous le jet, il extirpa la balance du petit meuble blanc situé sous l’évier et monta cérémonieusement dessus. Mais les chiffres s’étaient ligués contre lui aujourd’hui. L’aiguille se fixa sur le nombre 89, et malgré quelques gesticulations de l’examiné, et deux nouvelles tentatives, elle ne bougea pas d’un cil jusqu’à ce que ce dernier ne se résolut à descendre de son piédestal. Travailler dans une usine où l’on fabriquait des tonnes de crème de marrons vous octroyait l’avantage de pouvoir emporter certains pots abîmés à la fin de la semaine, mais aussi avec eux, la probabilité de générer quelques lignes superflues autour des hanches. Benjamin demeura quelques secondes devant la glace pour mesurer l’étendue des dégâts. Il avait toujours cette bouée disgracieuse autour du ventre qui enflait dangereusement par endroits. Elle lui permettrait de flotter facilement en zone de turbulence si d’aventure il décidait un jour d’affronter les vagues de l’Océan Atlantique. Il saisit le bourrelet à deux mains et le palpa sans retenue, laissant ici et là des empreintes de doigts rougies. Il en fit lentement le tour avant de lâcher prise et qu’il ne s’éparpille autour de son minuscule nombril. Ce n’était pas fini. Dans le reflet de la glace murale, deux joues bien remplies et des fesses rebondies complétaient le tableau à la Botero, on pouvait dire que c’était un homme à arrondir les angles, ce qui n’était pas faux. Après cet état des lieux implacable, il replaça le pèse-personne dans le petit meuble, mais sans animosité. D’accord le verdict était sans appel, mais personne ne pouvait lui enlever le bénéfice de la lutte. Ces dernières semaines, il avait appris à réguler son souffle et à produire de longues accélérations. En certaines occasions, il avait même fait preuve d’endurance. C’était tout de même à mettre à son crédit, même si pour le moment, l’aiguille de la balance refusait de matérialiser l’ensemble de ces efforts.

Le disque dur

1

Il avait peur de le revoir. Cela avait été difficile de se l’avouer, pourtant c’est bien la proximité de ce corps, même grimé, qui l’effrayait chaque heure davantage. Pourrait-il confier ses craintes à sa sœur, elle qui avait pris soin de leur père ces derniers jours, ces derniers mois, ce paquet d’années qui entérinait son éloignement. Forcément, il se sentait un peu coupable. Ce n’était pas un mauvais fils, il n’avait pas commis l’irréparable, pas fomenté de possibles trahisons ni sali une mémoire en voie d’effacement. Il n’avait rien fait de tout cela, c’était pire, il s’était absenté. Il avait choisi l’exil en dehors du territoire breton, dans une région où le soleil régnait en maître, aux confins d’une contrée ouverte sur la mer et la garrigue. Alors oui, ces retours au pays s’étaient faits plus sporadiques, un millier de kilomètres tout de même, c’est une distance qui ne s’efface pas d’un coup de baguette magique. Malgré les autoroutes de plus en plus larges, les berlines toujours plus confortables, il fallait se les enquiller les 10 heures de routes, de jour comme de nuit, c’était un coup à chopper des crampes aux poignets. Il fallait avoir une bonne raison pour revenir jusqu’ici. Lui en avait des dizaines, sans rire, il n’avait même pas besoin de chercher.

Il pouvait les balayer d’un regard : retrouver le paradis perdu d’une jeunesse heureuse, revoir sa sœur, parler à son père, respirer de nouveau les embruns de l’océan, entendre le tonnerre des rouleaux se fracassant sur les rochers de la côte, observer le soleil jouer à cache-cache avec la bruine, contempler avec bonheur les toits de tuiles grises et se dire qu’on est d’un pays. Il avait ressenti tout cela, bien des fois, mais la vie est aussi faite d’impératifs. À l’autre bout de la France, une femme et un fils l’attendaient avec des demandes de plus en plus ciblées, il y avait aussi ce restaurant qu’il portait à bout de bras, et cette existence douce et heureuse dans l’arrière-pays aixois qui lui faisait penser qu’il avait fait le bon choix. C’est ainsi, il y avait match. Un match qu’il avait sans doute perdu ces dernières années, faute de temps, faute d’envie. Petit à petit, il avait fini par lâcher, par renoncer à sa terre natale. Mais ce n’est pas pour cette raison qu’il avait peur de revoir son père.

Au volant de sa puissante Hyundai Tucson, Nicolas pénétra dans le petit village où vivait encore sa sœur Camille. La voiture ralentit progressivement son allure, elle passa lentement devant la place de l’église où quelques artisans locaux proposaient leurs étals de fruits et légumes, puis elle marqua un arrêt prolongé face à l’école primaire. À travers la vitre de la classe, Nicolas distingua la silhouette longiligne de la maîtresse debout près du tableau. La salle était située à droite du préau, c’était le même caisson qu’il avait fréquenté autrefois, à une époque lointaine où il passait l’essentiel de ses journées à lorgner du côté de la pendule. La voiture finit par reprendre sa route. Presque au ralenti, elle dépassa une rangée de haies, négocia un virage serré à droite puis pénétra dans le nouveau lotissement. C’était toujours un casse-tête pour retrouver son chemin dans ce dédale de constructions. Toutes les rues se ressemblaient, avec leurs enfilades de maisons accolées et leur parterre fleuri. C’était sans doute très fonctionnel, mais ce côté réplique à l’identique avait quelque chose de déprimant. Après avoir hésité quelques instants, il finit par identifier la maisonnette avec un volet bleu clair, un des rares signes distinctifs accepté par le voisinage.

Nicolas gara la voiture le long du trottoir puis fit quelques pas sur la chaussée. Il était parti hier soir après le repas, il avait effectué 2 arrêts sur le trajet, dont un à l’aire de Limoges pour s’assoupir quelques heures ; on peut dire qu’il avait bien roulé, que tout s’était bien passé. C’est d’ailleurs ce qu’il avait écrit dans le petit SMS envoyé tout à l’heure à Marla. Elle n’avait pas encore répondu, elle devait se trouver déjà bien occupée. Sa femme avait une matinée chargée, comme souvent. Elle devait d’abord conduire Timothée à l’école pour 8 h 30, puis passer au siège de la permanence pour y rencontrer le fameux Richaud. Le reste de la journée servirait à préparer l’échéance capitale de ce soir. Nicolas ne se faisait pas de soucis pour elle, Marla avait des ressources insoupçonnées, elle saurait bien dans cet intervalle s’occuper d’un enfant, amadouer un cacique du parti, et peaufiner son discours progressiste. Son programme à lui était beaucoup plus minimaliste : se dégourdir les jambes, embrasser sa sœur, boire un café, parler (ou pas), pleurer (ou pas), rendre visite à papa. Et il avait toute la journée pour cela. Pour lui, la vraie échéance, du moins l’officielle, était prévue demain.

Lorsque Camille a ouvert la porte, elle avait un sourire las et les traits défaits de quelqu’un qui n’a pas beaucoup dormi. Nicolas s’efforça de lui rendre son rictus puis l’embrassa, assez maladroitement. Il aurait aimé l’étreindre mais c’était en dehors du champ de ses compétences. À ses gestes empruntés, elle sut immédiatement dans quel état d’esprit il se trouvait. Elle le connaissait bien, malgré la distance qui les séparait et les années qui filaient dangereusement. Elle devinait déjà la sécheresse et le désarroi qui l’entouraient. Malgré cela, elle ne parvenait pas à lui en vouloir. Pas aujourd’hui. Son petit frère était là et c’est tout ce qui comptait. Il ne dirait rien ou pas grand-chose, il repartirait le plus tôt possible, dès que l’occasion lui serait présentée, il la serrerait du bout des doigts au moment du départ, comme il venait de le faire. Tant pis, tant mieux, c’était ainsi.

PETIT PONT

Partie 1

1

Deux petits carnets noirs annoncent des modifications profondes de ma personnalité. Dans mon milieu, ce n’est pas souhaitable. Alors oui, j’ai un peu peur. Cela ne m’empêche pas de les relire attentivement ni de m’y atteler entre deux séances d’entraînement. C’est comme un rituel, mais comparé aux laçages aléatoires des chaussures que j’évoquerai plus tard, celui-là est d’un genre plus envahissant. On en sort pas complètement indemne. Cela s’insinue en vous par petites touches, forcément, ce qu’on retrouve là-dedans, c’est vous, par petites touches.

C’est bien là que ça se complique.

Après avoir achevé le premier carnet, j’ai hésité un peu à poursuivre dans cette voie. Je ne comprenais pas vraiment où tout cela allait me mener. Passer d’une description factuelle à des impressions furtives, relater un évènement plutôt qu’un autre, tout ceci semblait à la fois stérile et décousu. Mais à y regarder de plus près, j’ai fini par percevoir l’unité sous-jacente qui tapissait chacun de ces textes. Curieusement, c’est à moi qu’ils s’adressaient, enfin à une partie de moi, celle qui avait besoin de mots et de signes pour exister. Et sous des allures innocentes, parfois futiles, quelquefois teintés d’humour, ils me parlaient de vie, de direction et de choix. Alors, j’ai commencé la rédaction du second carnet, mon écriture s’est fluidifiée et ma pensée s’est aiguisée, elle a fini par révéler la tonalité de mon quotidien. Et ce n’était pas l’image que je m’en étais faite. Remarquez, tout cela, je pouvais quand même le deviner, il y avait plusieurs indices disséminés autour de nous. Mais c’est tout de même plus simple, quand on peut lire noir sur blanc, une de ces annonces se parer d’atouts thérapeutiques. La dernière datait de deux semaines, je l’avais appelée « Petit pont. ». Le titre m’était venu naturellement comme une réponse à l’impasse dont les contours se dessinaient jour après jour. Ces petits textes commençaient toujours par une date un lieu et une heure, comme s’il fallait figer le temps et l’espace.

J’avais donc écrit ceci.

24 mars, camp d’entraînement, 10 h 12

Petit pont

C’est Rémi, le titi parisien, qui s’était retrouvé coincé le long de la ligne de touche. Il avait déjà deux adversaires autour de lui et un troisième arrivait en renfort. Rémi était un peu particulier, il avait un art certain pour se compliquer la vie sur un terrain de football. Il fallait toujours qu’il tente des dribbles improbables, qu’il choisisse les options les plus audacieuses, au grand désespoir de ses entraîneurs et de ses partenaires qui trouvaient certaines de ses inspirations géniales, mais son jeu bien trop alambiqué pour suivre les lignes directrices de nos schémas tactiques. Une fois, il m’avait humilié à l’entraînement, il avait osé une feinte qui m’avait pris de court, je m’étais retrouvé à 4 mètres du ballon sans rien comprendre à ce qui venait d’arriver. Curieusement, je n’avais pas bougonné (mais c’était l’entraînement), j’avais même trouvé cela agréable, c’est toujours excitant d’observer la manifestation d’un talent.

Enfin bon, là, coincé le long de cette ligne blanche avec trois gars sur le râble, je ne voyais pas bien comment il allait pouvoir s’en sortir.

Enfin si, moi, j’avais bien une solution. J’aurais frappé fort dans le ballon en espérant qu’il percute une des jambes voisines. Avec ce geste utile, j’aurais sans doute obtenu une touche, un gain très honorable vu les circonstances. Mais il était spécial ce Rémi, pas du tout adapté au haut niveau d’ailleurs, mais spécial c’est sûr, en tout cas pas le genre à abandonner la balle à l’adversaire ou à viser une simple remise en jeu. Je crois que pour lui, la pratique du football prenait véritablement sens dans ce type de configuration délicate, ces combats perdus d’avance, le reste l’intéressait beaucoup moins. Je me suis dit, il va peut-être jouer la faute, s’écrouler au contact d’un genou adverse ou mimer le déséquilibre, après tout ce sont des gestes qui appartiennent aussi au panel d’un joueur offensif. Personne ne lui en aurait voulu de ruser de la sorte, parce que là clairement, il n’y avait rien d’autre à faire. Il se trouvait à l’arrêt, encerclé dans un espace réduit, délimité par une ligne blanche et trois corps musculeux qui ne demandaient qu’à s’éprouver à son contact. Objectivement, il n’avait aucune chance de s’en sortir.

Un peu comme moi aujourd’hui. Mes adversaires sont un peu plus amicaux, leur chair est plus tendre, ils se permettent même des gestes d’affection, une forme de connivence qu’ils ont développée au fil des ans, mais je connais leur art de l’encerclement. Dans le fond, ils sont bien plus pressants et déterminés, et gagner une touche ne m’apportera rien, un petit sursis dérisoire, alors qu’il me faudrait une véritable bouffée d’oxygène. Je ne sais pas exactement combien ils sont à me cibler de la sorte. Je dirai au moins deux, peut-être trois. J’ai l’impression qu’ils se relaient, qu’ils s’accordent dans leur entreprise de récupération.

Pour en revenir à Rémi, il a trouvé la solution. Ne me demandez pas comment il a fait. Je sais juste que l’espace crucial qui lui faisait défaut, il l’a inventé entre les jambes du molosse qui était venu l’agresser, il a fait passer le ballon entre ces deux guibolles surpuissantes, avec une grâce et une facilité qui n’appartenaient qu’à lui. Et tandis que les deux couillons se percutaient et gênaient l’intervention du troisième défenseur, Rémi s’est détaché de la ligne, sans même chercher à accélérer.

C’est un geste comme celui-là dont j’aurai besoin aujourd’hui.

D’une manière générale, tous ces textes rédigés en première intention restaient bienveillants, amers et piquants parfois, mais globalement bienveillants, comme l’histoire de ce « Petit pont ». On restait sous le joug de la vérité sans pousser trop loin les portes de l’intimité, j’avançais à pas feutrés. Tout cela ne semblait pas si grave, c’est en tout cas ce que j’ai pu croire un temps. Comme si la vie vous laissait le choix. Mais c’est faux. L’envie, la peur, la culpabilité finissent par vous mettre en porte à faux. Elles vous conduisent, à travers ces petites proses affables, vers des chemins escarpés où les précipices sont visibles et où l’on sent la terre meuble sous ses pas hésitants.

Mes carnets noirs sont rangés au fond du placard, Clémentine n’est pas prête de les trouver. Elle n’y comprendrait pas grand-chose. Sur certaines pages, je parle parfois d’elle, un peu de nous aussi, mais toujours à demi-mot. Longtemps, je suis resté sur des stéréotypes de couple en difficulté, vous savez les choses qu’on dit souvent quand on entre dans la septième année. J’ai rédigé des phrases sur l’usure des corps, la perte d’identité, les caractères qui évoluent, le ventre qui ne s’arrondit pas, des éléments qu’on peut combattre avec un peu d’amour et d’attention. Et puis un jour, une phrase a jailli qui a bouleversé ma perception des choses.

C’est daté du 25 février, cela fait plus d’un an. D’une main un peu tremblante, j’avais écrit :

« Je n’ai pas envie de tromper ma femme, mais si je le faisais, je crois qu’elle s’en remettrait. »

Sur le coup, je n’avais pas bien compris. Certes, la notion de fidélité est un élément important au sein du couple, mais ce n’était pas à proprement parler une menace qui planait au-dessus de nos têtes. Pour tout dire, l’état des lieux que j’avais dressé à la hâte était même plutôt rassurant. Je n’éprouvais aucune envie de tromper ma femme, même s’il existait ici et là quelques tentations, il me suffisait de ne pas y donner suite, comme je l’avais fait depuis le début de notre relation. J’y parvenais sans trop d’efforts, la sexualité épanouie et assumée de Clémentine me suffisait amplement, même si dans ce domaine aussi, les choses avaient évolué. J’ai longtemps retourné cette phrase dans ma tête avant d’identifier ce qui m’effrayait vraiment dans cet agencement de mots. C’est évidemment la dernière assertion qui me plongeait dans l’embarras. Ma femme pourrait donc « se remettre » de mon infidélité. Pour bien faire les choses, j’ai pris un dictionnaire et j’ai cherché une définition précise de ce verbe pronominal. J’ai finalement trouvé cette proposition : « sortir d’une situation pénible et revenir à un meilleur état ». Voilà ce que je subodorais donc au sujet de la douce qui m’attendait couchée à la maison, elle pouvait « évoluer » sans moi vers un meilleur état. Je n’avais aucun élément tangible qui puisse nourrir ce postulat ni même le développer. Rien dans ses gestes ni dans ses paroles n’indiquait une possible mutation. Le doute n’existait que griffonné dans cette page de carnet, coincé entre une pensée sur le jeu et une réflexion sur l’automne. Ce n’était peut-être pas là qu’il était né, mais c’est ici que je lui avais donné forme.

Quelqu'un d'autre - Roman de Cédric Le Calvé

 

Rendez-vous à Amsterdam

Pierre avait renoncé au vol de nuit et aux embouteillages récurrents autour de l’aéroport de Schiphol. Depuis l’entrée des Pays-Bas au sein du pôle européen, la cité aux multiples canaux était devenue extrêmement difficile d’accès. Elle avait été autrefois le royaume des piétons et des vélos charpentés pour des voyages au long cours. En famille, en amoureux ou en solitaire, les cyclistes traversaient alors la ville comme on découpe une lamelle de beurre, sans résistance, avec un appétit gourmand. Cette époque, que Pierre avait fugacement connue, était aujourd’hui complètement révolue. À tel point qu’il se demandait s’il ne magnifiait pas un peu cette vision enchanteresse, comme il le faisait parfois quand il laissait des souvenirs de jeunesse réchauffer son cœur fatigué. Amsterdam, aujourd’hui, était devenue une sorte de blockhaus, une citadelle fortifiée de béton ou le nomadisme n’avait plus cours.

Le conseil municipal avait cédé aux exigences du pragmatisme et voté l’édification de lourdes infrastructures autour de ses axes principaux. Les tunnels, les ronds-points, les voies de dégagement, les parkings à ciel ouvert s’étaient multipliés jusqu’à gangrener le cœur de la cité. L’avenir s’inscrivait donc dans une forme de retour moyenâgeux où une architecture métallique, complétée par le béton cellulaire et l’acier empêchait l’accès fortuit, innocent ou simplement hasardeux au sein de la capitale batave. L’adhésion au pôle européen était à ce prix. Le train était devenu le moyen de locomotion le plus efficace pour percer l’enceinte de la ville. Et Pierre, en deux clics et un paiement immédiat avait pu réserver une place pour un départ en début d’après-midi.

Un e-mail était tombé la nuit précédente, à 2 heures 43 minutes précisément, il confirmait la tenue de la conférence extraordinaire prévue le 12 dans la neuvième capitale.

Le communiqué, impérieux et succinct, suggérait de réserver une chambre pour trois jours dans les lieux de convention habituelle. Il avait respecté le protocole et opté pour une suite à l’Ambassador le long de l’avenue Strassburger. Tout cela ne lui disait rien qui vaille.

Ces nouvelles en cascade déréglaient une mécanique devenue fragile au fil du temps, elles puisaient dans une source vitale qu'il avait longtemps cru intarissable, mais qui s’était atrophiée au contact de la solitude et de l’ennui. Depuis quelques mois, des pensées volatiles, capricieuses et blessantes se baladaient dans sa tête jouant avec une cruelle malice à piquer leur créateur. Pour lutter contre ces indésirables envahisseurs, il essayait de rester en action, même si parfois, ces ébauches de mouvement pouvaient apparaître dérisoires.

Ainsi ce matin, il avait passé une bonne partie de son temps dans l’appartement, il avait changé le sac de la poubelle, repeint en bleu la porte de la cuisine, consacré une bonne heure à ranger et à nettoyer sa chambre, puis il s’était mis en tête de classer des CD obsolètes qu’il n’écouterait sans doute plus jamais.

Il n’avait laissé aucune prise à la pensée et à la rêverie qui sous des allures affables, il le savait, le conduiraient tout droit sur des chemins incertains où il n’était jamais bon de s’engager.

Quoi qu’il en soit, dans ce petit monde au ralenti, ce nouveau départ pour Amsterdam était un singulier contretemps, le quinquagénaire amaigri allait revenir sous les feux de la rampe pour quelques heures au moins, et loin de l’enchanter, cette perspective à présent lui faisait peur.

Tout cela arrivait trop tard. La pièce qui se jouait sans lui depuis bientôt un an était devenue une production internationale dont le scénario était régulièrement en cours de réécriture, même l’ordre des actes avait peu d’importance, les auteurs exploraient simultanément plusieurs pistes sans savoir d’ailleurs où elles allaient les conduire.

Pierre y avait tenu autrefois le rôle principal, une participation majeure pour laquelle il avait payé le prix fort. Et voilà maintenant que l’État français le rappelait et exigeait sa contribution active. Il aurait pu refuser, ce n’est pas le travail qui manquait, avec toutes ces portes à repeindre, ces bols à empiler et les livres de la bibliothèque qu’il faudrait également classer par genre, par auteur, par taille, par poids, par titre, il avait l’embarras du choix.

Mais la convocation avait des accents de mise en demeure et Pierre, c’est un fait qui le troublait parfois, n’aimait pas vraiment les complications. Alors pour un week-end, il allait devoir oublier son dos douloureux et sa fiancée envolée et reprendre encore une fois la chronologie immuable de cette singulière nuit étoilée.

 

Zoé KARIBOO

Écueils Tome 1

Extrait de la première partie : Autour de nous

FA SI LA fredonner

 Le Do minant, d'un ton grave,

Apostrophe le SI, errant,

Aigu et léger, le SI, le voici.

RE union à MI di clament-ils !

Fa cétieux et SOL idaires,

Soudain, accourent les deux compères.

Accrochés tous à temps, à 3, à 4 ou par pairs,

Détachés parfois de pauses ou de discrets soupirs,

En rondes, les voi SI, tous en rythmes,

prêts à partir.

Alors qu'elles prennent la clé de champs, de FA ou de SOL,

Pour porter, avec le vent, la musicale parole.

Écueils Tome 2

La caravelle des sens

Pour un temps infini indéfiniment,

Un jour de février, je me suis posée,

Devant cette caravelle mythique et âgée,

Qui souriait devant moi, envoûtant !

La route de la soie et des épices,

Me tendait les voiles, qui soufflaient ce chant,

De vers tissant les secrets et les délices,

Du vieux créateur de rêves, attirant !

Assise sur l'écume, à mon tour,

Pensant à la canopée où je suis née,

Je m'essoufflais à enlacer sans relâche,

L'énigmatique Moabi d'un panache...

...De Mots-bilisation du désir :

Ma bouche commença son voyage sensuel,

Prisonnière heureuse de la tienne.

Gourmande et prise d'un élan charnel,

Elle descendit le long de ton torse.

Jusqu'à ce bout de toi si doux,

Qu'elle ne put s'empêcher d’effleurer,

Sucer, mordiller, savourer, avaler.

Apeuré, le vieux géant, a repris,

Repris sa caravelle, sa route, sans regards ni regrets,

Laissant filer loin de lui,

La jeune liane enlacée jusqu'à lasser.

L'aliberté - Yves Durlin

L’aliberté

 

Ta main recueille les dernières paroles des condamnés

Comme une cuiller de bois teintée

De l’ombre des derniers soupirs.

 

Le crépuscule rouille

Et se couvre de la poussière

Des nuages ensanglantés.

 

Le fer s’effrite entre les doigts du temps.

 

Immortels nous sommes,

Rien ne prend fin

Mais tu as le cœur

Si maigre

Si encore vivant.

 

La peur du vent face à la rage de survivre,

Les nuages couronnes consacrent les barbelés.

 

N’est reine que l’attente.

 

La sève rouge des poteaux d’exécution

Appelle les bourgeons de la terreur.

 

Notre volonté au bord de l’horizon porte le monde.

 

Le crépuscule rouille

Et la solitude enfante des masques froids impassibles.

 

Leurs regards aux yeux vides se glissent

Dans les failles de l’âme.

 

Toute fissure laisse passer la lumière.

 

Ton visage traverse le mur noir de suie humaine,

Une trouée bleu pâle dans le marbre du ciel

Ravive ta mémoire devenue étrangère.

 

Les pieds nus

Dans la terre vêtue des dernières traces

Des derniers passages

Des derniers déchargés

Direction l’impasse aux portes hermétiques.

 

Le crépuscule rouille

 

Et le fleuve des corps inertes flotte

Dessus le spectacle emplumé des parenthèses noires qui croassent.

 

06/08/2020

 

Léo le chat - Yves Durlin

La moiteur de l'heure

La moiteur de l'heure

Brûle le front de la vie

Lointaine l'inflexible envie

Se couche près de toi sans heurt

Fantôme sans trêve

Ton passage comme grève

Où la vague ondulante

S'endort en rêverie envoûtante

 

20/10/2004

Ydile  -  Yves DURLIN

Chapitre : La pluie est la sueur du temps

Ce jour il pleut. Le temps gris enveloppe les nuages silencieux qui semblent comprimés dans l'espace. Le trike imperturbable surfe sur la route luisante. Les vitrines aguicheuses des magasins alignés se reflètent dans la maigreur des caniveaux muets. Les bordures hautaines des trottoirs butés défient ces étranges marées sombres et filiformes. Le rythme sonore du moteur me donne confiance dans le fourmillement de la circulation incessante. Les voitures aveugles jouent le rôle des chenilles processionnaires, les unes derrière les autres. Anonymat parfait nourrissant l'individualisme éphémère des automobilistes fantômes. Dans mon dos, la housse multicolore de la guitare classique caresse mon casque. Elle enveloppe, habille l'instrument qui fait office de passagère à la forme de mannequin. Sa présence silencieuse me fait du bien. Elle et moi, couple à vie. Au loin citadin se profile La Maison. C'est là que je me rends.

Ni lieu Ni mètre    -    Yves DURLIN

Âme, amour

 

La lampe sait que tu es là.

Même sans elle

Moi

Dans mon cœur

M'aimes sans elle

Je sais que tu es là.

 

Je te vois

 

Ce soir un enfant du crépuscule

Attend l'aube.

Plus un seul moment n'aura le temps

Dans mon appel

D'être sans sens.

 

Âme, amour.

Nuit bleue veine  -  Yves Durlin

Nuit bleue veine

Les gouttières, veines bleues métalliques,

Giclent sur le pavé hémorragique, repu,

La sueur des nuages incestueux hors temps.

 

Le crépuscule noie son déchirement céleste

Dans les lambeaux sombres d’une nuit accouchante.

 

Maltard arrivera l’œil blafard vidé de son humeur vitreuse

Par un nuage ciselant un futur horizon.

La rue, exsangue de toute présence humaine,

Guette immobile et froide l’ombre des âmes,

Fantômes de mémoires diurnes qui semblent se léviter

De quelques centimètres de hasard au-dessus

Du clavier granitique des trottoirs.

 

Un poteau, potence électrique,

Écartèle ses maigres hauts bras.

Là-haut les fils, au courant des rumeurs,

Coupent net le souffle du vent.

Fils hurlants dans la nuit muette.

La rue se casse le dos et plonge, courbée,

Vers un abysse encroûté d’asphalte.

...

Silex


Sois le silex qui taille le temps

Sois le temps de la création qui accouche de l’espace

Sois l’espace de tes actes-sculptures qui embrassent l’amour

Sois l’amour silex dans la main de la vie qui taille tes racines

Sois tes racines qui nourrissent l’inutile si utile

Sois l’histoire de la vie pour qu’elle continue d’exister.

 

17/11/2019

Tony BÉRAULT

Extrait du recueil " J'aimerais tout te dire "

Page tournée

Dans cette immense ville,

Je déambule, sereinement,

Sourire aux lèvres, paisible,

Page enfin tournée, maintenant.

 

Après tant d'innocence,

De malheurs et de souffrances,

Au milieu de cette foule,

Qui court après je ne sais quoi,

Métamorphosé, très cool,

Je n'suis plus dans le désarroi.

 

Dans cette immense ville,

Je déambule, sereinement,

Sourire aux lèvres, paisible,

Page enfin tournée, maintenant.

 

Autrefois ta présence,

Mon bonheur, mon espérance,

Ton regard qui me chamboule,

Tes yeux qui me laissent sans voix,

Si, encore, ton absence me trouble,

Là, je suis apaisé, je crois.

 

Dans cette immense ville,

Je déambule, sereinement,

Sourire aux lèvres, paisible,

Je vais avancer maintenant.

 

Le cœur a sa raison Premières lignes du roman de Tony BÉRAULT

Chapitre 1

Derniers rayons de soleil sur la capitale parisienne. La circulation est encore dense avenue des Champs-Élysées.

 À quelques kilomètres de là, rue Saint-Honoré, une jeune française, Émilie Brandon, dort d'un sommeil profond.

 " Mesdames, Messieurs.

Attention, le train à destination de Paris-Austerlitz va entrer en gare voie 4. Attention à l'ouverture des portes. La SNCF vous souhaite une agréable journée. "

 Hugo sort du compartiment où il est resté assis durant tout le trajet, Londres via Paris. 

Son pantalon de jean et sa chemise blanche s'accordent parfaitement avec son teint mat, ses cheveux sombres et ses yeux bleu clair.

Joli garçon, doté d'un charme dont il use à sa guise, son sac de voyage en bandoulière, il marche le long du quai, quitte la gare et se dirige vers une station de taxis... Il n'a qu'une idée en tête : appeler Émilie.

Hugo monte dans le taxi, le conducteur lui demande :

- Où voulez-vous aller ?

- Rue Saint-Honoré, répond Hugo, tout en composant sur son portable le numéro de téléphone d'Émilie.

 Rue Saint-Honoré, un immeuble construit au 18ème siècle, façade avec fresques sculptées par l'architecte Jean Tourville, une lourde porte cochère s'ouvre sur une petite cour intérieure, un ascenseur jouxte la rampe d'escalier en fer forgé, un tapis recouvre chaque marche marquée par une barre en laiton.

 L'appartement d'Émilie est spacieux pour une jeune femme seule. Un salon, une chambre avec dressing, une salle de bain et une cuisine avec coin repas.

C'est son père qui le lui a acheté. Il voulait qu'elle soit heureuse et indépendante lorsqu'elle a repris le cabinet familial d'avocat.

 Émilie se réveille brusquement lorsque son téléphone se met à sonner. Elle décide de ne pas répondre.

Et si c'était important ?

Elle prend sont portable, posé sur la table de nuit, lit le nom de son interlocuteur et d'une voix douce :

- Allô ! Hugo ?

- Désolé, je te réveille ?

- Oui, et si tu n'as pas une bonne raison pour l'avoir fait, tu vas te faire incendier.

- Je suis à Paris, j'arrive de Londres et je me demande si je peux venir te voir ?

 Il est quelle heure ?

 [...]

 Chapitre 2 - Hôpital Val de Grâce, Émilie et Hugo ont 15 ans.

 Au premier étage du bâtiment de l'hôpital de Paris, un jeune homme marche seul dans le couloir obscur, la trentaine. Les cheveux naturellement bruns et un regard songeur. De taille moyenne, son corps robuste, musclé, est caché par une blouse blanche.

Il allume la lumière et commence la visite du matin vers les chambres de ses patients.

 Mathias Druelle entre dans la chambre 105. Il avance vers le lit d'une jeune adolescente de quinze ans qui a été opérée de l'appendicite, deux jours plus tôt.

- Bonjour docteur Druelle.

- Bonjour Élodie, répond Mathias.

Il examine Élodie quelques minutes.

- Je vais bien docteur ?

- Oui, je pense que tu vas pouvoir rentrer chez toi dans peu de temps. Je vais en parler avec tes parents.

- Cool, ils viennent me rendre visite cet après-midi si vous voulez les voir.

- D'accord, je serai là, à tout à l'heure.

Mathias se dirige vers la porte, s'arrête net, fait demi-tour et demande à Élodie :

- On est le 4 Juin aujourd'hui ?

- Oui docteur.

- Alors bon anniversaire Élodie.

Il s'approche d'elle et lui pose un baiser sur le front.

Élodie, les pommettes rosies par la surprise et la joie le remercie en rigolant.

Mathias sort de la chambre d'Élodie et poursuit sa visite.

 Le docteur Druelle entre dans la chambre 110. Sur un des deux lits qui se font face, Hugo, un adolescent de 15 ans est assis, le dos appuyé contre deux oreillers, il fixe le mur de ses yeux bleu clair. Il pense à la tragédie qui s'est déroulée une semaine plus tôt.

Sa petite amie, Pauline, a été assassinée à la sortie d'une soirée chez des amis. Hugo devait la raccompagner chez elle, mais Pauline a préféré rentrer avec des amis et voisins de ses parents.

 Émilie, une autre adolescente de 15 ans, est présente. Suite à la rupture avec son petit ami, Nicolas, elle a fait une tentative de suicide et s'est retrouvée dans la chambre voisine de celle d'Hugo.

Chaque jour, elle vient voir Hugo. Chaque jour elle s'assied dans ce fauteuil de la chambre 110.

 

Ma vie marquée au fer forgé - Thierry Leroyer alias cœur de lion

Introduction

Le vaste sujet d'une vie

Naviguant entre le bonheur

Flirtant aussi avec le malheur

Unique par ce qu'elle apporte

À ouvrir tant et tant de portes

Le plaisir au travers des péripéties

15 mots trouvés dans mes nuits

4 heures pour exprimer mon ressenti

Tout cela écrit en intuitif

Pas de réflexion, pas de furtif

Des moments réels dans mes émotions

Des instants cruels au Coeur de Lion

Pafois vous aurez une larme

Souvent un sourire dans le charme

La vie est un vaste sujet

Le plaisir reste de l'accepter.

 

50 Nuances de Thierry

Jamais sans espoir

À force de croire à la mort, on oublie le temps, la vie, l'espoir

Faisant de ma vie, de mes envies, un monde plutôt noir

Oubliant l'essentiel de l'amour, des mots, des beaux discours

Regrettant à tout jamais de n'avoir su oser faire la cour

Comme si le passé remontait toujours vers mon visage

Emmêlant les bons moments et les mauvais passages

Demain, j'ouvre les portes vers un nouveau monde

Évitant le malheur et toutes ces horreurs immondes

Certes, je ne changerais pas le pouvoir de l'homme

Réussissant à détruire la vie, la nature c'est tout comme

Obligeant les états à réagir à coup de bombes

Immorale histoire de la vie qui en succombe

Respectant tous les secours pour sauver une simple vie

Enjambant toutes les personnes qui n'ont rien compris

Énervant la population qui elle n'avait qu'une envie

Nul n'est maître de son destin quand la mort survient

Le temps n'effacera jamais ce jour funeste d'assassins

Armés d'un pouvoir qu'ils croient en leurs mains

Monstres que certains utilisent, n'ayant pas d'autre choix

On hurle, on crie, on montre que le peuple a de la voix

Révolutionnaire de notre ère nouvelle pour la liberté

Terrifié peut-être, mais uni pour mieux la préserver

On ne laissera jamais les dictateurs nous détruire

Nos ESPOIRS restent de vous faire terriblement fuir

On a peur, on tremble face à votre lâcheté immorale

Unis comme jamais pour contrarier vos actions à deux balles

Bien que la solution serait plus simple dans l'espoir

Les peuples ont tous eu de belles ou mauvaises histoires

Intégrant dans nos cultures la vie, la joie, les coups de cafard

Élevant la richesse comme la seule preuve du pouvoir

La vie ne doit pas s'arrêter au détour d'une petite rue

Elle est un peu plus belle même avec un peu de déconvenue

Terroristes sans cœur contre nos enfants qui ne demandaient rien

Égoïstes par votre intolérance à la façon de vivre de certains

Mélangeant les récits coraniques aux récits bibliques

Pourquoi ne pas s'en tenir à des sentiments authentiques ?

Sûrement pas à coup de mitraillettes politiques

L'ESPOIR c'est de se lever avec le soleil d'un sourire

À construire pour notre chair de meilleurs souvenirs

Voulant tout, mais sûrement pas vos tristes horreurs

Il n'est rien de plus déplorable que des êtres qui pleurent

ESPOIR est le début pour unir tous les grands cœurs

ESPOIR de voir le monde s’illuminer de valeurs

Surmontant la tristesse sans armes, sans larmes,

Partons ensemble vers la liberté d'une sirène d'alarme

On ne nous changera jamais, la vie est notre fierté

Illuminons la terre à coup d'arc-en-ciel

Rassemblons l'ESPOIR et une vie hors du noir

Espoir de voir que les hommes sont intelligents

Espoir de croire à l'amour dans notre monde de vivant

Espoir de revoir le soleil se lever sans effusion de sang

Espoir qui réunit des milliards d'habitants

ESPOIR, LAISSE-NOUS LE TEMPS

 

La première fois

Cela commence toujours comme ça

Une première fois

Ne comprenant pas toujours

Les mots, les maux, l’amour

En prenant toute l’émotion

La vie en palpitation

On en rêve par bonheur

En attendant son heure

Simple et compliquée

La première fois, on se soumet

Tendre aux goûts acidulés

Passionnante à conserver

Écrasante de belles vérités

Il y a toujours cette première fois

Où l’homme est enfin roi

Thierry LEROYER alias Coeur de Lion

Extrait du Recueil  " L'Am... des mots "

L'Am...

Il s'est posé près de toi

Il s'est frotté contre toi

L'Am... n'a pas de peine

L'Am... soutient tes peines

Il n'est jamais triste avec toi

Il n'est pas radin avec toi

L'Am... c'est ce qu'il peut donner

L'Am... c'est ce qu'il ne doit donner

Il te manque comme à moi

Il te fait rire comme moi

L'Am... n'a pas de prix

L'Am... ne fait pas de parti pris

Il te fait rêver à chaque fois

Il te libère à chaque fois

L'Am... reste magique

C'est pour cela qu'il est unique

 

La sirène de l'impatience

Tous les matins, depuis dix ans, elle y vient d'un pas nonchalant

Près de la tombe de son mari défunt, s'asseoir sur le marbre blanc

Un livre à la main, le cœur étreint, de son amour de toujours

Elle lui lit leur histoire d'amour, qu'elle écrit tous les jours

Le soleil éblouit parfois ses yeux, les larmes montent peu à peu

De la tristesse aux fous rires qu'ils ont eu tous les deux

Comme si de rien n'était, discrète, elle repartait le cœur léger

Comme si de rien n'était, la vie reprenait ses larmes séchées

 

Extrait du recueil " L'am' des mots 2 "

Divers

Il a pris ses mains pour lui faire oublier

Que le passé n'est rien

Il a posé ses mains sur ses joues glacées

Il en est certain, il se sent bien

Il n'a pas besoin de parler de dire

Dans son regard tout est fait, sans contredire

Ses mains montrent sa sensibilité

Ses mains restent à l'adorer,

Elles n'ont jamais été aussi proches

Même la nuit, le besoin de la frôler

Pas besoin de lampe de poche

Ses mains sont les yeux de sa nuit étoilée

Si un jour elle oublie d'y penser

C'est que ses mains ont oublié

De la caresser et de l'enflammer

Stéphane HUBERT    -    ROMAN

La dimension omega

NEW-YORK, 1972, 15  heures

Markus avait remarqué cet attroupement insolite devant la Chase Manhattan Bank sur la deuxième avenue. Un sentiment diffus lui intimait de ne pas se joindre aux badauds.

Pourtant, rien autour de lui ne justifiait cette hésitation. La journée était claire et ensoleillée, une fin de printemps doux, loin encore des chaleurs étouffantes des étés new-yorkais. Tout allait de soi dans l'avenue bourdonnante. Les gens vaquaient à leurs occupations sans se soucier du regard des autres comme dans ces ruches bien ordonnées où chacun paraissait savoir quelle était sa place. Et ce qu'il devait faire... La circulation s'écoulait lentement, fluide comme un ralenti cotonneux. Aucune menace nulle part. Des échos de la guerre en Asie parvenaient bien de temps à autre à ses oreilles, mais sans troubler son esprit plus que ça. Cela se passait tellement loin...

Cependant, cette impression en face de la banque le troubla. Le temps lui sembla suspendu et une crainte le submergea : cela voulait-il dire que le danger était partout ? Foutaises ! Mise à part une guerre de plus en plus contestée au Vietnam, la majorité vivait confortablement dans une Amérique où le chômage était à la marge. Néanmoins comme ailleurs, le quotidien peut réserver des surprises : on risque de se faire écraser en traversant une rue. Ou de mourir subitement d'un arrêt cardiaque au cours d'un jogging. En regardant Jerry Lewis le soir à la télé... Se faire assassiner pour quelques dollars en traversant Central Park ? Il y avait déjà songé... C'est le jeu et tout le monde connaît les règles. Si on devait penser à ça tout le temps, autant rester calfeutré chez soi. Avec, si possible, une infirmière à proximité...

Une vibration inhabituelle l'avait averti d'un danger. Markus eut un discret haussement d'épaules et cette mauvaise impression disparut tout aussi rapidement qu'elle était apparue. Mais la curiosité est un moteur puissant, parfois irrépressible.

Il traversa  la rue, louvoyant prudemment entre les voitures, avançant mollement. À présent, les badauds lui semblaient plus nombreux. Il se rehaussa sur la pointe des pieds et risqua un œil par-dessus le feutre mou d'un quidam en imperméable. Des photographes braquaient leurs viseurs vers l'entrée de la banque, le flash au magnésium, prêt à se déclencher. De part et d'autre de la porte, des policiers hargneux ou nerveux, l'arme à la main et canon pointant vers le ciel. De gros flingues, des 38 spécial police. Quelques inspecteurs serrant de puissants Colts, des Magnums 350 sans doute. Le grabuge, sourd, était tendu.

Markus tapota sur l'épaule devant lui et demanda ce qui se passait. Sans se retourner, mais à haute et intelligible voix, il entendit : " Un meurtre va être commis. " Une joggeuse passa rapidement à proximité sans s'arrêter ; il eut le temps de remarquer l'étrange emblème en pendentif. Une lettre grecque ? Il avança de quelques pas, à hauteur des photographes : l'un d'eux lui fit signe de monter quelques marches. Son geste aimable, n'avait rien d'autoritaire : poliment, il le conviait à poser devant les objectifs. Soudain un brouhaha à l'intérieur de la banque. Deux individus masqués, armes au poing, s'extirpèrent de l'édifice en tirant en l'air.

Une pensée s'imposa à lui comme une évidence : Markus avait déjà eu par le passé des intuitions. Des sortes de prémonitions qui se présentent à vous comme des éclairs... Il croyait à une forme particulière de fusion entre le monde et ses habitants, laquelle fait anticiper des choses à priori singulières et même impossibles, comme des événements dont personne ne prévoirait l'existence une minute avant. Ces flashs surviennent d'une façon imprévisible. Nous ne les voyons pas venir et pourtant ils se produisent !

Le meurtre qui devait avoir lieu était le sien.

Tout cela était une mise en scène de sa propre mort et de son assassinat. Impossible de dire pourquoi, mais c'était ainsi ! Lorsqu'il sentit l'éclair de feu lui traverser la poitrine, il eut le temps de se demander qui pouvait bien lui en vouloir au point d'organiser une telle mise en scène de sa mort, parfaitement stupide et inutile. Dans un brouillard, Markus se vit allongé sur le sol, et eut le temps d'apercevoir la grimace du policier qui, écartant le revers de sa veste, regardait la plaie au niveau de sa poitrine. Avant de sombrer...

Sarah KIRSCHNER

Le piano carré    -   Nouvelle

C'était un piano carré surgi de temps oubliés, aussi rectangulaire que pouvaient l'être les pianos carrés produits sous le règne de Bonaparte. Une pièce de musée rarissime que certains connaisseurs auraient acheté à prix d'or, s'il n'avait été depuis des décennies, la propriété exclusive de l'une des plus célèbres pianistes du siècle dernier : Iseut aux blanches mains, ainsi baptisée pour l'extraordinaire pureté de son jeu. Cependant, l'artiste virtuose avait tourné la page de la musique, le piano s'était tu ; et à présent, Aénor contemplait, ahurie, le paquet volumineux qui trônait au beau milieu de son allée. Elle relut le billet qui accompagnait l'étrange livraison : Ma chérie, puisses-tu faire que ce noble présent retrouve avec toi sa gloire d'antan. Sois heureuse pour toujours, je t’embrasse et place en toi tous mes espoirs. Tatite Iseut. Drôle de cadeau pour mon mariage, songea la jeune fiancée, plus embarrassée que touchée par pareil legs. En effet, la vieille tante avait toujours vécu drapée dans sa gloire et sa solitude, en marginale adulée de tous, et Aénor, qui l'avait longtemps admirée durant l'enfance, avait fini par considérer en grandissant que son don vertigineux avait coûté à la célèbre Iseut sa vie de femme. Qu'espérait-elle donc, cette dame haute et fine, fière et glaciale depuis toujours, aux portes de la mort ?

Mémoires virtuelles   -   Nouvelle

La vallée Mordorée s'illumina tout à coup par la fenêtre du palais, éclairée des toutes premières lueurs de l'aurore. Telle fut la première image qui frappa mon esprit embrumé, ce-matin là, tandis que je me préparais à entrer dans la salle du trône. J'avais eu toutes les peines du monde à quitter mon lit de plumes, convoqué en cette heure terriblement matinale par mon oncle Jarred, vénérable roi de la vallée Mordorée. Lorsque je fus planté devant lui, il m'annonça d'une voix grave que l'heure était venue pour moi d'accomplir ma destinée :

" Gédéon, l'heure est venue pour toi d'accomplir ta destinée... Saroumane, mon ennemi juré, a enlevé ma fille adorée. Toi que j'ai recueilli, toi dont j'ai donné ma parole à ton défunt père que tu épouserais la princesse et engendrerais ainsi ma noble descendance, sache que, de tous les prétendants à l'aventure, c'est en toi que j'ai placé ma foi. Cette aventure démontrera ta bravoure et tu épouseras ainsi légitimement celle qui t'est promise depuis ta naissance. Voilà pour quoi je te le demande sollennellement : acceptes-tu d'affronter Saroumane le fourbe pour sauver la princesse Griselda ? "

Les yeux encore bouffis de sommeil, j'acceptai machinalement. Si je ne l'avais pas fait, mon protecteur m'aurais posé la question sans relâche, jusqu'à ce que, de guerre lasse, je finisse par capituler. Toute résistance était inutile.

Ino Veritas au pays des Hiatus Nouvelle

Figurez-vous une terre fertile et vallonnée, préservée de tout sentier, entretenue par des saisons parfaitement réglées, dont le ciel bleu sait quand il le faut se fondre en pluie. Ajoutez à cette nature tendre et verdoyante des nuances de jaune, de cyan, de magenta, s’étirant à l’infini à travers des milliers de fleurs au parfum suave ; percevez les hautes herbes qui bruissent sous la brise, le murmure des rivières dont les eaux transparentes reflètent la lumière du soleil, le mugissement continu des cascades aux mille et un arcs-en-ciel. Vous aurez alors une petite idée de ce qu’était le pays des Hiatus.

Je parcourais le vaste monde, consignant mes aventures d’une écriture souvent troublée par le cahot des chevaux de poste et le soubresaut des locomotives, lorsque je parvins dans cet humble royaume situé au creux des montagnes, quelque part aux portes de l’Asie. La contrée, bien que civilisée, était si repliée sur elle-même que nul n’en avait jamais entendu parler ; j’eus moi-même bien des peines à la pénétrer. Mon voyage ayant particulièrement mal tourné, je me retrouvai seul et épuisé dans ces terres presque vierges. On me découvrit inconscient au bord d’une rivière. Je fus emmené plus mort que vif jusqu’à la capitale, où l’on me remit sur pieds, moyennant quelques pièces d’or que je tendis en silence aux bonnes âmes qui m’avaient soigné.

Le peuple qui m’avait recueilli m’avait pris pour un Hiatus en voyage. Soucieux de ne pas dévoiler l’imposture, je dissimulai mon statut d’étranger en restant muet, guettant les gestes et les expressions faciales de quiconque s’exprimait autour de moi, écoutant attentivement le dialecte local afin de pouvoir l’assimiler. Partout j’étais courtisé, car mon seul langage était celui de l’or ; aussi mes économies s’épuisaient-elles dangereusement. Par chance, je découvris que la grande récréation du pays était les dames chinoises, seul plaisir oisif autorisé à la population locale. Or mon précepteur, un passionné de stratégie, m’avait initié dès l’enfance à ce jeu trop peu connu des Occidentaux ; manier les pions avec subtilité, damer avec élégance, guetter la faiblesse adverse pour atteindre l’autre rive du plateau en forme d’étoile n’était pour moi qu’un jeu d’enfant.

J’eus tôt fait de me mesurer avec succès aux joueurs les plus respectés. Mon adresse était telle qu’elle me valut bientôt d’être introduit auprès du grand Kahn Rodiam. Aimé et respecté par ses sujets, soit environ un millier d’âmes, ce vieillard sage et éclairé régnait par héritage ancestral sur les quelques villages discrets, disséminés dans la nature sauvage et luxuriante, tantôt protégés par le rempart d’une forêt, dissimulés à l’ombre d’une montagne abrupte ou lovés au creux d’un lac. À régner sur un royaume aussi paisible, on sentait le souverain envahi d’un ennui profond et désabusé. C’est qu’au pays des Hiatus, il n’y avait quasiment rien d’autre à faire pour un grand Kahn que de jouer aux dames.

Une confiance réciproque se développa peu à peu entre lui et moi. Tout en enseignant à ce roi méditatif l’art de construire son jeu, je finis par lui dévoiler mes études d’anthropologue et mes voyages aux quatre coins du globe. Mes récits sur le vaste monde passionnèrent mon hôte bienveillant, issu d’un monde où jamais rien ne bouge, où jamais rien ne doit ni ne peut changer. Il m’apprit quant à lui à parler le Hiatus sans le moindre accent, et me narra les légendes de son peuple. Je découvris les origines de la langue hiatine à travers ses paroles, mais également quelques sombres secrets du système politique qui régissait le pays. Ainsi fus-je initié aux lois de l’Arbre sacré, ensemble de principes dont le premier des commandements consistait à chanter aux dieux l’harmonie de la création.

D’échange en échange, je finis par être traité comme un fils par cet homme solitaire, que j’avais appris à respecter comme un père. C’est ainsi qu’un jour, Rodiam m’offrit tout naturellement la charge officielle de conseiller, distinction suprême dans la hiérarchie des Hiatus ; cependant, l’entourage du grand Kahn me percevait à présent comme un étranger importun, ce qui nuisait à mes travaux. Je déclinai donc l’offre de mon bienfaiteur, qui m’envoya auprès de la vénérée Järl Méel, sœur de mon bienfaiteur et régente d'un hameau situé à plusieurs heures de marche. J’y fus présenté à la communauté comme un membre de la plus haute caste du pays.J’étais certes fasciné par l’étonnante civilisation hiatine, dont j’ai déjà décrit les mœurs dans un précédent ouvrage. Pourtant, de tout ce que j’ai vu, de toutes les mœurs dont les signes recouvrent mes carnets d’anthropologue et de toutes les impressions gravées à jamais dans mon cœur, ce n’est pas le mode de vie des Hiatus qui a en définitive retenu mon attention, mais l’histoire de l’insensé qui en fut victime. Car l’idéal incongru qui définissait ce pays, tout comme l’immuable bizarrerie des mœurs locales, vaut surtout par le contraste qu’il formait avec l’étranger qui vint tout à coup perturber un équilibre issu de temps immémoriaux.

 

Par-DeLà Ce QuI Ne BoUGe

Il était une fois, dans un lointain avenir, une valise qui devisait avec son voisin, un petit briquet bleu tout juste tombé d’une poche anonyme. Les deux objets discutaient dans leur langue du temps et du paysage, échange cordial entre voyageurs pris dans un long trajet ; mais comme les landes n’en finissaient plus de s’étendre sous les vitres du train aérien, la conversation se fit un peu plus intime. La valise se rendait à la ville, où elle avait ouï-dire qu’il y aurait du travail pour celui qu’elle accompagnait. Le briquet s’en venait quant à lui du pays de Freedom, et s’apprêtait à conter son voyage, quand sa compagne l’interrompit :

« Est-elle donc vraie, dites-moi, cette histoire que me rapportait le journal, et qui s’est justement déroulée sur les terres de Freedom ?… Celle du chien en peluche, agressé d’accusation sexuelle ? »

Le briquet répondit, l’air grave,  qu’il connaissait parfaitement l’affaire, puisqu’il en avait même côtoyé personnellement le héros. 

Robbie SCHWELLE  Romans

Une vie après

BEATRICE

La maison faisait un peu peur, ou plutôt, elle laissait une sensation bizarre.

Béatrice avait trouvé cette annonce de location sur internet deux semaines plus tôt, il ne fallait pas demander l'impossible. Probablement une construction des années soixante, sur un sous-sol, immense et vide qui ne servait pas à grand-chose hormis la partie garage.

Elle avait rendez-vous ce samedi à 14 heures avec la personne de l'agence. Ponctuelle, elle arriva au volant de son Audi TT. Elle lui fit visiter les lieux. Une espèce de chemin en pente douce contournait toute la maison pour arriver jusqu'à une terrasse sur laquelle s'ouvrait la porte-fenêtre du séjour. Curieux.

- Le propriétaire est handicapé, ça explique cet aménagement, lui indiqua-t-elle.

Compliqué ! Il ne pouvait en aucun cas accéder directement du sous-sol au rez-de-chaussée, l'ascension de l'escalier lui étant impossible.

- Il vient juste de quitter les lieux, vous êtes la première à louer la maison. Il a d'ailleurs laissé quelques affaires personnelles ainsi que des bricoles dans le frigo. Vous pourrez les consommer si cela vous dit.

Elle l'avait appelé pour réserver. Il lui avait précisé être à l'étranger. À l'étranger. C'était vaste. Depuis, elle l'imaginait partout. En Chine, probablement, c'est là que partent travailler tous les français qui s'exilent, il y a du boulot là-bas. Ou bien était-il tous simplement en Belgique, ou en Allemagne ? Elle regrettait de ne pas lui avoir posé la question, mais il est vrai qu'il n'aurait probablement pas compris les raisons de sa curiosité.

Elle allait maintenant occuper sa maison et avait le sentiment de violer son intimité. En même temps, ça la démangeait d'en savoir plus sur lui.

Béatrice avait loué cette maison sur un coup de tête, une envie subite de se rapprocher de l'océan qu'elle avait toujours adoré.

Elle vivait seule depuis peu. Il fallait qu'elle s'y habitue. Elle aimait tant la mer qu'elle avait pensé que ce serait plus facile. Regarder l'océan et marcher sur les rochers l'aiderait sûrement à entrer dans sa nouvelle vie de vieille femme solitaire. Elle avait été mariée vingt-cinq ans. Son physique s'était transformé d'année en année. Elle allait avoir soixante ans et ses traits étaient devenus presque masculins et son corps déformé, transformé.

Lui, à cinquante-cinq ans, était dans la force de l'âge.

Une fille comme ça

Chapitre 1

Je les ai rencontrés la première fois à ce fameux mariage où personne ne connaissait personne. Je les avais remarqués tout de suite, dès la cérémonie de l’après-midi. Lui, la cinquantaine, les cheveux peut-être trop brunis par la coloration et trop longs sur la nuque. Légèrement enrobé, il paraissait malgré tout assez alerte. Elle, un peu plus jeune, les cheveux également teints, mais en blond-gris, un peu trop maquillée, plutôt petite et mince. Ils portaient tous deux des vêtements corrects pour une cérémonie, mais démodés, du style de ceux que l’on portait il y a dix ou quinze ans. Lui, un costume marron, plutôt étriqué et dans lequel il ne semblait pas très à l'aise. Elle, une robe à fleurs « liberty » et col « Claudine » comme on en portait dans les années soixante-dix. On ne pouvait que les remarquer et une espèce de force attirait constamment mes yeux sur eux. Je pense que l’homme s’en aperçut rapidement puisque nos regards se croisèrent à deux reprises. Je me dis qu'il jetait sur moi un regard bienveillant, semblant vouloir dire que l'on était dans la même galère et qu'il fallait que l'on se serre les coudes. Peut-être que j'extrapolais un peu, mais j'avais plaisir à évoquer cette pensée et me sentais ainsi moins seule. Comme moi, ils semblaient être là plus par obligation que par affinité avec la famille.

Ce mariage n’avait pour moi aucun intérêt. J’étais venue par politesse et par respect pour mon ami, le marié. Je me préparais à passer une soirée comblée d’ennui et d’alcool, l’un aidant peut-être à faire passer l’autre.

Je ne les ai pas abordés immédiatement. J’attendais le moment propice pour les approcher. Leur table se trouvait très loin de la mienne pendant le repas.

J’échangeai quelques politesses avec mes voisins de droite et de gauche, les banalités habituelles sur la météo, la conjoncture actuelle, l’inflation grimpante, le prix du litre à la pompe, de quoi bien « léviter », qui vous laisse le temps de penser à autre chose.

Mon père occupait actuellement le plus souvent mes pensées. Il s’était dernièrement entiché d’une nouvelle compagne dont le caractère fougueux et l’humeur en permanence survoltée me laissaient perplexe. Cela m’inquiétait car je trouvais qu’il se laissait envahir de toute part par cette Belinda, dans sa vie, dans sa maison, jusque dans son bureau, qu’il ne fréquentait plus guère depuis qu’il vivait presque au quotidien avec elle. Il n’avait plus rien publié depuis plus de trois ans, et ce n’était pas maintenant que ça allait s’arranger.

Voyant le couple de jeunes mariés se lever de concert la coupe à la main, je revins à la réalité dans laquelle je me trouvais. Les remerciements classiques se firent entendre de la part de nos tourtereaux. J’éprouvais une sorte d’indifférence par rapport à ce qui se passait autour de moi et me sentais étrangère à tout cela. Je n’avais qu’une hâte, que cela se termine et que je puisse rejoindre mon chez moi, ma télé, devant laquelle je m’abrutirai d’émissions avec des personnages de la « vraie vie ». C’est mon péché mignon. J’aime les voir se répandre et s’abaisser à raconter leurs défauts les plus vils à la terre entière : « c’est à cette époque que j’ai commencé à devenir la maîtresse de mon gendre » déclare la protagoniste à un journaliste au regard plein de compassion. Aie ! Quelle à été la réaction de la fille de cette dame ? Ou une autre : « Je me suis aperçue que mon mari vivait une idylle avec le fils de ma concierge ». Cool non ? Rien à ajouter. Quand je pense que des spécialistes de la télé ne prennent la peine de faire ces émissions rien que pour des gens comme moi qui s’en délectent, je suis aux anges ! Au moins des gens qui pensent à moi sur cette terre, ça fait plaisir !

La téléréalité est bien sûr un sujet tabou entre mon père et moi, lui qui est écrivain, plutôt intello, de notoriété moyenne, surtout ces derniers temps, mais qui ne tolère pas que sa fille puisse prendre plaisir à ingérer ce genre d’exploits télévisuels.

Il faut dire que ma vie ressemble à un vide intersidéral ! À part ce petit écran qui occupe presque tout mon temps libre... Je suis ce que mes collègues appellent « une vieille fille ». Approchant la quarantaine, célibataire sans enfant au physique plus que quelconque qui se cache derrière un air bougon permanent, préférant ne pas parler aux autres plutôt que de dévoiler sa solitude.

Petite, brune, quelques kilos en trop, dénuée de charme à mes yeux. Ma première angoisse chaque matin est d’affronter mon reflet dans la glace. Me retrouver face à mon regard terne, d'un vague marron-gris, des valises naissantes sous les yeux, des cheveux filasse, une peau qui devient écarlate à la moindre exposition solaire... D’ailleurs, j’écourte ce moment au maximum afin de ne pas avoir un moral au plus bas pour le reste de la journée. Ce que je déteste le plus au monde, c’est essayer des vêtements dans les magasins. Surtout quand il n’y a pas de glace dans la cabine et que l’on est obligé de sortir et s’exposer au milieu des vendeuses et des autres clients. Quel calvaire ! Je me retrouve alors face à mes bourrelets, débordant du vêtement que je suis entrain d'essayer, fatalement une taille en dessous de ma réalité. « Ça vous va très bien madame » (en plus je déteste qu’on m’appelle madame) « mais pourquoi vous n’essayez pas plutôt celui-là, on le vend très bien vous savez ». Argument qui me fait fuir. Qu’est-ce que vous voulez que ça me fasse qu’ils le vendent très bien ? Moi, j’ai toujours un énorme temps de décalage avec la mode. Quand tout le monde remet des « pattes d’eph’ », je porte des jeans serrés, quand les jeans serrés reviennent à la mode, je mets des pantacourts. Pas par esprit de contradiction, involontairement, mes envies sont décalées.

Les mélodies de la chasse d'eau    Philippe AZAR

 Extrait

Les gens ont toujours eu une vision trop romantique de l'artiste. La faute à RIMBAUD et à sa foutue légende. L'artiste a toujours été le plus grand égoïste que je connaisse. Le monde peut s'écrouler devant lui, tout ce qui l’intéresse, c'est de préserver sa petite œuvre prétentieuse et merdique pleine de suffisance et de complaisance, et cela aux dépens du monde entier. Il est loin d'être le meilleur des hommes. Il ne vit que pour parfaire son art, ce qui l'obsède à chaque seconde et le rend invivable, insupportable, cruel, irresponsable et les excès dont il fait preuve sont autant de bulles d'air pour le sortir d'une malédiction créatrice dans laquelle il se noie. Mais c'est par essence un aventurier, celui qui rêve de rentrer dans ce trou plein d'araignées qui fait peur à tout le monde, d'atteindre cette lueur qui scintille au loin. Ça l'attire, devient un besoin qui ne se contrôle pas et n'est rien d'autre que la fascination pour l'inconnu. Il a constamment besoin de tout essayer, de se mettre en danger pour éliminer ses doutes, faire taire toutes ces questions qui se bousculent quelque part entre sa conscience et sa raison. Sa vie n'est qu'un combat pour atteindre la perfection de la nature, une bagarre sans fin vers le geste pur, l'émotion universelle, la ligne parfaite. Sa lutte contre la mort, la grande prêtresse du temps, gagne du terrain dans tous ses actes ; et c'est le seul averti, l'érudit au centre de ce monde qui le juge comme un fou parce que ses yeux voient des choses que vous ne verrez peut-être jamais. Il utilise ses jours et ses nuits à donner, découvrir, chercher, vérifier, s'interroger, se tromper et remettre en cause tout ce qu'il a créé pour retranscrire sa vérité aux couleurs de ses tripes, avec des mots, des traits, des sons pleins de bile fielleuse, des paroles pleines de salive, douces et tendres, qui finiront parfois comme des caresses râpeuses pour vous faire rire ou pleurer et tout ça, cet ensemble qui vient avant tout de son cœur, qu'il soit adulé ou détestable, est sa véritable essence.

Markus RICHARDSON

Dieu n'existe pas, je l'ai rencontré

" Tu es un looser et tu ne crois en rien ! "

C'est sur cette phrase définitive qu'elle boucla ses valises et partit voir ailleurs. On ne pouvait pas, à proprement parler de looser, j'avais une situation, précaire, certes, mais je travaillais dans le domaine de mes rêves : le journalisme. Je courais la pige pour plusieurs quotidiens et hebdomadaires, rien de transcendant mais cela finirait par se dégager, je réussirais sans doute. Niveau croyance, ma toute nouvelle " ex " n'avait pas tort : de mon enfance en école privée, patronages et autres services de messe, je n'avais gardé que le côté superstition de la religion. Ne pas poser le pain du mauvais côté, ne pas (trop) jurer, ne pas souhaiter aux autres ce qu'on ne voudrait pas qu'il nous arrivât. Des tas d'autres choses de cet acabit. De croyance et de foi, pas le moindre signe. J'étais donc seul ce mois de janvier-là ; pas d'animaux, pas de spiritualité pas de compagne, guère d'avenir à y regarder mieux.

Le samedi 26, je quittai mon appartement en fin de matinée, j'avais deux événements à couvrir et je souhaitais me balader, à la recherche du scoop qui pourrait me sortir du ventre mou dans lequel je végétais.

 

Les nécessités du marché

Je le sais réceptif au langage corporel, je me tiens donc bien droit, les jambes légèrement écartées, ancrées au sol : de la moquette rase, de qualité, couleur gris taupe. J'avais œuvré pour que la vue dont il est si fier, les toits de la grande ville et un méandre du fleuve finissant tranquillement son périple en contrebas, se trouvent dans son dos. Comme panorama, il ne lui reste que sa porte chichement capitonnée et ma résolution transmise par le regard noir de mes yeux gris. S'il cherche le réconfort de sa fort jolie copie chinoise de Manet, il doit détourner son attention de ma personne et il a du mal à s'y résoudre. Je cherche, dans mon attirail d'ancien comédien amateur, le ton qui convient : pas trop hargneux mais résolu tout de même.

- Alors c'est non ?

Il baisse une fraction de seconde son regard puis le rive de nouveau au mien.

- Je ne peux pas sortir ton recueil en édition normale, il faut se plier aux nécessités du marché.

 

Mélisse, délices

On nous avait prévenus. " Ce sont des sauvages " ; " ils ont le sang chaud et la violence dans le sang ". D'autres facteurs nous avaient poussés à prendre nos vacances en cet endroit. D'abord, les promotions de fin de saison, vraiment intéressantes sur le transport comme sur l'hébergement ; la beauté des sites, entre mer et montagnes, ainsi que la promesse d'une météo clémente alors qu'il était presque temps d'allumer le chauffage un peu partout ailleurs, nous décidèrent. Nous souhaitions fonder une familles rapidement, nous vivions donc peut-être nos dernières vacances en amoureux, tranquilles. C'est pour cela que Viviane prépara avec beaucoup de soins notre voyage, à la manière d'une expédition à la recherche d'une cité perdue au fin fond de l'Amazonie.

Markus RICHARDSON       NOUVELLES

Glissements médicos-spacios-temporels

Lundi 4h30 : Dans mon lit à écrire dans ce journal intime. Comme toujours, dès que j'ai le stylo à la main, rien ne sort. J'insiste et...

Lundi 5h12 : Je me suis endormi. Le jour pointe. Je m'ennuie, je pense à hier. Entre autre. +

Dimanche 8h15 : Je me lève plutôt fringant, malgré les diverses absorptions de la veille. Il doit me rester un peu de café.

Dimanche 8h30 : Il en reste, je déjeune.

Dimanche 8h55 : Je me douche en chantant : " I'm a passenger... ". J'adore cette chanson.

Dimanche 9h15 : Je retourne dans ma chambre pour écrire dans mon journal. Je pense à hier ; à hier soir.

Samedi 21h00 : Luc et Béa, Caroline aussi, se pointent à la maison et me promettent une soirée inoubliable.

Samedi 21h20 : J'ai fait du café, beaucoup, j'aimerais qu'il en reste pour demain. On en boit. Luc n'arrête pas de rire, bêtement.

Samedi 21h40 : Luc me dit qu'il est blindé, mais que ce n'est pas fini. Il a piqué, je ne sais où, des pilules expérimentales. Il part dans un grand et long fou rire, suivi par Caroline et Béa.

 

Sébastien est un con

Sébastien est un garçon ordinaire. Tellement ordinaire que sa banalité en devient extraordinaire : personne ne lèverait jamais les yeux sur lui volontairement s'il n'avait d'autres qualités dont je cause plus loin. Pas moyen d'emballer la belle blonde poitrinaire et incendiaire qui se déhanche comme un ver de terre dans un plat de spaghettis sur la piste de danse. Pas moyen d'être pris au sérieux en évoquant une carrière prestigieuse (à des yeux ordinaires bien sûr) comme avocat ou chirurgien. Donc l'extraordinaire végète. Il a vingt ans et ne fiche rien de ses longues journées. Il écoute la musique à la mode à l'instant " T ", regarde les séries télé que lui conseillent Téléstar ou Téléloisirs (il a peur de perdre Télépoche) et sa mère lui condescend quelques euros pour aller visionner les films les plus regardés. Sébastien cultive son conformisme. Il a quelques amis et on l'a vu au bras de jeunes filles tout aussi peu remarquables que lui, mais rien ne dure, probablement à cause de sa seconde spécificité : Sébastien est un con.

Lune Fourbe

La lune rousse ensanglantait les arêtes du viaduc antique et découpait des myriades de gouttelettes de sang sombre sur les grands chênes des berges du torrent. Aucun éclairage ne sublimait la beauté des gorges qu'enjambait la construction romaine : la municipalité qui gérait le site économisait l'électricité l'hiver. Il ne faisait pourtant pas froid, ou seulement quand la tramontane arrivait enfin à trouver l'entrée de l'étroit défilé et que, furieuse, elle mordait tout ce qu'elle pouvait mordre d'un froid mortel.

Zodiaque

Claudine est une gourde. Ses parents n'ont eu de cesse de lui dire pendant son adolescence tourmentée. Ses amies aussi. Ses petits amis, non : elle n'en a eu qu'un pendant cette période de fragilité intense et s'il ne lui a pas dit qu'elle était bête comme ses pieds, il lui a bien fait ressentir. Jusqu'à se marier quelques années plus tard avec la meilleure amie - la seule - de Claudine.

 

Marcel Lourel – Mademoiselle Sey

Roman

Chant 1

Sans que j'y prenne garde, ma vie s'est arrêtée brutalement. Comme un canasson que l'on mène à l'abattoir, je n'ai plus envie d'avancer, je n'ai plus le souhait de prendre un énième coup de trique, alors je me suis arrêté.

Un 1er Mai, dans un accès de rage, d'autres diront de désespoir amoureux, je me suis suicidé. Je m'appelle (je m'appelais) Daniel de Narval, je suis né à l'automne 1971 et suis mort au printemps 2014. Il y a des jours fériés plus moroses que d'autres. Un jour, j'ai fait l'inventaire de ma vie, de ses joies, de ses réussites et de ses amertumes. La quarantaine bien tassée, j'ai fait aussi l'inventaire de ma psyché. Ce n'est pas glorieux.

Il faut s'y résoudre : je suis borderline. C'est bête, mais c'est comme ça. Je n'ai pas choisi.

Je ne suis pas psychologue, encore moins psychiatre et même pas thérapeute à la petite semaine. Alors, comme tous les abrutis moyens en quête d'une pseudoscience facilement ingérable, j'ai jeté un coup d’œil sur Wikipédia.

Le verdict tombe. À la section " troubles de la personnalité borderline ", on peut lire : " Le trouble de la personnalité borderline est décrit comme un schéma envahissant d'instabilité dans les relations interpersonnelles, de l'image de soi et des affects, également marqué par l'impulsivité commençant chez le jeune adulte et présent dans un grand nombre de contextes [...] Il faut au moins cinq des neuf critères présents pendant un laps de temps significatif :

- efforts effrénés pour éviter un abandon réel ou imaginé ;

- mode de relations interpersonnelles instables et intenses caractérisées par l'alternance entre les positions extrêmes d'idéalisation excessive et de dévalorisation ;

- perturbation de l'identité : instabilité marquée et persistante de l'image ou de la notion de soi ;

- impulsivité dans au moins deux domaines potentiellement dommageables pour le sujet (par exemple : dépenses excessives, sexualité, toxicomanie, alcoolisme, jeu pathologique, conduite automobile dangereuse, crise de boulimie ou d'anorexie) ;

- répétition de comportements, de gestes ou de menaces suicidaires, ou d'automutilations ;

- instabilité affective due à une réactivité marquée de l'humeur (par exemple : dysphorie épisodique intense, irritabilité ou anxiété durant habituellement quelques heures et rarement plus de quelques jours) ;

- sentiments chroniques de vie ;

- colères intenses (rage) et inappropriées ou difficulté à contrôler sa colère (par exemple : fréquentes manifestations de mauvaise humeur, colère constante ou bagarre répétées, colère subite et exagérée) ;

- survenue transitoire dans des situations de stress d'une idéation persécutoire ou de symptômes dissociatifs sévères.

En somme, le trouble de la personnalité limite est principalement caractérisé par :

- la peur du rejet et de l'abandon ;

- l'instabilité de l'humeur ;

- la difficulté à contrôler les pulsions, les actions, les réactions, les actes impulsifs souvent néfastes ;

- les relations interpersonnelles instables ;

- une difficulté avec l'intimité ;

- une dissociation et une méfiance importante en présence de stress. "

Putain de merde ! Tel est pris qui croyait prendre puisque c'est mon portrait craché ! Exception faite des crises de boulimie ou d'anorexie, j'aurais pu cocher toutes les cases sans difficulté.

Alors, je me suis foutu en l'air, au propre comme au figuré. La signature de toute une vie. Comme un regain, un ultime sursaut, j'avais expédié un SMS la nuit précédant l'acte, puis plus rien. Trois étages plus bas, après un vol plané sans parachute, je me retrouve affalé contre le bitume. Défenestré, incapable de bouger ou d’émettre le moindre son. Une atroce douleur envahit la cage thoracique, semblable à un coup de poignard. Je suffoque. C'est disloqué comme une poupée jetée au sol, les yeux révulsés, un filet de sang suintant de mes narines que je suis étendu contre le tarmac. Fines gouttelettes rougeâtres roulent sur le sol. Regard étincelant de terreur. Mais après un moment qui m'a semblé une éternité, j'ai découvert, la mine un peu abasourdie, que je n'étais pas au bout de mes surprises. Le fait est que j'ai raté mon départ et me retrouve dès lors emprisonné dans un corps familier devenu par la force des choses, absolument étranger.

Au fil des femmes     -  Nouvelles de  Maddy M. NISHIJIMA

Lui.Elle

- Prologue -

Il faisait froid depuis quelques jours. Elle était là, traînant dans son appartement. " Six mois qu'il m'a quittée. Et un an demain..."  pensa-t-elle en se servant son thé. Elle ne parvenait pas à remonter la pente malgré l'aide permanente de sa famille et de ses amis. Sans lui, elle se sentait vide. Il était entré dans sa vie tel un coup de vent. Elle ne l'attendait pas. Il ne l'attendait pas. Une rencontre rare. Violente. Puissante. Sensuelle. Elle était achevée. Elle retourna près de la fenêtre, observant la circulation. Regardant les papiers voler avec le vent. Des heures entières elle restait là, croyant apercevoir parfois sa silhouette nonchalante.

Lui, il était parti, n'avait pas de regrets. Il était loin et avait une autre histoire. Une autre femme. Une de celles qui ne parlent pas. Sauf quand on leur demande. Lui. Il pensait à elle parfois. Se demandait ce qu'elle devenait. Elle avait brisé le lien. Lui. Regardant par le hublot qui l'emmenait loin d'elle. Il jeta un œil sur sa compagne endormie. Il avait peur. Encore. L'hôtesse s'approcha de lui et lui demanda s'il souhaitait prendre son repas. Il déclina l'offre et demanda une vodka Sunrise. Il but à petites gorgées. Il se rappelait... Lui. Perdu, le regard dans le vague, il la voyait sourire. Il l'aimait encore. Elle lui manquait. Magicienne et sorcière. Douceur et violence. Elle. Si loin déjà... L'avion avançait vers son avenir. La Terre se lamentait de leurs souvenirs. Lui, elle. Elle, lui. L'un et l'autre perdus dans leurs songes. Près de l'un et l'autre à chaque seconde. Leur séparation n'était qu'une hérésie. Un manquement à la vie. Elle, lui. S'aimant et fuyant. Plus simple. Se détestant et se fuyant. Moins compliqué. Lui, elle. L'un à l'Ouest, l'autre à l'Est.

 

La cité des anges - Premier Poème du recueil

Mon Ange

Et si j'osais te dire je t'aime ? Que ferais-tu ? T'apprivoiser fût long et pénible... Tu rôdes comme un jeune loup, solitaire, tu erres, ermite, et moi je suis là le cœur ouvert et l'âme tendue vers tes peurs sans limite...

Mais je n'oserais pas, j'aurais trop peur de te perdre et je ne puis admettre d'être l'actrice de mon trépas.

Alors tu sais quoi mon Ange ? Non, tu n'es pas encore prêt à entrer dans ma réalité.

Je vais te laisser grandir et murir, te laisser faire les pas qui te séparent du réel... doucement... à ton rythme.

Car sans te brusquer, je vais te laisser venir à moi.

Je vais m'effacer de ton espace pour te donner l'envie d'emplir le mien.

Je vais quitter ta vie pour que te tenaille le désir d'emplir la mienne.

Je vais passer mon chemin, sans te regarder, pour que tes yeux cherchent les miens.

Je ne vais plus t'envoyer mes pensées pour que les tiennes soient en peine de moi.

Je vais faire le deuil de toi pour te donner l'envie de m'insuffler la vie.

Je vais laisser ce vide dans ton cœur pour que tu prennes peur de ne plus entendre le mien battre au rythme de mes " Je t'aime ".

L’un ou l’autre - Nouvelle de Ludivine LANOY

 

Il regarda le sang couler. Un petit ruisseau, un tout petit ruisseau, calme, tranquille, apaisant...

Les rues étaient désertes, l'air était chaud, le soleil dardait de ses rayons les moindres recoins. Le temps semblait s'être arrêté, et l'espace d'un instant, cette rue aurait pu être le lieu le plus apaisant du quartier... sauf pour Baptiste.

« Expérience sensorielle et émotionnelle désagréable ». Douleur. Sept lettres définies en cinq mots. Un sourire qui disparaît, des membres qui tressaillent, un corps qui se courbe, des poings qui se ferment, un regard qui s'embue, un espoir qui s'envole, un cri, un silence, un flottement, un relâchement, un apaisement : une fin.

Ça, c'est le quotidien de Baptiste. Un éternel recommencement. Parfois pourtant, il y pense, à la fin. À sa fin.

Il était issu d'une famille modeste, mais ne manquait cependant de rien. Son père, ouvrier, était un héros pour lui, la personne la plus courageuse qu'il connaisse. Sa mère n'avait jamais travaillé, elle s'était consacrée à son éducation. Enfant unique, il était choyé par ses parents et menait une vie des plus heureuses jusqu'à sa rentrée au collège.

À sa sortie de l'école primaire, Baptiste est bien dans ses baskets, un garçon comme les autres qui s’apprête à débuter sa vie d'adolescent sans entraves, aux côtés de ses amis. C'est pendant les grandes vacances que les choses s'étaient un peu gâtées. Une fin d'après-midi, alors qu'il rentrait d'une longue errance dans les bois avec des camarades, son père lui avait annoncé leur soudain déménagement. Ça avait été un choc pour lui, devoir tout quitter soudainement, il ne s'y attendait pas. Le logement dans lequel lui et sa famille habitaient avait été jugé dangereux, nocif pour leur santé et ils allaient être rapidement relogés. La nouvelle adresse n'était qu'à cinq kilomètres de là, mais la rentrée dans le collège du coin était compromise.

Quand il questionna son père, ce dernier tenta de le rassurer : l'établissement qu'il allait fréquenter était vraiment bien réputé et des copains, il allait sans aucun doute s'en faire de nouveaux très rapidement .

Après quelques jours, Baptiste soutenu par ses amis, avait fini par se rendre à l'idée de déménager, voire même à en trouver quelques contentements. Il avait visité la future maison, et sa nouvelle chambre était bien plus grande que la précédente. Il imaginait comment la décorer, avec tous les super-héros qu'il aimait tant. Il voulait être comme eux, quelqu'un qui protège les autres, quelqu'un à qui on pouvait faire confiance et sur qui on pouvait se reposer. C'était son idéal, il ne savait pas encore quel genre de métier il voulait faire, mais il chercherait sûrement quelque chose qui comporte toutes ces qualités.

L'emménagement s'était bien passé, toute la famille était installée, l'été passait doucement au rythme des sorties entre amis et des barbecues à la maison. Baptiste était heureux, bien qu'un peu angoissé par la rentrée. En primaire, il faisait partie des plus grands, mais maintenant, il fallait tout reprendre à zéro et redevenir l'un des plus petits de l'établissement. D'autant que physiquement, il n'avait rien d'un collégien, il était de petite taille, très fin, et sa voix qui muait lui donnait un côté très enfantin. La rentrée n'était que dans dix jours et pourtant Baptiste avait déjà préparé son sac. Ses vêtements pour le grand jour étaient prêts sur une chaise, bien qu'il en changeât à plusieurs reprises, ne sachant pas vraiment se décider sur la tenue adaptée. Les derniers jours passèrent à une vitesse folle, il était temps d'entrer au collège...

Ce matin-là Baptiste ne réussit pas à déjeuner, pourtant sa maman lui avait fait un petit déjeuner de roi : tartine grillée bien beurrée, chocolat chaud fait maison, et salade de fruit. Mais rien ne passait, la pression était bien trop forte. Ses parents ayant jugé qu'il était assez grand pour aller au collège sans risque, à pied, l'embrassèrent et lui firent signe à la porte au moment du grand départ. Baptiste commença son chemin, et vit son père qui partait travailler le doubler en voiture. Il faisait un peu frais, mais le soleil était tout de même présent ce qui réconfortait Baptiste. Sur le chemin, il repensa à la visite qu'il avait fait en début de vacances dans le collège. Il se repassait les différents lieux, les bureaux, les classes, la cantine, les recoins de la cour de récréation, il avait à peu près tout retenu. Il avait une très bonne mémoire visuelle et si tout se passait bien, il ne devrait avoir aucun souci à se repérer dans l'établissement. Obnubilé par ses pensées, il ne s'était pas aperçu qu'il était arrivé à la grille. La journée pouvait commencer...

Quand il rentra chez lui ce soir-là, Baptiste ne savait pas vraiment que penser de sa journée. Il avait eu son emploi du temps, qui était assez clément, vu ses professeurs qui pour la plupart avaient l'air sympathiques, mais il n'avait pas réussi à discuter avec les camarades de sa classe. Il avait même eu l'impression qu'un des garçons s'était moqué de lui au moment d'aller à la cantine. Mais il se dit qu'il devait sans doute se faire des idées...

 Canary-Bay - Nouvelle de Ludivine LANOY

 

Son cœur de guerrière avait donc une faille, celui d'appartenir à une femme comme une autre, un cœur ne pouvant résister aux méfaits de l'amour...

Elle ouvrit les yeux mais ne vit rien. Elle était dans le noir complet, un noir qui sentait la nuit. Elle était allongée mais ce n'était pas un lit, plutôt une paillasse, ou quelque chose comme ça. Ni dur, ni moelleux, ni confortable, ni désagréable, juste suffisant pour se reposer. Elle referma les yeux, sans vraiment comprendre où elle était, ni même pourquoi elle y était. Elle sombra de nouveau dans le sommeil, non pas réparateur, mais qui allait au moins répondre à ses interrogations.

Elle se revit sur son bateau, détendue, profitant du vent qui caressait son visage. Rien ne pouvait prévoir la suite des évènements. Elle avait travaillé dur pour pouvoir profiter de ce week-end en mer, elle travaillait toujours beaucoup trop, de toute manière. C'était un automatisme, se lever, se préparer et aller travailler. Devoir se faire une place dans un monde qui ne voulait pas d'elle, devoir toujours faire des efforts surhumains pour arriver à la cheville de ses collègues, tous masculins, qui eux, ne pensaient qu'à lui faire des réflexions désobligeantes, ayant depuis longtemps abandonné l'espoir de la mettre dans leur lit.

 

Comment j'ai tué ma mère - Nouvelle de Ludivine LANOY - Audio

 

C'en était fini pour elle, de toute sa splendeur, de toutes ses belles apparences, de tout ce qui la faisait tenir debout.

Il y avait cette femme, le genre de celles auxquelles on aimerait ressembler, toujours soignée, toujours souriante, qui place le bon mot au bon moment, avec sa maison parfaitement ordonnée et sa cuisine toujours délicieuse. Et il y avait cette petite fille, le genre d'enfant que tout parent rêve d'avoir, brillante et délicate, un peu tête en l'air, l'esprit souvent dans les nuages.

 Il y avait ma mère, il y avait moi, et l'envers du décors.

Bien sûr, il y avait les personnages secondaires, un grand frère un peu trop protégé, un peu trop gentil, un peu trop renfermé, mais pas bien méchant. Et un père... Un père présent et pourtant si absent à la fois, semblant toujours porter un poids sur ses épaules, Dieu merci bien solides.

Et toujours l'envers du décors.

Ne dit-on pas qu'une fois les portes fermées, personne ne sait ce qui se passe ? Qu'une fois les portes fermées, tout apparat disparaît ? Cette phrase n'est ni plus ni moins qu'une façon d'exprimer ce que nous vivons et que personne ne voit, ou ne veut voir.

Ludivine LANOY   -   NOUVELLES

Mon fils, ma promesse

Elle était là à ses côtés, comme tous les soirs. Nichées dans le creux de son bras, il se dit qu'il avait la plus belle femme du monde. Elle lui souriait et il lui souriait en retour. Elle se leva soudain et lui dit qu'elle devait partir. Mais pourquoi ? Parce que c'était ainsi, il ne pouvait en être autrement, elle ne pouvait revenir vers lui que dans ses rêves, elle était partie à tout jamais. Tom se réveilla brutalement, il aurait aimé prolonger son rêve mais la sonnerie de son réveil le renvoyait à  la dure réalité. 7 h. Il devait réveiller son fils et le préparer à aller à l'école. Ça faisait déjà un an qu'il endossait ce rôle, qu'il endossait tous les rôles. Préparer son fils, le faire manger, le laver, être là en permanence pour lui. Un an déjà que sa femme les avait quitté pour un monde sans doute meilleur.

Ne pas le décevoir

Assise dans sa cuisine, elle attendait. Quelle belle cuisine elle avait, quelle belle vie elle aurait pu avoir. Assise dans sa cuisine, elle attendait, sûrement que les choses changent, sûrement un " je ne sais quoi " miraculeux qui l'emporterait loin de là. Mais elle avait toujours l'espoir, l'espoir qu'il changerait.

Bête espérance et douce souffrance...

Léna avait 23 ans, mais tout chez elle semblait enfantin. Les traits d'une jeunesse abrégée se lisaient sur son visage et derrière son sourire, quelque chose d’effrayant semblait se cacher. Issue d'une famille moyenne, Léna n'avait jamais pensé un jour avoir une vie luxueuse.

Dans la fleur de l'âge

Deux heures. C'est long deux heures quand le soleil fait perler votre peau et laisse votre esprit divaguer dans le doute. Deux heures d'attente sans savoir...

Pouvait-il vraiment imaginer un seul instant qu'elle viendrait ? Tout s'était passé si vite ! Que pouvait-elle lui trouver ? Elle dans la fleur de l'âge, sa jeunesse inondant tout sur son passage, son sourire faisant chavirer les cœurs les plus sombres... Vraiment, ce n'était qu'un rêve.

L'épanouissement - Laurence Turmel

La Vie

Dans la vie,

Il y a toujours des hauts et des bas,

Des déceptions et des joies,

Du soleil et de la grisaille.

Un amour que l’on trouve,

Mais qui n’est pas partagé.

Ne jamais baisser les bras,

Relever la tête et se dire,

Que le soleil brillera de nouveau.

Déprimer, ce n’est pas pour moi,

La vie continue,

Et le bonheur n’est pas loin.

Peut-être au bout de la rue,

Où peut-être pas.

Ce n’est pas grave, je vais vivre pour moi.

Je ne me laisserai plus faire.

Surtout garder ma liberté,

De penser et d’aimer.

Je prendrai le plaisir où il est,

Et j’en donnerai aussi.

 

L' espoir - Laurence Turmel

Il était une fois mon moi

Il était une fois mon Moi.

Je l'ai croisé au détour d'un chemin,

Il m'a juste dit :

" Dis-moi ce que tu penses de toi "

" Dis-moi ce que tu ressens "

" Ta joie, ta peine "

" Et les questions que tu te poses "

Alors j'ai fermé les yeux,

Et, je lui ai parlé.

J'ai tout vidé,

Mes pensées, mes idées,

Mes rêves inachevés..

Et mon amour interloqué.

...

 

Pensées Intimes - Tome II de " L'égérie au masculin "

Moments intenses

Nos mains enlacées sur le drap froissé,

Nos corps serrés comme deux aimants qui ne peuvent se séparer,

Moments de douceur et de bonheur,

Où l'on entend que nos cœurs battent.

Impossible de s'éloigner,

Inséparables comme les oiseaux,

Amoureux comme les tourtereaux.

Moments de délice et de complicité

Moments intenses en toute intimité,

Le monde n'existe plus.

Seule, reste la respiration

Encore essoufflée

De nos ébats mouvementés.

 

Retour aux sources  -   Second recueil de Laurence Turmel                      

La romantique

Elle était belle,

Dans sa robe blanche,

Avec ses cheveux châtains,

Elle ressemblait à une princesse de loin,

Elle ne connaissait rien,

Ni l'amour,

Ni les chants,

Ni la beauté de la vie.

Mais elle aimait ce pays,

Qui ressemblait un peu au sien.

Elle a vécu ici,

Là où je vis,

Là où les portes sont ouvertes,

Que pour celles qui aiment le romantisme.

Elle a connu l'amour,

Elle a connu les chants,

Et la beauté de la vie.

Mais ce qu'elle n'a pas connu,

Et que je connais en ce moment,

C'est cette vie qui n'a aucun sens,

J'aurais voulu connaître son époque,

Vivre à ses côtés,

Pour qu'elle me raconte sa vie.

Sa vie dans ce pays d'où elle venait.

Ce pays que j'aurais aimé connaître,

Et que je ne connaîtrai jamais.

 

L'égérie au masculin   -  Laurence Turmel

Bel homme derrière l'écran

Il était derrière un écran,

Juste le temps d'un moment,

Un sourire, un rire et un regard émouvant,

Il était derrière l'écran,

Et juste le temps d'un moment,

Mon vêtement est tombé,

Il était derrière l'écran,

 

Envie de lui, de le caresser,

De le toucher,

De le câliner et l'embrasser,

Et de me laisser aller.

Sentir ses mains sur moi,

Se promener, découvrir son corps et mon corps,

Juste prendre du plaisir,

Juste un moment derrière l'écran.

 

Un jour peut-être,

Il prendra le temps,

Juste un moment,

Mais plus derrière l'écran,

Peut-être sur un divan ou un meuble d'appartement,

Il me donnera un peu de son temps,

juste le temps,

Que l'on s'aime un moment.

Florence MARTIN  -    ROMAN

Panique au séminaire

Cléo

Hier, j'ai fêté mes cinquante ans ! Putain cinquante ans, déjà ! Me voilà débarquée sur la plage des vieux, enfin des pré-vieux. La cinquantaine flamboyante comme ils disent. Mais c'est la cinquantaine larmoyante en réalité. J'ai célébré cet anniversaire dans la solitude, écouté Salomon Burke sur mon ordinateur tout en sirotant une bouteille de champagne. Alcool et musique m'ont plongée dans un nuage de perplexité. Elle est arrivée plus vite que le pensais la date de péremption des femmes jeunes et jolies. La vie n'est qu'un toboggan qui précipite tout être humain vers une fin annoncée. Et j'y suis, au début de la fin.

Toutes ces années où je me trimbale sur notre planète sont les plus belles que le monde offre à tout citoyen lambda de notre monde occidental. Le chômage, un vilain mot réservé aux anciens, même des nazes comme moi, sans aucun diplôme, des " losers " trouvent boulot à leur pied. L'emploi vous court après, on fait monter les enchères. Et si la tâche est pénible, déplaisante ou simplement ennuyeuse, hop on file son sac au patron, insultes en prime. Les petites annonces abondantes procurent dans les trois jours le job de rêve, enfin presque. Cette possibilité, je l'use jusqu'à la corde.

Dans cette ambiance euphorique, je glandouille dans la vie, insouciante et désinvolte. Je n'envisage jamais mon avenir, car je m'en fous, préférant me vautrer avec volupté dans la paresse. C'est invraisemblable, mais je suis sûre de moi, certaine que d'une façon ou d'une autre, je vais gagner.

Le sida est inconnu dans ma jeunesse et je consomme pas mal d'amants. La fidélité est une notion démodée, je papillonne donc d'une rencontre à l'autre.

Dans la foulée de cette vie extraordinaire, Boris surgit dans mon univers. Je le rencontre pour la première fois au festival de Nyon (maintenant c'est Paléo). Il est assis dans l'herbe sur son blouson de coton, les mains encapsulant ses genoux pliés jusqu'au menton. Il porte un t-shirt gris clair et une paire de shorts de même teinte. Je m'affaisse à côté de lui et il me tend la bière qu'il est en train de déguster. Pas un mot. Nous écoutons Diane Dufresne ensemble sans nous parler. Le concert terminé, il me prend par la main et m'entraîne sur la plage. Les baisers succèdent aux baisers, il embrasse si bien, je souhaite que ça ne s'arrête jamais, puis on fait l'amour jusqu'au petit matin. Je m'endors enroulée sur son corps.

Une joyeuse entente règne entre nous, car nous portons le même regard arrogant sur la société, " ils n'ont rien compris ! " Bien sur, on est les seuls à détenir la vérité, à considérer la terre comme un grand terrain  de jeux sans frontières. Nous parcourons de nombreux pays et continents sac au dos, en train, en 2 CV, avec une tente pour tout abri, éblouis par la diversité de notre monde. On fume pas mal !

Après quelques années de ce régime, nous nous échouons sur une plage de Crète : Matala. C'est là, dans un camping peuplé de hippies que je constate que je suis enceinte jusqu'aux oreilles. En toute logique, nous nous unissons par les liens du mariage. Je me retrouve une poignée d'années plus tard avec deux fils.

Les années passent, les enfants grandissent, les voyages s'espacent. L'avion comme moyen de transport remplace le train et la voiture. Notre petit chapiteau est abandonné au profit d'hôtels confortables. L'embourgeoisement nous guette avec l'âge. Le slogan : " on a fait la révolution pour ne pas devenir ce que nous sommes " devient hélas notre réalité. Mais je continue à me pâmer devant Boris. Il envahit tout mon univers, je ne pense qu'à lui, jour et nuit. Tous mes actes, tout ce que j'accomplis, c'est pour lui et je ne vois pas venir la suite, obnubilée que je suis par mon besoin insatiable de tendresse. Il y a une année, Boris a déserté le foyer sans explications, au bras d'une pétasse de 25 ans, une belle fille bien roulée. Ces derniers temps, il passait ses journées dans son cabinet de kinésithérapeute et moi je continuais à arpenter des bureaux d'entreprise pour exercer mes talents d'hôtesse. Je ne m'en suis pas aperçue, mon mari ne supportait plus une cinquantenaire grincheuse. Il est à cent lieues de son épouse. Un homme de cinquante ans, ce n'est pas du tout comme une femme de cinquante ans. Il est encore mince, toujours très beau malgré ses tempes grisonnantes, bref, il séduit. Il s'est vite consolé avec une plus jeune, plus fraîche, plus éclatante, plus blonde. Tout plus quoi. Quelle baffe !

Floo CRACHEUR DE FEU - Recueil de Poèmes

La femme à OM et l'homme infâme, lézard, mots nient

 

Lynchage et tradition

 

Destine moi un mouton

Dans ce pays où

On lève quelque voile

Mais pas sur les scandales

 

Destine moi un mouton où

Dans cette démocratie

On urine entre deux télévisions

Pour toujours voter plus con

 

Destine moi un mouton

Là où les touristes ont raison

Colère et misère ont bon fond

Acquis sociaux à qui se soignent à coup de bonbons

 

Destine moi un mouton

Le profit mure les maisons

Ligne Maginot sur fond d'expulsion

L'huissier remplace le comique troupier

 

Destine moi en mouton

Choisis ton trafic sur le bouton

Assure la cébé et tes dossiers

De vitamines ton enfer est pavé

 

Destine moi en mouton

Les voitures radioguidées speedent à fond

Dans les garages plus surveillés

Que les trafiquants députés

 

Destine moi en mouton

Service militaire désarmé

Serial milices harnachées

Lynchage et tradition.

CARNET DE ROUTE ANNÉE ZÉRO - EXTRAIT

1

L'inconvénient des souvenirs, c'est qu'on ne choisit pas ceux qui remontent à la surface.

2

L'inconvénient d'être une bête de sexe, c'est qu'on finit toujours par se demander de qui sa compagne est _réellement_amoureuse – de son membre viril ou de soi ?

3

L'inconvénient d'être nul au lit, c'est qu'à chaque nouvelle relation amoureuse, on se fait larguer en vingt-quatre heures.

4

L'inconvénient du mariage, c'est qu'on ne peut plus laisser baigner sa vaisselle sale dans l'évier pendant huit jours (ni abandonner ses chaussettes roulées en boule sous le lit).

5

L'inconvénient du célibat, c'est qu'on est tout seul.

6

L'inconvénient d'être jeune, c'est d'être persuadé que ça durera toujours (et d'agir en (in)conséquence).

7

L'inconvénient d'être vieux, c'est qu'on ne sera plus jamais jeune.

8

L'inconvénient de l'avion, c'est que s'il arrive un problème, c'est la mort assurée (on ne peut même pas essayer de prendre le volant ou sauter en marche pour tenter de s'en sortir).

9

L'inconvénient de prendre le train, c'est qu'on connaît l'heure où l'on part. Mais jamais celle où on arrive.

10

L'inconvénient du football, c'est d'être un sport de manchot. On se retrouve avec des cuisses épaisses et musclées mais des bras pas plus gros qu'une baguette de pain.

11

L'inconvénient du rugby, dès lors que l'on dispute les mêlées, c'est de voir ses oreilles se transformer progressivement en feuilles de chou.


Ignominie Amour - Eric Scilien

Chapitre 1

Ça m’est tombé dessus à la seconde où je l’ai vue. Myriam Reinhardt s’est imprimée sur mon écran intérieur et depuis, où que je pose les yeux, elle est là, partout présente.

Au début, j’ai cherché des explications. Tenté de comprendre, rationaliser. D’accord, Myriam est nantie d’un physique avantageux, d’un visage aux lignes pures et d’une chevelure de lionne volume XXL – mais d’autres collègues comme Sandra ou Marine n’ont pas grand-chose à lui envier. Elles ne me font pourtant pas plus d’effet qu’un canard en plastique dans une baignoire d’eau tiède.

Alors quoi ? Est-ce son sourire, faussement angélique et qui en désarçonne plus d’un ? Son art du contre-pied, de la répartie brillante et inattendue ? (autant de qualités qui me font cruellement défaut) Est-ce son humour ravageur, son naturel en toutes circonstances ? Ses yeux couleur des mers du sud ? Ses décolletés vertigineux, la sensation tenace qu’il manque toujours un bouton à son chemisier – celui du haut, évidemment – et la lutte incessante pour ne pas succomber à la tentation du regard aussi plongeant qu’indécent ?

Je n’en sais rien.

J’ai cherché en vain pour aboutir à cette unique conclusion : je suis amoureux.

Moi, c’est Franck Varnier, vingt-quatre ans. Et toujours célibataire, ce que ne manque jamais de me rappeler ma bête noire qui, pour mon malheur, est aussi mon supérieur hiérarchique, Karl Müller – Monsieur Müller, comme il aime lui-même à me le rappeler.

J’ai la chance d’exercer le métier envié de Cash collector (autant présenter les choses sous cet angle - garder le sens de l’humour permet, parait-il, de préserver sa santé mentale).

Cash collector, c’est un terme pompeux qui signifie que je suis chargé de recouvrement de créances. En clair, je suis payé pour harceler des gens qui doivent de l’argent. Les harceler et les faire cracher au bassinet, quelle que soit leur situation. Pour cela, tous les moyens sont bons, de la fraternisation à la menace en passant par la culpabilité, la manipulation et l’utilisation d’autant de stratagèmes que l’esprit humain peut en concevoir.

Toute la journée, j’évolue avec un casque téléphonique vissé sur la tête. Je ne l’enlève que pour aller aux toilettes ou rendre des comptes à Müller.

Cent fois, j’ai pensé à démissionner. Mais impossible de passer à l’acte. Partir sans indemnités, je ne peux tout simplement pas me le permettre. La démission, c’est la mort du petit cheval et j’ai besoin de ce revenu pour payer mon loyer.

Au demeurant, il arrive que le plus difficile ne soit pas lié au travail en lui-même mais aux plaisanteries plus que douteuses de Monsieur Müller.

- Alors Varnier, toujours célibataire ? Mais qu’est-ce que vous foutez, mon vieux ? Il y a deux millions de femmes seules qui ont votre âge en France. Deux millions de filles qui se glissent sous les draps en rêvant d’un étalon comme vous, ne me dites pas que vous n’êtes pas capable de vous en trouver une !

Müller a le chic pour enfoncer le clou là où ça fait mal. Et toujours en public. En réunion ou à la cafétéria autour de la machine à café :

- Dites donc Varnier, elle ne me parait pas très bien repassée votre chemise. Il faut vraiment vous trouver une femme, ça devient urgent !

Il arrive que Müller se montre plus subtil, presque raffiné. A sa manière, évidemment :

- Alors Varnier, elle était belle ?

- Pardon ?

- Je vous demande si elle était belle ?

- Qui ça ?

- La fille avec qui vous étiez hier soir. Ne me dîtes pas que c’est en regardant la télé que vous avez ces poches sous les yeux !

Le genre de propos qui provoque l’hilarité générale, les rires gras de collègues secrètement soulagés de n’être pas pris pour cible.

- Allez Varnier, ne faites pas cette tête-là ! C’est une blague, rien de plus. Et souvenez-vous que la meilleure défense, c’est l’attaque !

Oui, je m’en souviens. Difficile de l’oublier, vu qu’il s’agit d’un des poncifs récurrents que Müller brandit plus souvent qu’à son tour. D’autres figurent en bonne place, du genre « Il n’y a pas de problème, rien que des solutions ! » ou « Quand on veut, on peut ! »

Le pire, c’est que Müller semble toujours convaincu d’énoncer la trouvaille de l’année, la formule magique que tous les hommes cherchent en vain depuis l’origine du monde.

Ceci étant, attaquer Müller – ne serait-ce qu’en mots – m’apparaît pour l’heure nettement au dessus de mes moyens. D’autant que Müller – Müller le teigneux, le taureau sanguin – Müller ne supporte pas la moindre contradiction.

La cinquantaine dynamique, coupe en brosse et yeux bleus acier, Müller est le prototype du cadre sûr de son pouvoir. Elégance vestimentaire jamais prise en défaut, costume sombre et cravate fantaisie, il frise le double mètre et affiche une carrure de rugbyman – plutôt deuxième ligne que demi de mêlée. Un début d’embonpoint n’enlève rien à l’impression de force qu’il dégage ; quelque chose en lui fait penser à un lutteur en costume de ville. Lorsque je me retrouve en sa compagnie dans un espace confiné, par exemple dans la cage de l’ascenseur, malgré mes cent soixante-dix-huit centimètres et mes soixante-neuf kilos somme toute parfaitement respectables, en comparaison le miroir me renvoie l’image d’un gamin qui n’aurait pas fini sa croissance, voire d’une demi-portion. Ce pourquoi dorénavant, dans cette situation, je préfère me concentrer sur la pointe de mes chaussures.

 

Comment réussir sa vie sans être une rock star   Eric Scilien

  TOUT LE MONDE VEUT CHANGER DE VIE

 - J'y vais. À ce soir ! murmure Nadège sur le seuil de la porte.

Il est tôt, le soleil du petit matin inonde la pièce en chantier d'une clarté lumineuse. Je suis assis en débardeur devant mon bol de café  noir, les épaules nouées par des journées trop longues, la tête encore dans l'étau du manque de sommeil.

Depuis que le réveil à sonné, Nadège n'a pas dit un mot.

- Tu ne m'embrasses pas ?

Je la vois hésiter.

- Si.

C'est moi qui me lève et vais vers elle. Elle s'essuie furtivement une larme au coin des yeux.

- Qu'est-ce qui se passe Nad ? Qu'est-ce qu'il y a ?

- Rien.

- Si, je vois bien.

J'essaie de la prendre dans mes bras mais elle se dérobe.

- Laisse-moi !

- Dis-moi au moins ce qu'il y a.

Elle évite de me regarder dans les yeux.

- Allez ! Je t'écoute.

Ça sort d'un coup :

- Il y a que j'en ai vraiment marre ! Tu te rends compte de la vie qu'on mène ?

- Je sais, c'est pas facile mais...

- Mais quoi ? Au départ, on venait ici avec notre projet de chambres d'hôtes, mais pas seulement. On voulait aussi faire un enfant, tu te souviens ? Ça fait un an déjà. Et tu remets toujours à plus tard !

- Moi aussi je veux qu'on ait un enfant, Nad. Tu le sais bien. Ce n'est simplement pas le moment. Ce serait ingérable avec tout le boulot qu'on a...

- Alex, il faut que tu regardes les choses en face. On est en train de se planter. C'est beaucoup trop grand pour nous ; on y arrivera pas !

- Ne dis pas ça. On va y arriver.

Nadège passe une main dans ses cheveux. Je la vois prendre sur elle pour ne pas se laisser submerger par l'émotion - à moins qu'elle ne résiste à l'envie de m'arracher les yeux.

- Je préfère te le dire tout de suite, je ne passerai pas un autre hiver dans ces conditions.

- Je sais.

 

   LES PLUS BELLES VICTOIRES SE FORGENT AU CŒUR DE LA DÉFAITE

 Jamais je n'aurais imaginé tomber amoureuse de quelqu'un comme toi.

Un sportif.

Un coureur de 400 mètres de surcroit, un sport auquel je ne connaissais rien. Une espèce de saltimbanque aux yeux de mon éducation.

Non seulement j'avais une vision minimaliste de ta discipline, mais courir le plus vite possible sur une courte distance, employer ses journées, sa jeunesse à l'atteinte de cet objectif pendant que d'autres sauvaient des vies, se consacraient à la recherche ou construisaient des ponts et des routes, je trouvais qu'il y avait là quelque chose de décalé, presque absurde.

Et puis tu es entré dans ma vie et j'ai appris à voir différemment.

Je me suis rendue compte de l'engagement que cela représentait. Au niveau de l'entrainement mais aussi de la diététique et de la récupération. Dans une épreuve où le résultat se jouait au dixième, voire au centième de seconde, rien ne devait être laissé au hasard.

Et cette volonté de finir premier. L'espace d'une course, presque d'un instant, se hisser en pleine lumière au dessus du commun des mortels - comme une soif de perfection.

D'absolu.

   COMMENT RÉUSSIR SA VIE SANS ÊTRE UNE ROCK STAR

 Rock star

 Moi mon truc, c'est la guitare.

Ça l'a toujours été, d'aussi loin que je me souvienne.

Je sais, je ne suis pas le seul. Qui n'a pas rêvé, au moins une fois dans sa vie, d'être une rock star ? De vivre une existence de rock star ? Pour moi, ça a longtemps été beaucoup plus qu'un rêve.

Adolescent, j'écoutais de la musique des après-midi entières allongé sur mon lit, les yeux fermés en imaginant enflammer la foules avec des solos enfiévrés.

Je rêvais de jouer dans des stades de cent mille personnes. J'aspirais à ce que le Monde entier se mette à l'heure de la Jean-Louimania (Jean-Louis, c'est moi).

Mes compositions, je les imaginais en tubes planétaires passés en boucle sur toutes les radios du globe. Sur mon écran intérieur, je distinguais clairement mon nom, mon visage sur de grandes affiches ; je me voyais faire les gros titres des journaux et des magazines en papier glacé - barbe finement taillée et regard pénétrant à la James Bond, époque Sean Connery - et goûter à l'ivresse de la célébrité.

Avec mon groupe, j'aurais sillonné les cinq continents lors de tournées triomphales. Je n'aurais pas hésité à ratisser large - de l'Australie au fin fond de l'Ouzbékistan en passant par Le Cap ou Honolulu, je me serais produit dans toutes les salles. J'aurais fini en apothéose dans les stades des plus grandes métropoles.

Persuadés de mon aura porte-bonheur, mes fans auraient été prêts à se battre pour m'approcher, me toucher, mes photos dédicacées se seraient moyennées à prix d'or. Mieux qu'une star, je serais devenu une icône.

Évidemment, je ne suis pas naïf. J'ai conscience que la vie d'une rock star n'est pas uniquement jalonnée de pure félicité.

À partir du moment où ma présence aurait suffi à déclencher l'hystérie à des kilomètres à la ronde, j'aurais été la cible numéro un des paparazzis.

Le moindre de mes écarts, un geste ambigu, une parole déplacée aurait fait le tour du monde. Et toujours de façon amplifiée, déformée. Jamais à mon avantage. J'aurais été en prise avec de multiples tentations, le sexe facile et les drogues dures au premier rang. Mais j'aurais su gérer.

Enfin, je crois.

On ne peut jamais être sûr, pas vrai ?

Au fond de moi, j'ai toujours eu la certitude d'être fait pour cette existence.

Malheureusement, force m'est de constater que le vent n'a pas soufflé dans la bonne direction.

Vent mauvais comme aurait dit Verlaine.

Aujourd'hui, je suis employé municipal aux espaces verts de ma commune. Je taille des haies et je ramasse les feuilles mortes, je désherbe et je tonds des pelouses. C'est un travail comme un autre, je ne me plains pas. Mais ce n'est pas vraiment l'avenir que je m'étais imaginé.

Eric SCILIEN

Comment faire pour rencontrer quelqu'un

Première Partie : Apprentissage      

Chapitre 1 :

Les enfants peuvent-ils croire ce que disent les adultes ?

Après la cantine, nous rentrons tous en classe. Sans parler ni faire de bruit comme le maître, Monsieur Cazal, l'exige. Il faut dire que Monsieur Cazal, il fait peur avec sa grosse barbe noire, ses dents jaunes et sa bouche qui sent mauvais l'odeur de sa pipe. Sa pipe qu'il fume sans arrêt, à toutes les récréations. Quand Monsieur Cazal s'énerve, on le sent prêt à faire quelque chose de terrible. Alors le mieux, c'est qu'il ne s'énerve pas.

Au moment de m'assoir, je vois tout de suite le mot écrit en gros caractères à la craie blanche sur le tableau, à côté de la date du jour : DICTÉE.

Les dictées, je déteste. Je me trompe toujours et quand je ramène une mauvaise note à la maison, mon père me gronde et me donne des punitions. C'est pourtant pas de ma faute. J'en fais pas exprès, d'avoir des mauvaises notes.

- Asseyez-vous, prenez vos cahiers d'orthographe et notez la date du jour au stylo rouge dans la marge, dit Monsieur Cazal.

Tout à coup,un cri me fait sursauter. C'est Thouvenel. Tout le monde se retourne vers lui. Il s'est relevé de sa chaise en hurlant et maintenant, il chiale. Il a l'air d'avoir vraiment mal.

- Qu'est-ce qu'il y a, Thouvenel ? Qu'est-ce qui t'arrive ? tonne Monsieur Cazal.

Il est sûrement inquiet à cause de sa responsabilité (Monsieur Cazal n'a jamais aimé Thouvenel). Il s'approche de lui, Thouvenel pleure toujours. Il a une punaise plantée dans le cul. Monsieur Cazal l'enlève d'un coup sec.

- En plus, c'est une punaise rouillée ! dit Monsieur Cazal.

Il envoie Thouvenel se faire désinfecter la fesse à l'infirmerie. Ensuite il se tourne vers nous. Avec sa grosse voix qui fait peur, il tonne :

- Qui a fait ça ?

On se regarde tous.

- Qui a mis une punaise sur la chaise de Thouvenel ?!

On pourrait entendre un mouche voler. Peut-être même un moucheron.

- Je vous préviens, personne ne sortira d'ici tant que le coupable ne sera pas dénoncé !

Thouvenel avait tiré les cheveux d'Aurélie Morel pendant la récré. Peut-être que c'était elle. Mais peut-être pas. On dirait que personne ne sait.

- J'attends ! dit Monsieur Cazal.

Il a vraiment l'air en colère. Avec sa règle, il tape dans la paume de sa mains comme s'il était pressé de s'en servir.

- Si le coupable ne se dénonce pas, alors je vais être obligé de punir tout le monde.

Tout à coup, il semble découvrir la présence de Meunier au fond de la classe.

- Dis donc Meunier, ça te fait rire ?

- Non, m'sieur.

Nous, on voit bien que Meunier ne rie pas. Ça ne le fait pas rire du tout, il a trop la trouille. Il voudrait que tout le monde comprenne du premier coup.

Monsieur Cazal ne le quitte pas des yeux.

- Viens ici avec ta trousse.

Le maître fouille dans la trousse de Meunier, personne ne sait ce qu'il cherche. Peut-être d'autres punaise rouillées.

Mais il ne trouve rien. Alors il abandonne la trousse sur la table avec un air déçu et cherche autre chose pour punir Meunier.

- Qu'est-ce que tu as sur les mains ?

- C'est de l'encre.

- On ne t'a pas appris qu'il faut se laver les mains avant de venir en classe ?

- C'est pas ma faute...

- C'est la mienne peut-être !

- Non... C'est mon stylo qui fuit.

- Va au coin, les mains sur la tête. Et sans un mot ou je te colle deux cent lignes à faire pour demain matin.

Meunier obéit avec des airs de chien battu.

- Retourne-toi contre le mur.

Sitôt Meunier retourné, Monsieur Cazal s'adresse à nous :

- J'attends toujours.

Le silence dure un long, très long moment.

Monsieur Cazal nous observe les uns après les autres, c'est à peine si on ose respirer.

- J'attends ! répète Monsieur Cazal.

À ce moment,la sonnerie annonce la récréation.

- On ne bouge pas.

La récréation se passe sans nous.

À la deuxième sonnerie,on entend les enfants des autres classes rentrer dans leurs salles en faisant du bruit. Puis le silence retombe.

- On restera ici toute la nuit s'il le faut !

 

Un homme sans quête est un vélo sans roue

 1 - Romance

 Aimer au sang - Le langage des fleurs

 Tu disais je t'aime. Comme personne ne me l'avait dit. Tu m'offrais des fleurs. Des roses, du lilas et des iris, une couleur différente chaque jour, pour chacune de nos étreintes. Tu incarnais mon horizon, tu étais mon souffle et mon cœur qui bat. Tu parlais de nous au futur et dans ta bouche, mon mot préféré c'était toujours.

Aujourd'hui, parmi tous les débris de ce qui fut nous, je me souviens de notre premier jour, un après-midi de septembre sur la place Saint-Augustin. Il faisait si chaud ; le rouge montait aux joues des enfants. Des hommes se promenaient torse nu, un mouchoir blanc sur la tête ; des femmes aux décolletés provocants montraient leurs jambes. Les terrasses des cafés débordaient sur les trottoirs et toutes les places à l'ombre des parasols étaient occupées.

J'étais assise sur un banc près de la fontaine, en plein soleil. J'avais apporté mon carnet à dessin avec l'idée de faire quelques croquis mais rien ne venait sous mon crayon. Trop de vague à l'âme. De sentiment d'inutilité et d'abandon.

Tu as été celui qui est venu m'offrir cette rose sans un mot, comme une main tendue. Une rose blanche, synonyme d'innocence et de pureté.

Je l'ai respirée avant même te regarder.

- Vous aviez l'air si triste, mademoiselle... Je ne pouvais pas vous laisser comme ça.

Tu souriais. J'ai cru t'avoir déjà vu ou te connaître déjà. Peut-être ressemblais-tu vaguement à un acteur américain dont je n'avais jamais su le nom, je t'ai demandé si tu faisais du cinéma. Ça t'a fait rire.

- Non, je suis dans la pub. Mais c'est tout aussi intéressant, vous savez !

Tu respirais l'assurance et la force mâle, l'arrogance virile et décontractée. Tu t'es assis à côté de moi et tu m'as demandé si j'aimais la poésie. Je t'ai répondu oui. Alors tu m'as parlé des poèmes de Baudelaire et du spleen de Paris. Puis tu t'es intéressé à ce qui je dessinais et je t'ai montré mes croquis esquissés la veille. Tu as eu l'air favorablement impressionné - mais je ne savais pas si tu était sincère car très vite, tu as laissé filtrer tes intentions. Sans aucune ambiguïté.

M'emmener dans ton lit et me faire l'amour.  J'ai compris que tu étais rompu à ce genre d'approche. Séduire faisait partie de toi et de ton mode de vie mais ça ne changeait rien. Parce que toi aussi, tu me plaisais. Par ton premier geste, cette rose que tu m'as offerte, je t'ai cru différent des autres. Romantique, à l'encontre de cette race d'hommes qui n'osent pas m'aborder, les plus nombreux. Pourtant je sens leurs regards sur moi. Ils m'observent, me scrutent. Me dévisagent. Je leur plais, oui. Je le sais depuis toujours. Depuis que mon oncle me faisait sauter sur ses genoux : " Quelle est mignonne, cette petite ! " Je leur plais mais plus encore, je leur fais peur. Parce que trop féline, trop spéciale. Brûlante au-dedans et insensible au dehors, insaisissable. Écorchée vive.

Claire ABADIE

Une excursion dans le métro

Encore une journée monotone de travail, pensa Nathalie face aux indicateurs du temps d’attente dans le métro. Plus que trois minutes avant le prochain train. Lorsque sa patronne lui avait reproché son retard systématique au travail en raison des problèmes de transport, elle s’était jurée de se lever plus tôt tous les matins. Quelques personnes autour d’elle attendaient la rame, un écouteur aux oreilles. Si sociable par nature, la jeune femme déplorait cette absence de communication entre tous les inconnus dans les wagons. Impossible de se fier aux autres. Nathalie regarda à nouveau sa montre. Sa patronne ne pourrait plus se plaindre si elle la voyait arriver une heure plus tôt.

Elle tenait à son travail de contrôleur des impôts. Elle avait bossé dur toute sa vie et maintenant qu’elle entrait dans l’âge de la trentaine, elle se sentait plus sûre de ses ambitions. La sonnerie retentit, le métro s’apprêtait à pénétrer en trombe sur les voies. Les cadrans indiquaient deux minutes et pourtant, le train s’avançait vers elle dans toute sa splendeur. Elle monta avec précaution dans le wagon. La peur de tomber subitement sur les rails et d’être écrasée par le train la tenaillait depuis que, toute petite, ses parents l’obligeaient à leur prendre la main pour monter dans cet engin. Des craintes bien puériles restées ancrées dans son esprit.

Elle s’assit sur un strapontin et tourna son regard vers le compartiment. Une seule personne, assise, se situait en face et baissait la tête.

 

La Mélancolie

 

Préambule

 

" Ô toi qui le savais "

Je voulais avoir un rêve éclatant, pourtant.

Tout le monde aurait dû m'être reconnaissant.

Ces feuilles blanches que je jette maintenant

Devraient être le fruit d'un labeur éprouvant.

 

Ô toi que j'attire à moi en ce moment-là,

Que j'ai toujours rêvé et qui m'a condamnée.

Je dépose à tes pieds tout ce que j'ai pensé

Sois indulgent, mon maître, toi en qui j'ai foi.

 

J'ai travaillé dans le noir et l'obscurité

Dans la tourmente de mon passé révolu

Pour te plaire et montrer mon talent survenu.

Je t'ai cherché partout, je n'ai pu le trouver.

 

Viens à moi pour une fois, laisse-toi tenter

Mes uniques paroles sont celles de bonté.

Ô si tu consentais, quelle félicité !

Chris LED     NOUVELLES

Vagabondages nocturnes

Rien n’est plus désagréable que devoir se libérer d’un besoin pressant au beau milieu de la nuit.

C’est ce qu’a pensé Grégoire pendant de longues années, jusqu’à ce que cette excursion nocturne devenue récurrente avec l’âge confine à la banalité. Rodé à l’exercice, il s’exécute maintenant avec une aisance qui ferait pâlir d’envie – pardon pour le terme – un spéléologue dont la lampe frontale aurait rendu l’âme au plus profond de la grotte Chauvet.

Le grain de sable

Il semble sortir d’une forme de torpeur dans laquelle on l’aurait plongé.

Peu à peu ses sens se remettent en marche, à la manière saccadée d’un néon qui s’allume.

Il perçoit le bruit de la mer, très proche, et cette odeur iodée si particulière. Il entend le roulement régulier des vagues qui se brisent en cadence avant de s’étaler de tout leur long dans un bruissement continu que la pente, aussi douce soit-elle, finit par dominer.

Comme sur une plage, pense-t-il.

Portés par une risée de vent qui vient agiter ses cheveux, quelques grains de sable lui criblent soudain la joue.

Intrigué, il ouvre les yeux et découvre avec horreur ce qui entrave sa respiration mais aussi sa mobilité.

Des instants éphémères

Comme beaucoup de gens, Marc emprunte chaque jour sa voiture pour se rendre à son travail.

Il habite en campagne et ne dispose d’aucun moyen de transport collectif qui lui permettrait de laisser son véhicule au garage. C’est pourtant quelque chose qui lui conviendrait bien tant il se soucie de la protection de l’environnement ; mais quand on ne peut faire autrement...

Marc est ingénieur en océanographie et rejoint quotidiennement les laboratoires de l’établissement scientifique qui l’emploie.

C’est un grand amoureux de la nature et cette attirance pour ce que la terre offre de plus beau n’est sans doute pas étrangère à son choix professionnel ni bien sûr aux études qui ont précédé. Si son activité lui permet de percer quelques secrets du monde sous-marin, il n’est pour autant pas insensible à l’univers terrestre et à ses paysages, loin s’en faut. Toutes les contrées ne se valent pas, dit-on, mais son œil avisé saura trouver ici ou là le site qui à lui seul mérite le détour.

Et si de surcroît le soleil mobilise tout son savoir faire pour mettre en valeur, ici les reflets d’un sommet enneigé dans un lac de montagne au petit matin, ou là les chaudes couleurs d’un soir d’été sur un village provençal ancré à flanc de colline, alors son bonheur est total. Cet intérêt pour la lumière, et toute la magie qu’elle offre, lui vient de sa passion pour la photographie, née de son désir d’immortaliser ses plus belles rencontres avec la nature.

Balles et Masques

Le trottoir était encore mouillé. La pluie allait revenir en bourrasques désagréables, Joan en était certaine. Elle ne savait pas si c'était le froid, mais elle grelottait. Elle pressa le pas. Arrivée devant la grille de fer forgé ornée de masques de carnaval, elle se figea. Elle parvint à extraire de sa poche humide une feuille de papier qu'elle déplia délicatement. Quand elle eut terminé  la lecture du message, elle commença à comprendre.

 L'inconnue dans l'ascenseur

Le taxi était déjà passé devant l'immeuble mais il ne s'était pas arrêté. Il avait fait le tour de la place occupée par un manège forain et il approchait à nouveau en roulant lentement, comme s'il était en maraude.

Il stoppa devant l'entrée sombre. Rien ne bougea pendant un très long moment puis la portière arrière droite s'ouvrit violemment mais personne ne descendit.

Au troisième étage, une fenêtre s'éclaira. On entendit de la musique, quelques notes de jazz. C'était un samedi d'avril. Entre chien et loup.

 Coup de tête

Aujourd'hui, Martin vit seul dans un petit studio meublé situé à l'étage d'un salon de coiffure.

L'espace exigu devrait le contraindre à un minimum de discipline pour pouvoir circuler librement au cœur de la pièce, mais il n'est pas rare qu'il trébuche sur un carton à demi éventré contenant tout et rien ou qu'il envoie balader une chaussure de sport sous la table basse à défaut de regarder où il peut mettre les pieds.

En clair, ce n'est pas un adepte du rangement ; d'ailleurs, la chaussure a peu de chance de migrer avant sa prochaine utilisation. Tout cela ne l'empêche pas de marmonner : " C'est le Bronx ici ! ", formule selon toute vraisemblance magique puisqu'à peine prononcée, il n'éprouve plus le besoin d'y mettre de l'ordre à son Bronx.

 Le choix d'Erwin

Le geste ne semblait pas assuré. On percevait une certaine hésitation dans la façon de poser le pied sur cet espace extrêmement étroit, à l'aplomb du vide. Bien que conscient des risques qu'il encourait, l'enfant paraissait déterminé à franchir cet obstacle ; c'était pour lui une question de survie. À chaque nouveau pas, il sentait ses chevilles chanceler avant de trouver l'appui au sol qui lui permettrait d'avancer l'autre jambe avec un minimum d'assurance. Il lui fallait coûte que coûte atteindre la plate-forme située à une vingtaine de mètres tout au plus, à partir de laquelle il se considérerait sauf.

L'été d'un chien  -  Cassandra BOUCLÉ - Roman Jeunesse

Voilà. C'était enfin l'été, pour l'occasion mes maîtres avaient décidé de partir en vacances.

J'avais trop hâte d'y être, d'autant plus que le soleil était au rendez-vous.

Cela faisait maintenant plusieurs heures que nous roulions en voiture.

Pour m'occuper, je regardais joyeusement le paysage défiler devant mes yeux.

Curieusement, après un certain temps, le véhicule s'arrêta.

Mes maîtres descendirent pour ensuite me mettre mon beau collier et ma belle laisse.

Je crois bien avoir compris leurs intentions.

Nous allions sûrement faire une petite balade, pour nous dégourdir les jambes.

J'étais super content, j'avais vraiment besoin de sortir.

Après seulement quelques minutes de marche, mes maîtres m'avaient attaché à un arbre.

Je ne savais pas pourquoi ils avaient fait ça.

Il devait bien y avoir une raison.

C'est alors que je les vis me tourner le dos.

Ils partirent alors, sans me jeter un dernier regard.

Vu leur réaction, ils allaient sûrement revenir.

Peut-être étaient-ils même partis chercher de quoi faire un pique-nique ?

Ce serait super !

J'adorais les pique-niques.

Cela faisait maintenant deux heures que j'attendais leur retour.

J'étais certain que mes maîtres allaient bientôt revenir.

Oui ! J'en étais sûr.

Je ne savais plus depuis combien de temps je les attendais.

Le soleil était presque de l'autre côté du ciel.

Ils étaient longs à revenir.

Se seraient-ils perdus ?

Le soleil allait presque s'éteindre, laissant bientôt place à la nuit.

Je commençais vraiment à m'inquiéter.

Je restais ainsi assis, fixant l'horizon, attendant leur retour.

Alors que la nuit était bercée par les étoiles et mes inquiétudes, je réussis quand même à dormir.

Néanmoins, je me réveillai très tôt pour guetter l'arrivée de mes maîtres.

La faim et la soif commençaient fortement à se faire ressentir.

En plus, il faisait très chaud.

Je ne comprenais pas ce qui se passait.

Je n'avais toujours aucun signe, venant d'eux.

Pourtant, je les attendais gentiment.

Soudainement, j'eus une idée de génie. Et si je mangeais ma laisse ?

Je pourrais ainsi la rompre et les chercher moi-même.

Si ça se trouve, ils s'étaient vraiment perdus en chemin.

J’espérais vraiment que mes maîtres allaient bien.

Bref, chose dite, chose faite.

J'avais déchiré rapidement ma laisse, par chance elle était en cuir.

Elle ne valait rien face à mes crocs.

Je sentais qu'elle allait bientôt se briser.

Malheureusement, la nuit commençait à tomber alors que je n'avais pas fini.

Je devais donc attendre demain pour terminer mon œuvre.

Heureusement le matin réapparut rapidement

Du coq à l'âme, Arlette Arlington, Au bord de l'eau, Caramba !

Du coq à l'âme - Recueil de poèmes de Brigitte Lécuyer

J'ai pris le temps

J'ai pris le temps

Comme il venait

À tirer la barbichette

Du destin

Et de fête en défaite

Je n'ai ramassé que des miettes

 

À raconter des sornettes,

Me suis cassé la margoulette

En me prenant pour un poète

À présent, j'ai plutôt l'air bête

Je risque peut-être

De me faire plaquer par mes plaquettes

Et l'histoire virerait tristounette

J'espère un coup de baguette

Du sors

Mais pas question de faire la diète

 

Quand je ne serai plus qu'un squelette

On sèmera ma poudre d'escampette

Sur la planète

Et comme toutes les marionnettes

Trois petits tours, une pirouette

Je partirai telle l'alouette

Réviser mes épithètes

À jamais.

 

Arlette Arlington - Nouvelle

 C'est à Arles que je suis née, le 6 Juin 1944 à l'aube. Mon petit papa qui avait eu vent de l'évènement par la BBC avait glissé à l'oreille de maman qui hurlait de douleur, que si c'était une fille, il fallait l'appeler Victoire parce que forcément, c'était un signe du destin. Mais maman elle s'en fichait bien des signes du destin et que les américains débarquent en Normandie, puisque je débarquais, moi et que ça faisait dix ans qu'elle n'attendait que ça : une lignée à elle, même si sa lignée s'est arrêtée net avec moi. À cet instant-là, elle l'ignorait. J'arrivais avec une semaine de retard et des voisines peu compatissantes, prétendaient que les bébés qui tardaient à venir n'étaient souvent que de pauvres fadas.

 Le jour J, on avait dû recourir aux forceps, car si maman avait des contractions bien pointues, elles n'avançaient guère le travail. La sage-femme, une novice, avait beau écraser le ventre de maman de toutes ses forces et de son popotin, je ne montrais pas mon nez pour autant. Ma petite mère qui d'habitude surveillait son langage, avait tant ameuté le voisinage, qu'on avait cru que la gestapo y était encore pour quelque chose. Une chaleur torride engluait les corps et les mégères du quartier de la Roquette où nous habitions, affirmaient que la Pierrette, elle devait être possédée par un fieffé démon pour sortir autant d'horreurs à cette sage-femme d'occasion.

 Enfin, après des heures de rude bataille, je fis mon apparition triomphante et fraîche comme une tomate. Puisque maman en avait bavé, des ronds de chapeau, elle s'était accordé le droit de choisir mon prénom. C'est donc elle et elle seule qui l'avait gagnée cette bataille et on ne pouvait pas dire que papa l'avait beaucoup aidé. Impuissant mais fièr de lui tout de même, il avait dû se résigner, Victoire ou pas ! N'empêche, ses beaux rêves tombaient à l'eau, il avait désiré si fort un fiston, un beau petit mâle pourvu de tout l'attirail et voilà que lui tombait une pisseuse aux cheveux orange avec des grains de son sur tout le corps, comme si on avait laissé ce bébé là au soleil sous une passoire à nouilles.

 

Au bord de l'eau

Par une chaude après-midi d’été, un enfant, un bambin de dix-huit mois peut être, pataugeait gaiement dans des flaques tièdes au bord de l’océan d’un bleu aveuglant, sous le regard attendri de sa jolie maman. Allongée sur le sable sec, elle ne le quittait pas des yeux, enfin c’est ce qui semblait car derrière ses lunettes noires, on n’apercevait pas vraiment son regard. Le chérubin aux yeux rieurs et aux boucles folles, s’éclaboussait dans des éclats de rires cristallins.  Il ne portait qu’une salopette courte rayée de rose sur sa peau couleur d’abricot mûr. Tout à son jeu, il s’approcha dangereusement des premières vagues.

D’un coup, une vague plus forte que les autres arriva, le souleva et en un éclair, il disparut happé par les flots bouillonnants. La pente à cet endroit était  forte et les vagues aussi sournoises qu’irrégulières.

La mère  n’apercevant plus l’enfant lança un cri déchirant. Elle enjamba les vagues en hurlant.

Les pieds dans l’eau, pas très loin, je restais planté là, au moment où le drame  survint.

 

Caramba !

Les dieux parfois savaient se montrer cléments, pensa Mérida. Elle se dirigea vers un trou béant, en chassa une chauve-souris hystérique et y plaça le magot. Elle allait reprendre sa vie comme avant ou presque, elle ne dirait rien à personne. Elle respira profondément et ce fut sa dernière respiration. Le souffle lui manqua. Tant d’émotions ! Le cœur usé de Mérida s’arrêta au pied des marches moussues de sa cave. Elle ne sentit rien ou presque, juste une douleur sourde au sein gauche. Et un flash illumina sa vue. Elle ne devait jamais revoir l’aube et ses vapeurs mordorées. Mérida remit son âme à Dieu à la seconde même où s’abîmait dans les flots, le vol A 415 en provenance de Mexico direction Paris. Une tragédie qu’elle ignora comme tant d’autres choses.  

Les dieux se fichaient bien des petites préoccupations mercantiles de ces fichus humains et l’heure était venue d’en finir une bonne fois pour toutes avec cette sacrée histoire. Ils auraient dû savoir qu’on ne dérange pas impunément certaines divinités aztèques et olmèques et c’étaient précisément ces dernières qui se montraient des plus chatouilleuses.

Un mois plus tôt, de l’autre coté de l’océan, aux confins d’une banlieue verdoyante, Luc venait de découvrir qu’il était dans le rouge à sa banque et qu’il allait falloir y remédier. Il  ouvrit en grand un placard blanc dans lequel on pouvait apercevoir  une succession de chemises admirablement repassées par Dolorès. Il déplaça quelques vêtements puis sa précieuse collection de pulls en cachemire, tous de couleur pastel. Le billet était toujours là, l’aller-retour pour Mexico  dormait au chaud.  La folle équipée pouvait reprendre !

Luc téléphona aussitôt aux deux autres : « Caramba ! Prêts pour la corrida, amigos, avait-il lancé tout émoustillé. «  Rejoignez-moi là où vous savez, je m’occupe des détails et des formalités ».

C’était tout ce qu’il pouvait dire. Caramba  c’était leur code et le signal d’un départ imminent !

Quelques semaines plus tard, ils se retrouvaient tous les trois dans le hall de Roissy. Ils s’envoyaient des  bourrades, plaisantaient  comme des gosses dans une kermesse à l’idée de la bonne farce qu’ils allaient encore jouer. Ils gloussaient et Fabrice de sa belle voix grave gronda  en espagnol :

- Prépare-toi à la trouille de ta vie Mérida.  J’arrive !  Tout ceci en faisant rouler les R de façon outrancière

Ils gesticulaient tant et tant que les autres voyageurs souriaient en regardant  ce trio  faisant le pitre dans l’aéroport. Luc leur rappela la sagesse. C’était lui l’instigateur de l’affaire, l’aîné et le plus aguerri des trois. Ils devaient faire en sorte de passer inaperçus encore cette fois-ci. 

«  Les gars, les gars ce n’est pas la peine de se faire remarquer » bougonna-t-il, les yeux faussement exorbités ! « Vous voyez bien qu’il y a des caméras partout dans ce putain d’aéroport. Ayons l’air de vulgaires touristes ! C’est bien ce que nous sommes non, de vulgaires touristes ? »

James et  Fabrice faisaient la moue : vieux rabat-joie, pensaient-ils, mais au fond,  ils savaient que Luc avait raison.

Brigitte LÉCUYER      NOUVELLES

Un petit clic

Le jour où j'ai supprimé Violette Bisson de mes contacts mails, j'ai appris qu'elle était morte. C'était un jour ordinaire de janvier, un jour froid où la neige par intermittence assombrissait l'atmosphère et l'humeur des piétons. Je sortais d'un épisode grippal et mon ordinateur subissait diverses attaques de virus jugées inexplicables par mon informaticien de fils, lequel avait pourtant installé un antivirus de choc. Depuis, on avait éradiqué les intrus, mais ce capricieux PC ramait et je ramais aussi. Cette langueur, cette absence de réaction à mes clics débridés mettaient mes nerfs à vif. Et puisque la météo se plaisait à me cantonner dedans, entre deux envois de nouvelles et les corrections d'un futur roman, j'optais pour la défragmentation sans façon et dans la foulée, le grand ménage d'Outlook.

La planche à repasser

Il y a bien des objets utiles dans la vie, et puis d'autres qui le sont moins mais qui ont leur place. La planche à repasser faisait partie des ces choses obligées dans toute famille, elle en avait vu et vécu des épisodes plus ou moins heureux, depuis le temps qu'elle trônait comme une antique vestale chez monsieur et madame Toulemonde. Madame Toulemonde l'aimait bien, enfin si on peut aimer une planche à repasser. Naguère, c'était il y a longtemps, on s'en était servi pour des dînettes improvisées, quand le jeune couple ne possédait pas encore de table. C'est donc sur elle, à hauteur réduite, que l'on posait le saucisson, que l'on taillait même la baguette. Les miettes, elle n'aimait pas ça, la planche à repasser, ça la grattait. Les taches de vin, elle s'en serait bien passé aussi, ce n'était pas raccord avec l'idée qu'elle se faisait de sa fonction.

La fille sur la photo

Il était présent, mais déjà il regrettait d'être venu. Pour passer le temps, il faisait crisser ses baskets sur le parquet ciré, tout en jetant un regard désabusé vers la Seine. Ce grincement eut l'effet escompté. Irritée, sa mère leva les yeux au ciel. Dimitri ne savait pas pourquoi il faisait cela, mais de l'agacer un jour pareil, lui procurait un plaisir puéril. Il continua un instant son petit manège et se lassa de son propre jeu.

Au loin, les péniches glissaient, dolentes sur le fleuve gris, mais Dimitri se fichait bien du décor qu'il ne connaissait que trop. L'ambiance était aussi glauque qu'un retour de vacances. Sa mère et sa tante affichaient des têtes d'enterrement, sauf que c'était de circonstance. Ses deux grands-parents venaient de mourir bêtement, fauchés par une camionnette folle, le jour du marché. Ils étaient quasiment morts sur le coup, lui d'une attaque, et elle d'une hémorragie interne, et depuis trois jours,on nageait en plein marasme. Dimitri aurait bien aimé compatir d'avantage, mais il ne trouvait pas les mots pour apaiser la douleur de sa mère, alors il se taisait.

Un départ à la neige

De birgit @ free.fr à Chantal @ wandadoo.fr

Ma Chantal,

Combien de fois en avions-nous parlé. Nous disions que si l'occasion se présentait, nous partirions, quitterions notre quartier et son cortège de bruits. Tu sais à quel point Alan tourne en rond depuis qu'il a pris sa retraite et je désespérais de le voir s'occuper, pensant qu'il fallait un sérieux coup de pouce du destin pour prendre LA décision.

Partir n'est pas une chose anodine (tu es bien placée pour le savoir), quitter tout pour vivre sereinement oui, mais pas n'importe où, n'importe comment, et nous n'étions jamais d'accord. Lui voulait la Bretagne, le bord de mer plus précisément, et même si j'adore la mer et que c'est un pays cher à mes racines, la côte est devenue quasi inaccessible pour nos moyens.

Nous errions donc sur les sites Internet à la recherche de l'endroit idéal où vivre en harmonie avec de bons voisins et la nature, mais nous allions de déception en déception. On peut donc dire que cet héritage arrive à point nommé. Alors après d'âpres et intenses discussions, va savoir pourquoi, nous avions finalement opté pour la montagne, c'est à dire tout le contraire de ce qui était prévu initialement. On s'est dit qu'avec le réchauffement climatique, la Bretagne deviendrait pire que la côte d'Azur et qu'elle serait envahie, submergée par les eaux et qu'il fallait viser ailleurs, se réfugier vers les sommets pour être épargnés.

Il s'agit d'un revirement de situation, j'en conviens et comme je suggérais à Alan de se rapprocher de ma mère qui est seule à présent à Annecy, la Haute-Savoie nous sembla convenable. Au moins, on était en pays de connaissance. Nous en avons parlé aux enfants, Juliette était pour, ce sera plus près pour elle que Paris ou la Bretagne, et comme c'est là qu'elle est née, elle aime y revenir. Quant à Johan et Cathy, l'idée de séjours à deux pas des stations de ski, ne pouvait que les réjouir, tu sais comme ils aiment skier.

Nous partons donc dès demain visiter des maisons choisies sur le net, assez proches des villes tout de même et je te ferai savoir la suite de nos recherches. Mais t'en fais pas, nous serons toujours aussi heureux de venir réchauffer nos vieux os au soleil des Matelles, ton si joli village, et de passer des jours délicieux en ta compagnie et celle de Jack.

Plein de bisous de Birgit

Peut-être

Peut-être qu'il pleuvait trop, peut-être qu'elle était trop triste, peut-être qu'elle n'en avait pas envie. Qui en aurait eu envie ? Elle savait juste qu'elle devait le faire, que personne ne le ferait à sa place cette fois-ci. Elle avait enfilé une paire de bottes noires, les gants caoutchouc de ménage, et elle était sortie ainsi, en oubliant son manteau.

Le soir virait désespoir. Le sac n'était pas très lourd, elle s'est arrêtée au pied du noyer qui semblait plus sinistre encore, dépouillé de ses feuilles et de ses coques verdâtres. Lui, il aimait bien ce noyer, et pas les autres arbres du jardin.

Entre midi et deux

En cette journée d'hiver, sur le boulevard Victor aussi austère que les abords d'un cimetière, on pouvait voir une enfilade de troquets enfumés. C'était juste avant un certain mai qui deviendra légendaire, et à cette époque donc, on fumait beaucoup et partout. Les conscrits du Ministère de l'Air recevaient leur quota de poison en guise de consolation à leur incorporation. Sans s'en douter, l'armée intoxiquait ses recrues et personne ne s'en offusquait alors. Ainsi, chaque café ou restaurant baigait dans une purée opaque. C'était le lieu idéal de flirts éphémères, le bureau occasionnel d’esseulés en visite aux salons de la porte de Versailles ; les paquets de cigarettes changeaient de main et pour l'occasion servaient aussi de droit d'entrée. 

C'est sur ce même trottoir, à midi tapante, que Bertille et sa meilleure amie Alice sortaient du bureau. Elles avaient deux heures à tuer, et parfois elles déjeunaient à la cantine qu'elles expédiaient en vingt minutes chrono.

Post Tenebras Lux   Blaise LE WENK
 
Chapitre 1 :
Le début de la fin - Sauve qui peut
 
Dans les années 2000, une guerre de civilisation se développe dans tout le Moyen-orient sous le couvert de guerre de religion et de croisade, contre les mécréants apostats (chrétiens, juifs, orthodoxes, etc.). Les armées occidentales tentent d'anéantir un Khalifa, une secte musulmane-islamiste pratiquant torture, décapitation et pendaison, provoquant un immense exode des populations en direction de l'Europe. Des millions de migrants affluent sur les côtes méditerranéennes, semant panique et guerres civiles. Les autorités politiques dépassées par l'ampleur du chaos abandonnent la partie, c'est exactement ce que recherchait ce Khalifa. Pour eux, la partie est gagnée, dorénavant les populations musulmanes, installées sur le sol européen se comptent par dizaines de millions. Étant majoritaires, elles tentent d'imposer la Charia islamique par la terreur dans la plupart des pays de l'U.E.. Malgré ces tragiques évènements, c'est finalement le triumvirat  " Capitalisme - Profit - Croissance " qui mettra fin à la société industrielle qui avait vu le jour au 19ème siècle.
Une décroissance exponentielle s'est installée sur l'ensemble de la planète dès 2020.
Ce sont principalement des dégâts collatéraux, causé par l'industrialisation à outrance, qui ont sonné le glas de notre civilisation à partir des années 2000, et qui ont vu son dénouement tragique autour des années 2050/2065.
Les nombreuses pollutions - pesticides - gaz à effet de serre - méthane - les émissions de dioxyde de carbone (CO2) ont abouti dans un premier temps au dérèglement du climat et à un réchauffement global de +  5 ° C, avec  toutes  les  répercussions  que  cela  implique : fonte de la banquise Arctique et du permafrost sibérien. Disparition de 50 % des glaciers de haute montagne et, plus grave, de l'inlandis du Groenland avec une conséquence planétaire dramatique, la hausse de plus de 3 mètres du niveau des océans. 500 millions de personnes ont dû être déplacées dans des régions déjà surpeuplées, ce qui a entraîné de graves conflits ethniques.
Malgré d'innombrables conférences mondiales, les politiques n'ont jamais réussi à trouver un consensus visant à la réduction de l'impact catastrophique de l'empreinte humaine sur la nature.
Dans un second temps, une succession de graves crises économiques, accompagnées de famines, d'épidémies et de pandémies, ont débouché dans l'anarchie et le chaos, entraînant l’effondrement brutal de la société humaine.
En 2035, dans une ultime tentative de sauver ce qui reste encore de cette civilisation, des décisions drastiques vont être imposées de force, ou par la persuasion, à la totalité des pays du globe par une organisation issue du conseil de sécurité de l'ex-ONU - le GMU (Gouvernement Mondial Unifié).
Cet organisme totalitaire par obligation, impose les 6 lois extrêmes fondamentales qu'il fait appliqué par le GAM (Groupe Armé Mondial) et par les troupes d'intervention du GAMIR (Groupe Armé Mobile d'Intervention Rapide).
Il a fallu dans de nombreux cas, faire usage d'armes nucléaire, les régions et pays récalcitrants aux nouvelles règles ont été rayés de la carte pour l'exemple, mais ce qui reste de l'humanité engendrée par l'inconscience humaine, des mesures arbitraires totalitaires ont finalement été prises par les gouvernements des pays les plus influents de la planète terre et membres du Conseil de Sécurité.
Un Gouvernement Mondial Unifié (GMU) dirige le monde depuis 50 ans. Toutes les frontières nationales ont enfin été supprimées remplacées par 200 ZLIP (Zones Linguistiques d'Importance Planétaire).
La population mondiale, à la suite de nombreuses et dramatiques catastrophes, a diminué de 50 % et s'est finalement stabilisée à 4 milliards environs.
La plupart des habitants de la planète vivent dans de gigantesques mégalopoles incontrôlables, comptant pour certaines plus de 100 millions de résidents (Tokyo, Brasillia, New-Delhi, Pékin, Berlin, Lutécia, Séoul, Manille, Moscou, Mexico, Le Caire, Lagos, Kinshasa).
  • La loi FIX-PAY de rétribution égalitaire par Mondios - la  nouvelle valeur - pour chaque individu encapsulé.
  • Les lois SANO sur la vaccination obligatoire et le port du bracelet interconnecté avec le CNV pour la vérification des normes.
  • La loi NANO prioritaire entre toutes sous peine d'encloserie à vie où on vous inocule à la naissance une nanocapsule qui contient l'ensemble des informations généalogiques, génétiques et pénales qui vous concerne.
  • Les lois MALTHUS et EXIT pour la régulation démographique, du contrôle des naissances et de la contraception et qui fixent la dernière année de vie à 95 ans.
  • La loi MONSALO qui interdit de produire ses propres semences et d'en récolter le fruit.
  • La loi MACADO qui oblige toutes personnes et chaque famille à préparer leurs repas à partir de produits frais.

Bernard VIALLET

Expresso Love - Roman de Science-Fiction

Chapitre 1

 

Je m'appelle Kader Moktari, mais mon nom ne vous dira sans doute rien. C'est simplement celui sous lequel je suis inscrit sur le registre d'état-civil numérisé de la Fédération Galactique et si j'en fais explicitement mention, c'est uniquement pour qu'il n'y ait pas de confusion dans votre esprit entre le monde réel et le monde virtuel. J'ai acquis une certaine notoriété sous une autre identité, disons que j'ai porté un nom de scène plus connu, mais au  moment où j'écris, ce 24 décembre 2446, il n'a plus aucune importance. Je préférerais même qu'on oublie ainsi que tout ce dont j'ai pu me rendre responsable sous ce maudit pseudonyme. D'ailleurs j'en arrive parfois à me demander si ma propre existence a eu une quelconque réalité. Si ce que je viens de vivre n'est pas une simple illusion ou un long cauchemar. Une suite d'erreurs et de coïncidences, tragiques ou lamentables, j'hésite entre les deux. Et dire que toute cette affaire n'a duré qu'un an. Une petite année, à peine douze mois, 52 semaines, 365 jours, 8760 heures, 525 600 minutes, 31 536 000 malheureuses secondes. Pas grand-chose dans la vie d'un individu. Environ 1 % du temps qui pourrait lui être alloué. À condition de vivre un siècle, bien sûr. Mais à notre époque, les centenaires foisonnent. On parle de cinquième âge, on se demande même où on va pouvoir les caser, tous ces vieux à trois chiffres. Donc pas grand-chose et en même temps, énormément. Tout dépend de la vitesse à laquelle s'enchaînent les évènements. Selon les circonstances, le temps ne s'écoule pas à la même vitesse. Enfin c'est une impression parce qu'en réalité les secondes s'égrènent toujours de la même façon. Les horloges en sont les témoins impartiaux. Et pourtant cette vitesse relative dépend de ce qu'il se passe, de ce que nous vivons et de la manière dont nous le ressentons...

Moi, j'ai toujours vécu à cent à l'heure, ce qui est une manière de dire que je ne suis jamais resté les deux pieds dans le même sabot, à attendre l'heure du déjeuner, puis celle du souper par exemple. Au boulot, je n'ai jamais regardé les aiguilles de la pendule en me plaignant de la lenteur de leur rotation. Je me suis rarement soucié de l'heure à laquelle j'allais quitter mon bureau. Je bossais par plaisir, par passion, ce qui change totalement la donne. Je n'ai pas une nature à m'ennuyer et je suis même quelqu'un d'optimiste par principe. J'aime bien que ça bouge, que ça fonce, qu'il se passe des choses. Les gens me voient dans le style : "I'll sleep when I die". Pourtant, au cours de cette maudite année 2445, combien de fois n'ai-je pas souhaité de toutes mes forces que ce rythme effréné ralentisse un peu...

Mais je m'aperçois que je digresse, que je m'égare et j'ai très peur de lasser, ce qui serait la pire des choses. Je n'arrive pas à accepter l'idée que ce que j'ai vécu se perde dans les ténèbres de l'indifférence. En dehors de ce ridicule message que je vais lancer comme une bouteille à la mer, je n'ai plus aucun moyen pour communiquer, moi qui n'avait qu'à claquer des doigts, passer un coup de perso ou brailler " La une sur moi, Serge ! " pour que mon image et mes interventions aussi creuses que convenues inondent les écrans des mondoviseurs et les unes de la plupart des médias de l'infosphère...

Mon véritable nom est donc bien Kader Moktari. Je suis né le 4 août 2415 sous un mauvais signe, celui du Lion orgueilleux, susceptible, coléreux, vaniteux et arrogant. Bien sûr, je me vois personnellement plutôt volontaire, généreux, sincère et courageux. Comme il est difficile d'être juge et partie, je préfère passer très vite là-dessus parce que j'ai pour principe de ne pas croire à l'astrologie. D'ailleurs, je ne crois pas à grand-chose, c'est du moins ce que pensent les gens qui disent me connaître. Ni Dieu ni Maître. L'anar, le rebelle de luxe, c'est du moins l'image que je donnais autrefois. Parce que maintenant, je commence à douter, à me poser des tas de questions. Et s'il y avait une justice immanente ? Et si quelque part nos actes étaient pesés sur une sorte de trébuchet céleste ? Et si des gens nous manipulaient dans les coulisses ? N'ai-je pas été le dindon d'une mauvaise farce, le pantin dont on a tiré les ficelles ? Vu l'état dans lequel je me trouve, elles ont dû être coupées les ficelles... mais par qui ?

Vous êtes ici : Accueil Ça commence comme ça